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[ 5 janvier 2016 ] Imprimer

Droit des obligations

Hypothèque judiciaire et mise en œuvre de la garantie d'éviction du fait d'un tiers

Mots-clefs : Vente d'immeuble, Garantie d'éviction, Droit du tiers sur la chose, Hypothèque judiciaire, Trouble de droit, Absence de déclaration et ignorance de l'acheteur au moment de la vente, Jugement de condamnation

La garantie d’éviction du fait d’un tiers est due si le trouble subi par l’acheteur est un trouble de droit, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l’acheteur.

Des propriétaires vendent un bien immobilier par acte notarié du 12 juin 2001. L'acquéreur est ensuite contraint de délaisser ce bien après qu’un créancier du vendeur, titulaire d'une hypothèque judiciaire inscrite le 22 juillet 2001, en vertu d'un précédent jugement de condamnation, entre la date de l'acte de vente et celle de sa publication, intervenue le 7 août 2001, ait exercé à ce titre son droit de suite et obtenu la vente forcée du bien. Condamnés à indemniser l'acquéreur des conséquences dommageables de la perte du bien, le notaire et son assureur, se prévalant du bénéfice de la subrogation légale de l'article 1251, 3° du Code civil, exercent l'action en garantie d'éviction contre le vendeur. 

La cour d'appel rejette leur recours subrogatoire au motif qu’en indemnisant l’acquéreur, ceux-ci n’ont pas assumé la garantie d’éviction du vendeur dès lors que sa seule condamnation envers un tiers n’emporte aucune restriction à la disposition de ses droits sur l’immeuble et que le trouble juridique à la jouissance de ce bien n’a été créé qu’après la vente. 

La Cour de cassation, statuant sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du Code de procédure civile, casse partiellement l'arrêt d'appel au visa de l'article 1626 du Code civil, ensemble l'article 2123 du même code, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, applicable en la cause : la garantie d'éviction du fait d'un tiers est due si le trouble subi par l'acheteur est un trouble de droit, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l'acheteur ; or la constitution de l'hypothèque judiciaire prévue par l'article 2123 du Code civil sur les biens du débiteur résulte non de son inscription, mais du jugement de condamnation qui lui donne naissance, de sorte que le trouble de droit qui en résultait existait au moment de la vente. 

Comme commence par le rappeler la Cour, la garantie d’éviction due par le vendeur à l’acquéreur du fait d’un tiers ne porte que sur les troubles de droit, c’est-à-dire sur les droits concurrents que pourraient invoquer les tiers ; elle ne le protège pas contre les troubles de fait pouvant émaner de tiers. Quoiqu’aucun texte ne prévoit cette distinction en matière de vente, à la différence des dispositions applicables au bail (C. civ., art. 1725), la doctrine, comme la jurisprudence, se sont entendues pour l’étendre, par analogie, à la vente. 

Lorsque l'acheteur est troublé dans sa jouissance par le fait de tiers sans qu'ils ne prétendent détenir aucun droit sur le bien, le vendeur n'est pas tenu à garantie. La voie de fait des tiers, par exemple, se trouve hors garantie. Cette limite apportée à la garantie du vendeur est conforme à l’objectif poursuivi par la règle de l'obligation de garantie du vendeur du fait des tiers, qui est de protéger l'acheteur d’éventuelles prétentions invoquées par les tiers. Or si le vendeur a la possibilité de défendre l'acquéreur contre les troubles de droit émanant de tiers, il n'est pas en mesure de le défendre efficacement contre les troubles de fait susceptibles d’être causés par les tiers. De surcroît, s'il peut être considéré pour partie responsable dans le trouble de droit perturbant la jouissance du bien par l’acheteur, les troubles de fait ne peuvent lui être imputés. 

La Cour rappelle ensuite le principe traditionnel selon lequel le vendeur ne doit, en principe, sa garantie que si l'éviction trouve sa source dans une cause antérieure à la vente. L'antériorité de la cause d'éviction est, en effet, généralement présentée comme une condition de la garantie du fait des tiers. La Cour de cassation a ainsi jugé qu'il résulte de la combinaison de l’article 1626 du Code civil et des articles 1628 et suivants du même code que l'acquéreur dépossédé a un recours en garantie contre son vendeur lorsque l'éviction a une cause antérieure au contrat et résulte d'un droit prétendu exercé par un tiers sur la chose vendue (Civ., 9 mars 1937; Com., 29 janv. 1979). 

Là encore, la règle est logique : il va de soi que l'acheteur qui laisse un tiers se constituer un droit sur son bien est mal venu à se plaindre d'une quelconque éviction. Cependant, si le droit du tiers trouve son origine dans un événement antérieur à la vente, bien que le trouble ne se manifeste qu'après, la garantie joue. En l’espèce, la cour d’appel avait à tort retenu la date de l’inscription de la constitution de l’hypothèque pour décider que le trouble était né postérieurement à la vente, alors que celle-ci résulte du jugement qui lui donne naissance. D’ailleurs, il est intéressant de relever qu’à l’origine, l'éviction supposait une défaite en justice (R.-J. Pothier, Œuvres de Pothier, éd. Bugnet, 1847, t. 3, Traité du contrat de vente, n° 82. – F. Laurent, Principes de droit civil : Bruylant, coll. Chevalier-Marescq, 3e éd. 1878, t. 24, n° 216). En ce sens, l’éviction serait constituée de la perte d'un droit par suite d'une condamnation en justice (Evincere, en latin, signifiant  mettre en déroute, vaincre en justice). Pour que le trouble de droit soit caractérisé, le tiers devrait donc, non seulement détenir un droit sur le bien, mais également qu’il fasse valoir son droit en justice. En vérité, l'acquéreur peut mettre en œuvre la garantie sans attendre de défaite judiciaire, le trouble actuel équivalant à l'éviction, à la charge toutefois pour lui d’établir l’actualité du trouble (Com., 26 avr.2000, n° 97-15.488). Ainsi la découverte d'un droit invoqué en justice par un tiers sur la chose vendue, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l'acheteur, peut constituer un trouble actuel obligeant de ce seul fait le vendeur à en garantir l'acquéreur, avant même qu'intervienne un jugement le constatant.

Civ. 1re, 28 oct. 2015, n° 14-15.114

Références 

■ Code civil

Article 1251

Article 1626

Article 1628

Article 1725

Article 2123

■ Code de procédure civile

Article 1015

■ Civ., 9 mars 1937

■ Com., 29 janv. 1979, n° 77-11.001D. 1979. 319

■ Com., 26 avr.2000, n° 97-15.488

 

Auteur :M. H.


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