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[ 28 juin 2021 ] Imprimer

Droit des biens

Il est l’or de partager le trésor

Les décisions sur les trésors sont aussi rares que les trésors eux-mêmes. La décision du 16 juin 2021 mérite donc d’être commentée. C’est la première fois que la Haute juridiction évoque la notion de coinventeurs.

Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 19-21.567

Le 21 juillet 2015, au cours de travaux de rénovation réalisés sur un site appartenant à un groupement foncier, plusieurs salariés ont découvert fortuitement 34 lingots d’or. Le 28 juillet 2015, un accord transactionnel de partage du trésor a été conclu entre le propriétaire des lieux, les différentes personnes l’ayant découvert (T, N et Q, les inventeurs) et la société employeur. En septembre 2015, à l’issue de la vente des lingots pour un montant de plus d’un million, le partage a été effectué conformément aux dispositions de l’accord transactionnel. C’est alors qu’un des inventeurs (Q) a sollicité la nullité de l’accord arguant qu’ils n’étaient que deux (T et lui) à avoir découvert le trésor. Le protocole d’accord transactionnel ne remplissait donc pas les conditions de l’article 2044 du Code civil en l’absence de concessions réciproques. Selon lui, seul l’article 716 du Code civil qui définit le trésor devait s’appliquer. T, tout à fait d’accord, demandait reconventionnellement la nullité de l’accord mais soutenait qu’il était le seul inventeur du trésor.

La cour d’appel leur donne raison. Elle annule la transaction pour absence de concessions réciproques et applique l’article 716 du Code civil. La Cour de cassation approuve cette décision sur ce point.

En revanche, elle casse l’arrêt d’appel pour avoir violé l’article 716 précité. En effet, en appliquant cet article , la Cour d’appel a décidé qu’il ne pouvait pas y avoir plusieurs inventeurs de trésor, c’est-à-dire plusieurs personnes ayant découvert le trésor, l’article 716 n’introduisant pas la notion de coinventeurs. Selon elle, seul T avait découvert le trésor.

La Haute juridiction, au visa de l’article 716 du Code civil, décide que la découverte d’un trésor peut procéder de plusieurs personnes directement. Elles doivent dans ce cas être qualifiées de coinventeurs et se partager équitablement la part qui leur revient.

Le trésor se définit comme toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard (C. civ., art. 716, al. 2). Il doit posséder les caractéristiques suivantes (Riom, 4 avr. 2016, n° 15/00081) : 

-        il doit être une chose meuble ;

-        il doit être enfoui ou non visible à l’œil nu ; 

-        il doit être distinct de son contenant ;

-        il ne doit pas avoir de propriétaire connu (Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-19.340;

-        il doit être trouvé par hasard (ainsi l’utilisation d’un détecteur de métaux pour chercher un trésor n’est pas le fruit du hasard : Crim. 26 juin 2001, n° 00-87.054). 

Précisons que la valeur du trésor est indifférente.

Une fois découvert se pose la question de la propriété du trésor. Selon l’alinéa 1er de l’article 716, soit il appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; soit, si le trésor est trouvé dans le fonds d'autrui, il appartient pour moitié à celui qui l'a découvert, et pour l'autre moitié au propriétaire du fonds. Le propriétaire acquiert le trésor par voie d’accession et l’inventeur par voie d’occupation. 

Celui qui s’emparerait seul de la totalité du trésor serait coupable de vol ou d’abus de confiance (Crim. 17 janv. 1968, n° 66-93.786). Toutefois, les règles de partage à part égales ne sont pas d’ordre public, il peut donc y être dérogé avec accord express de toutes les parties.

Qu’en est-il de l’inventeur ? l’article 716 du Code civil ne définit pas la notion d’inventeur. Selon la jurisprudence, l’inventeur est celui qui découvre au sens strict le trésor, qui le fait apparaître (Crim. 20 nov. 1990, n° 89-80.529) et non forcément celui qui l’aurait vu en premier ou encore l’employeur ou la personne morale. Cette notion d’inventeur est source de litige quand plusieurs personnes se revendiquent l’être, comme c’est le cas en l’espèce.

En effet, le Code civil n’envisage pas non plus l’hypothèse d’une pluralité d’inventeurs de trésor. C’est donc au cas par cas qu’opèrent les juges du fond pour déterminer qui est réellement l’inventeur du trésor, chacun devant rapporter la preuve qu’il est le premier à avoir découvert matériellement le trésor.

Ainsi, en 1986, la Cour d’appel de Versailles avait décidé que seul l’ouvrier ayant mis matériellement à jour le trésor en était l’inventeur, contrairement à ses collègues présents travaillant sur le même site (Versailles, 11 mars 1986).

À l’inverse, il a été admis qu’un conducteur de tractopelle n’ayant pas pu prouver qu’il était le premier à avoir découvert 110 kg de pièces anciennes, alors que c’est son engin qui avait déterré le trésor, deux autres ouvriers travaillant avec lui à ce moment-là avaient également été qualifiés d’inventeurs (Colmar, 25 nov. 2016, n° 15/01581).

La jurisprudence n’était donc pas fixée et les règles peu claires. L’arrêt du 16 juin 2021 vient « introduire » la notion de coinventeurs en posant le principe que l’article 716 du Code civil s’applique également quand le trésor est découvert par une pluralité d’inventeurs contrairement à ce qu’affirmait la cour d’appel.

Cette solution permettra sans doute aux juges du fond de déterminer plus facilement qui est inventeur et qui ne l’est pas. En cas de pluralité d’inventeurs, ces derniers devront comme en l’espèce se partager à parts égales l’une des moitiés de la somme leur revenant (l’autre revenant au propriétaire du fond).

Références :

■ Fiche d’orientation Dalloz : Trésor

■ Riom, 4 avr. 2016, n° 15/00081

■ Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-19.340 P : D. 2017. 2196, note N. Kilgus ; ibid. 2018. 1772, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; JAC 2017, n° 49, p. 10, obs. P. Noual ; ibid., n° 51, p. 44, étude P. Noual ; RTD civ. 2017. 887, obs. W. Dross ; RTD com. 2017. 908, obs. F. Pollaud-Dulian

■ Crim. 26 juin 2001, n° 00-87.054

■ Crim. 17 janv. 1968, n° 66-93.786

■ Crim. 20 nov. 1990, n° 89-80.529 D. 1991. 272, obs. G. Azibert ; RTD civ. 1991. 765, obs. F. Zenati

■ Versailles, 11 mars 1986 D. 1987. Somm. 14, obs. Robert

■ Colmar, 25 nov. 2016, n° 15/01581

 

Auteur :Maëlle Harscouët de Keravel


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