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[ 13 juin 2013 ] Imprimer

Procédure pénale

Identification des communications des journalistes : secret de l'instruction v. secret des sources

Mots-clefs : Journaliste, Instruction, Secret, Violation, Impératif prépondérant d'intérêt public, Présomption d'innocence,

L' « impératif prépondérant d'intérêt public » justifiant l'identification des communications des journalistes pour trouver les auteurs de la violation du secret de l'instruction, impose de rechercher si cette mesure est nécessaire et proportionnée au but légitime de protection de la présomption d'innocence. Lorsque les réquisitions visant à une telle identification s'adressent aux opérateurs téléphoniques, il n'est pas nécessaire d'obtenir l'accord préalable des journalistes.

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 mai 2013 précise les termes d'un débat récurrent. Deux entités s'affrontent dans la recherche de la vérité : la presse et la justice. Chacune voit ses investigations protégées par un secret : le secret des sources journalistiques pour la première, le secret de l’instruction pour la seconde. Cet arrêt témoigne du fait que la préservation du secret de l'une peut entraîner la violation du secret de l'autre.

En l'espèce, des policiers agissant dans le cadre d'une commission rogatoire avaient effectué une perquisition au domicile et au cabinet d'une avocate. Cette dernière, suspectée de vol, avait été placée en garde à vue le 22 janvier 2007. Dès les 23 et 24 janvier, le journal Ouest-France publiait deux articles faisant état de la garde à vue de l'avocate et portant des précisions sur le déroulement de la mesure. L'avocate porta donc plainte des chefs de violation du secret de l'instruction, la procédure n'étant connue que de personnes tenues au secret de l'instruction au moment des publications litigieuses. Des réquisitions étaient adressées aux opérateurs téléphoniques des journalistes concernés pour identifier les auteurs de la violation du secret.

La chambre de l'instruction de Bordeaux annula le 9 août lesdites réquisitions en estimant que l'atteinte à la protection des sources des journalistes n'était pas justifiée par un « impératif prépondérant d'intérêt public » désormais exigé par la loi n°2010-1 du 4 janvier 2010. Les réquisitions se fondaient uniquement sur la probabilité de la violation du secret de l'instruction déduite de la succession à délai très rapproché du placement en garde à vue et des informations parues dans la presse. Elle affirmait, en outre, qu'en s'abstenant de demander l'accord des journalistes pour de tels actes, le juge d'instruction avait violé les articles 56-1 à 56-3 du Code de procédure pénale instaurant un régime spécial de perquisitions (la perquisition dans une entreprise de presse ou au domicile d’un journaliste, s’effectue en présence d’un magistrat ; le journaliste peut, en cas d’atteinte au secret de ses sources, s’y opposer).

Un tel raisonnement est censuré par la Cour de cassation. Sans se prononcer directement sur le fond, elle reproche à la juridiction d’instruction l’insuffisance de la motivation concernant la constatation de l'absence d’ « impératif prépondérant d'intérêt public ».

La violation du secret de l’instruction, qui révèle des investigations sur une personne non encore jugée, porte nécessairement atteinte à la présomption d’innocence. La chambre de l’instruction aurait dû en conséquence rechercher si les réquisitions n’étaient pas nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi de protection de la présomption d'innocence.

Cette conciliation entre les différents intérêts en cause est une exigence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 27 mars 1996C...c/ Royaume-Uni ; 25 févr. 2003E...et F...c/ Luxembourg ; 15 juill. 2003G...c/ Belgique). Le législateur est, lui aussi, venu préciser les éléments à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité de l’atteinte à la protection des sources. Ainsi, l'article 2, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse mentionne la gravité du crime ou du délit, l’importance de l’information recherchée pour la répression et la prévention de l’infraction, et le fait que les mesures envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité.

C’est donc l’insuffisance de la motivation de la chambre de l’instruction qui est censurée. La Cour de cassation ne se prononce pas sur l’absence d’ « impératif prépondérant d’intérêt public » en elle-même. Dans une hypothèse semblable, la Cour suprême avait, contrairement à la présente espèce, rejeté le pourvoi de la plaignante. Les juges d’appel, tout comme en l’espèce, avaient constaté l’absence d’ « impératif prépondérant d’intérêt public », mais ce, au terme d’un raisonnement plus rigoureux, qui s’attachait à démontrer l’absence de nécessité et la disproportion de l’atteinte au but légitime poursuivi, en tenant compte des critères de l’article 2 de la loi sur la liberté de la presse tel que modifié par la loi de 2010 (Crim. 6 déc. 2011). Or, dans la présente espèce, en dépit de la similitude de faits, l’absence d’impératif prépondérant est constatée au terme d’un raisonnement plus lapidaire, ne tenant pas compte des critères précités. C’est cela qui est censuré par la Cour.

Quant à la violation du régime spécial des perquisitions, prévue par les articles 56-1 à 56-3 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation censure également les juges d’appel. Elle rappelle que les journalistes n'étant pas directement visés par les réquisitions qui s'adressaient en réalité aux opérateurs téléphoniques, il n'était pas obligatoire de recueillir leur accord pour procéder à l'identification des communications.

Le présent arrêt témoigne de la délicate articulation entre la nécessaire information du public, garantie par le secret des sources, et la présomption d’innocence, garantie par le secret de l’instruction. Les juridictions françaises ont longtemps été accusées de contourner le droit au silence des journalistes sur l’origine de leurs sources (notamment par le biais de mises en examen des journalistes pour recel de violation du secret de l’instruction). L'arrêt du 14 mai offre un nouvel exemple des difficultés de conciliation entre la protection des sources et la nécessaire sauvegarde du secret de l'instruction.

Malgré ces difficultés, le législateur continue de renforcer la protection des sources. Un projet de loi a été transmis au Conseil d’État pour avis en mai 2013. Il prévoit qu’il ne pourra être porté atteinte au secret des sources des journalistes au cours d’une enquête de police judiciaire ou d’une instruction que sur décision du juge des libertés et de la décision.

Crim. 14 mai 2013, n°11-86.626

Références 

 Crim. 6 déc. 2011, n°11-83.970, RSC 2012. 191.

■ CEDH 27 mars 1996C...c/ Royaume-Uni, no 17488/90.

CEDH 25 févr. 2003E...et F...c/ Luxembourgno 51772/99.

 CEDH 15 juill. 2003G...c/ Belgique, n° 33400/96.

■ Article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public.

Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public.

Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.

Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources.

Au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. »

■ Code de procédure pénale

Article 11

« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. »

Article 56-2 du Code de procédure pénale alinéas 5 et 6 : Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au secret des sources en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l'information. 

La personne présente lors de la perquisition en application de l'article 57 du présent code peut s'opposer à la saisie d'un document ou de tout objet si elle estime que cette saisie serait irrégulière au regard de l'alinéa précédent. Le document ou l'objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections de la personne, qui n'est pas joint au dossier de la procédure. Si d'autres documents ou objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la procédure. 

Article 56-1

« Les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué par le magistrat. Celui-ci et le bâtonnier ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité. 

Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat. 

Le bâtonnier ou son délégué peut s'opposer à la saisie d'un document ou d'un objet s'il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l'objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n'est pas joint au dossier de la procédure. Si d'autres documents ou d'autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la procédure. 

Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours.

A cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l'avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes.

S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir le document ou l'objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure. 

Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction. 

Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions effectuées dans les locaux de l'ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats. Dans ce cas, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention sont exercées par le président du tribunal de grande instance qui doit être préalablement avisé de la perquisition. Il en est de même en cas de perquisition au cabinet ou au domicile du bâtonnier. »

Article 56-2

« Les perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse, d'une entreprise de communication audiovisuelle, d'une entreprise de communication au public en ligne, d'une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences ou au domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat.

Ces perquisitions sont réalisées sur décision écrite et motivée du magistrat qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, ainsi que les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance de la personne présente en application de l'article 57.

Le magistrat et la personne présente en application de l'article 57 ont seuls le droit de prendre connaissance des documents ou des objets découverts lors de la perquisition préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans cette décision.

Ces dispositions sont édictées à peine de nullité.

Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au secret des sources en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l'information.

La personne présente lors de la perquisition en application de l'article 57 du présent code peut s'opposer à la saisie d'un document ou de tout objet si elle estime que cette saisie serait irrégulière au regard de l'alinéa précédent. Le document ou l'objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections de la personne, qui n'est pas joint au dossier de la procédure. Si d'autres documents ou objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la procédure.

Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours.

A cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que la personne en présence de qui la perquisition a été effectuée. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes. Si le journaliste au domicile duquel la perquisition a été réalisée n'était pas présent lorsque celle-ci a été effectuée, notamment s'il a été fait application du deuxième alinéa de l'article 57, le journaliste peut se présenter devant le juge des libertés et de la détention pour être entendu par ce magistrat et assister, si elle a lieu, à l'ouverture du scellé.

S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir le document ou l'objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure.

Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction. »

Article 56-3

« Les perquisitions dans le cabinet d'un médecin, d'un notaire ou d'un huissier sont effectuées par un magistrat et en présence de la personne responsable de l'ordre ou de l'organisation professionnelle à laquelle appartient l'intéressé ou de son représentant. »

 

Auteur :C. d. B.


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