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Droit de la responsabilité civile
Hors-jeu : faute de jeu oui, faute civile non !
L’auteur d’un but en position de hors-jeu n’engage pas sa responsabilité ni celle de son club à l’égard d’un parieur dès lors qu’il n’avait pas l’intention de fausser l’aléa inhérent au pari sportif.
Un parieur avait validé la grille d’un jeu « loto foot » dans laquelle il avait parié sur les résultats de quatorze matchs de football. Parmi ces quatorze rencontres, seul le résultat de l’une d’entre elles n'avait pas été pronostiqué par lui avec succès : en effet, le parieur avait parié sur un match nul alors que le score, tel qu’il avait été décidé par l’arbitre puis ensuite confirmé par les instances sportives, avait été d’un but à zéro. Le parieur avait alors seulement perçu un gain correspondant aux treize pronostics exacts. Estimant que le résultat de la quatorzième avait été faussé par la prise en compte du but inscrit en position de hors-jeu à la fin du match par l’un des joueurs, le parieur avait assigné ce joueur auteur en responsabilité pour faute, ainsi que son club au titre de la responsabilité du fait d’autrui, à l’effet de voir compenser son gain manqué.
La cour d’appel rejeta ses demandes au motif que « la simple transgression de la règle sportive, survenue dans le cours du jeu et non contre le jeu ne saurait, à elle seule, constituer une faute civile de nature à fonder l'action en responsabilité engagée par un parieur mécontent ». Le parieur forma alors un pourvoi en cassation contre cette décision, qu’il contestait essentiellement au moyen que dans le domaine du pari sportif, toute faute résultant d’une transgression de la règle sportive commise par un joueur dans le cours du jeu, fût-elle sans influence sur la sécurité des participants ou sur la loyauté de l’affrontement sportif, doit être sanctionnée dès lors qu’elle a indûment faussé le résultat de la rencontre et causé la perte de chance d’un parieur de réaliser un gain ; de surcroît, selon le demandeur au pourvoi, le joueur aurait, lors de la rencontre litigieuse, encore plus gravement commis une faute intentionnelle, c’est-à-dire un fait illicite effectué délibérément « contre » le jeu, en tirant profit de sa position de hors-jeu pour marquer un but qu’il savait, en conséquence, irrégulier, ce qui constituait une atteinte à la loyauté du jeu sportif. Le demandeur au pourvoi rappelait aussi que le principe posé par les règlements organisant la pratique d’un sport, selon lequel la violation des règles du jeu est laissée à l’appréciation de l’arbitre chargé de veiller à leur application, n’a pas pour effet de priver le juge civil, saisi d’une action en responsabilité fondée sur la faute de l’un des pratiquants, de sa liberté d’apprécier si le comportement de ce dernier a constitué, comme en l’espèce, une infraction aux règles du jeu.
Insensible à cet argumentaire, la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond : après avoir énoncé que « seul un fait ayant pour objet de porter sciemment atteinte à l’aléa inhérent au pari sportif est de nature à engager la responsabilité d’un joueur et, le cas échéant, de son club, à l’égard d’un parieur », elle juge que même à supposer que l’auteur du but ait été en position de hors-jeu lorsqu’il a inscrit le but litigieux, cette transgression de la règle sportive ne constituait pas un fait de nature à engager sa responsabilité, ou celle de son club.
Cette décision rappelle qu’en matière sportive, la victime doit pouvoir rapporter la preuve d’une faute caractérisée, c’est-à-dire d’une violation grave et délibérée des règles du jeu, ce que l’on appelle aussi une faute commise « contre le jeu », dont le seuil excède la simple faute technique (V. pour une récente illustration, Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-16.873). Son premier intérêt est d’en rappeler la nécessité sous un angle original, et d’autant plus intéressant qu’il se place dans un domaine économiquement en pleine expansion, celui du pari sportif. Si l’on sait que la faute sportive est, en matière pénale comme civile, caractérisée par une violation des règles du jeu dont la gravité et l’intentionnalité excèdent les risques normaux encourus lors de la pratique du sport considéré (V. Civ. 2e, 29 mars 2018, préc.), il est surtout intéressant de noter qu’en l’espèce, les juges apprécient le second critère constitutif de la faute sportive -l’intentionnalité - au regard de la volonté du sportif de fausser sciemment ou non l’aléa inhérent au pari, alors qu’ils l’observent le plus souvent au regard soit de la sécurité des participants, soit de la loyauté de la compétition sportive. Étant entendu que la volonté de fausser un aléa, par essence incertain, est plus difficile à caractériser que celle d’enfreindre une règle dont le mépris présente de toute évidence, pour un sportif professionnel, le risque d’attenter à l’intégrité physique de ses partenaires de jeu ou de méconnaître l’esprit sportif.
Quoiqu’il en soit, ce critère lié à l’intentionnalité de la faute ne pouvait, en l’espèce, être satisfait. En effet, si l’auteur du but se trouvait objectivement, au moment des faits, en position de hors-jeu, position qu’il savait évidemment irrégulière et qui lui avait permis de tirer le but victorieux, ce cadre de l’action litigieuse ne pouvait lui être totalement reproché puisque comme le soutenait le club du joueur mis en cause, dont la responsabilité était également recherchée, selon la règle du jeu n° 11 de la loi du football, le hors-jeu d'un joueur de football ne constitue par une faute en soi, en ce qu’il ne dépend pas de la seule position de ce dernier ni de sa seule action mais également de la position des joueurs de l'équipe adverse par rapport à celle du joueur en cause. En effet, la règle du hors-jeu, que l’actualité sportive comme la décision rapportée invitent à rappeler, est en substance la suivante : un joueur est en position de hors‑jeu s'il est plus près de la ligne de but que le ballon ainsi que de l'avant‑dernier adversaire. Autrement dit, s'il n'y a qu'un seul joueur ou à fortiori aucun joueur de l'équipe adverse devant lui, l'attaquant est en position de hors‑jeu. En pratique, le footballeur sera donc en position de hors‑jeu s'il est seul devant le gardien de but adverse. Ainsi, même s’il aura nécessairement conscience de l’irrégularité de sa position avant même de recevoir le ballon, un joueur ne peut-il seul décider de profiter de cette position pour marquer un but, dont le cadre dépend tout autant de lui que de celle d’autres joueurs. Le fait de jeu incriminé ne pouvait donc, faute d’intentionnalité exclusive, constituer une faute civile sportive.
La décision présente également l’intérêt de rappeler la frontière séparant deux systèmes normatifs distincts : le droit et le sport. C’est la raison pour laquelle, comme le rappelait à juste titre le demandeur au pourvoi, la décision d’un arbitre doit rester sans effet sur celle du juge se prononçant sur les mêmes faits même si, en l’espèce, les deux se rejoignaient pour considérer objectivement l’existence d’un hors-jeu, mais refuser de juger celui-ci illicite (l’arbitre n’ayant pas été d’avis, dans cette affaire, d’invalider le but litigieux).
Il eût en revanche été possible d’exploiter l’hypothèse, soutenue par le club du joueur mais écartée par les juges, selon laquelle le préjudice du parieur ne trouvait pas directement sa source dans l’action du joueur mais dans la décision de l’arbitre dont l’appréciation est, de fait, décisive compte tenu de l’incertitude entourant ce type d’actions de jeu.
Ainsi le parieur s’est-il vu privé de réparation, bien que les faits se soient déroulés sur la surface du même nom !
Civ. 2e, 14 juin 2018, n° 17-20.046
Références
■ Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-16.873 P : Dalloz Actu Étudiant, 26 avr. 2018 ; D. 2018. 719.
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