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[ 28 octobre 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Il ne faut jamais dire jamais

Le délai de prescription pour agir en exécution forcée de la vente ou en demander la résolution et l’indemnisation de son préjudice court à compter du jour où le demandeur a connaissance du fait justifiant l’exercice de son action, celle-ci ne pouvant être, en matière de promesse de vente, seulement déduite de l’expiration de la date prévue pour la signature de l'acte authentique de vente.

Civ. 3e, 1 oct. 2020, n° 19-16.561

Une SCI avait consenti à une société immobilière départementale une promesse synallagmatique de vente (ou compromis), sous conditions suspensives, d’une parcelle de terrain sur laquelle était édifié un immeuble non achevé. Un avenant avait prorogé la date de réalisation des conditions suspensives et de signature de l’acte authentique de vente au 30 avril 2010. Après deux mises en demeure de réaliser la vente, adressées les 22 novembre 2013 et 12 mai 2015, et restées infructueuses, la SCI avait assigné la bénéficiaire de la promesse en indemnisation et résolution de la vente qu’elle considérait parfaite en raison de la réalisation, antérieure à son assignation, des conditions suspensives prévues. La bénéficiaire lui opposa avec succès une fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action, la cour d’appel saisie, pour déclarer l’action en résolution de la vente prescrite, ayant retenu que, dès le 1er mai 2010, date correspondant au jour suivant la date fixée dans la promesse pour la signature de l’acte authentique de vente, la venderesse savait que la promesse ne serait pas réitérée et qu’elle pouvait en conséquence exercer son action dès cette date (C. civ., art. 2224).

Devant la Cour de cassation, la venderesse, allègue que la prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance. Elle reprochait à la juridiction d’appel d’avoir fixé le point de départ du délai de prescription au terme fixé par le compromis pour la réitération de la vente par acte authentique, sans rechercher si à cette date, elle pouvait savoir avec certitude que sa cocontractante abandonnait définitivement le projet et qu’en conséquence, son dommage était effectivement réalisé, en sorte que la cour d’appel n’aurait pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 2224 du Code civil.

La Cour approuve la thèse du pourvoi et casse, au visa du texte précité, la décision des juges du fond. Elle affirme qu’en matière de promesse de vente, sauf stipulation contraire, l'expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvre le droit, pour chacune des parties, soit d'agir en exécution forcée de la vente, soit d'en demander la résolution et l'indemnisation de son préjudice, étant précisé, quoique la décision reste implicite sur ce point, que la date d’expiration de ce délai n’est pas extinctive mais constitutive du point de départ du délai pour agir. Elle ajoute ensuite que le fait justifiant l'exercice de cette action ne peut consister que dans la connaissance, par la partie titulaire de ce droit, du refus de son cocontractant d'exécuter son obligation principale de signer l'acte authentique de vente. Elle en déduit enfin qu’une telle connaissance ne peut être caractérisée uniquement par celle de la date d’expiration du terme prévu dans le compromis pour réitérer la vente en sorte que la cour d’appel, en fixant le point de départ de la prescription de l’action engagée au lendemain de la date prévue pour la réitération de la vente, n’a pas donné de base légale à sa décision.

Concernant le point de départ du délai d’une action en responsabilité contractuelle, la Cour de cassation applique, dans certains cas, le principe énoncé en matière de forclusion d’un crédit à la consommation, par l’assemblée plénière (Ass. plén., 6 juin 2003, n° 01-12.453) selon lequel « le point de départ d’un délai à l’expiration duquel une action ne peut plus s’exercer se situe à la date de l’exigibilité de l’obligation qui lui a donné naissance », c’est-à-dire à la date de l’inexécution de l’obligation. Lorsqu’une créance contractuelle a pour cause un manquement par une partie à l’une de ses obligations, a fortiori à son obligation principale qui consistait, en l’espèce, dans la signature de l’acte authentique, le point de départ de la prescription se situe en principe au jour de la réalisation du manquement contractuel. 

Cependant, dans la majorité des cas, les Hauts magistrats prennent plus pragmatiquement en compte la date à laquelle ce manquement contractuel, dommageable à la victime, lui a été révélé dès lors qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance (Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 05-15.572 ; Civ. 2e, 11 oct. 2007, n° 06-17.822 ; Civ.3e, 24 mai 2006, n° 04-19.716). Ce faisant, la Cour de cassation s’aligne sur les règles de prescription applicables à la responsabilité extracontractuelle pour les appliquer, dans une logique d’uniformité, à la matière contractuelle pour fixer le point de départ du délai de prescription au jour où le créancier découvre les faits justifiant son action, c’est-à-dire un ou plusieurs manquements contractuels, indépendamment de la date de leur réalisation. Seule compte alors celle de leur révélation à la victime. Ce principe, fondé sur l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio (P. Jourdain, « Quel est le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle ? », RTD civ. 1997, p. 957), soulève des difficultés dans son application. En ce sens, l’arrêt rapporté témoigne de la part d’incertitude inhérente à la recherche de la date à laquelle la victime doit être considérée comme avoir eu ou pu connaître les faits lui permettant d’agir.

La juridiction d’appel avait retenu celle correspondant au jour suivant celui fixé dans le compromis pour réitérer la vente, signant le refus net et sans appel de son bénéficiaire d’honorer son principal engagement. Selon elle en effet, dès cette date (1er mai 2010), la venderesse savait parfaitement que le compromis ne serait pas réitéré. C’est la raison pour laquelle elle fixa à cette date le point de départ du délai de prescription et jugea en conséquence son action en résolution, engagée le 29 juillet 2016 alors qu’elle était expirée depuis le 1er mai 2015, prescrite.

Au contraire, la Cour de cassation juge les motifs attaqués insuffisants à caractériser la connaissance par la venderesse du refus de l’acheteuse de réitérer la vente. Selon les Hauts magistrats, celle-ci ne pouvant être seulement déduite, de manière théorique, de l’expiration de la date prévue par les parties pour la signature de l’acte authentique, très certainement parce qu’en pratique, les parties ont coutume de proroger cette date par avenant. C’est d’ailleurs ainsi que les parties, avant de retenir la date du 30 avril 2010 pour réitérer la vente, avaient procédé pour retarder celle initialement prévue (au 31 octobre 2009). Il ressortait en outre des pièces versées aux débats que l’acheteuse avait fait savoir par courrier à la venderesse qu’elle avait, depuis le 1er mai 2010, entrepris de nouvelles démarches dans l’espoir de voir se réaliser l’une des conditions suspensives restant à réaliser pour la perfection de la vente, « tenant à la recevabilité du projet pour la collectivité ». Tout en sachant que le délai initialement prévu pour la réitération du compromis de vente au 30 avril 2010 était expiré, l’envoi de ce courrier signifiait probablement son intention d’obtenir de la venderesse un nouveau délai de réalisation de la condition suspensive en cause du compromis et par là-même, de proroger la durée de validité de celui-ci. 

Dans cette hypothèse, le point de départ de la prescription de l’action du vendeur aurait été reporté à l’expiration de ce nouveau délai de finalisation de la vente. Autrement dit, ce courrier semblait pouvoir produire un effet interruptif du délai de prescription de l’action en résolution de la vente par l’ouverture d’un nouveau délai de réitération du compromis. Indépendamment de ces circonstances propres à l’espèce, il ressort de la décision rapportée qu’en matière de promesse de vente immobilière, l’appréciation de la connaissance des faits permettant au créancier d’agir doit être concrète et pragmatique, et non technique et théorique. En effet, les projets immobiliers s’inscrivent dans un temps long dont les démarches nécessaires à leur réalisation peuvent retarder la finalisation des compromis de vente conclus à cet effet, dont la date est généralement à plusieurs reprises, prorogée. On devine que la Cour de cassation juge la position de la cour d’appel quelque peu rigide : selon cette dernière juridiction, la possibilité de finaliser la vente disparaissait au lendemain de la date prévue pour sa réitération. Le raisonnement était imparable, et l’affaire entendue. L’abandon du projet ne semblait pas aussi définitif, au vu des circonstances ultérieures manifestées par le courrier adressé par l’acheteuse, ayant légitimement nourri l’espoir de la venderesse de voir de la vente finalement conclue, même à de nouvelles conditions.

Références :

■ Ass. plén., 6 juin 2003, n° 01-12.453, P, D. 2003. 1905, note X. Lagarde ; ibid. 1692, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2003. 549, obs. D. Legeais ; ibid. 2004. 148, obs. B. Bouloc

■ Civ. 1re, 16 janv. 2007, n° 05-15.572

■ Civ. 2e, 11 oct. 2007, n° 06-17.822

■ Civ.3e, 24 mai 2006, n° 04-19.716, P, D. 2006. 1633, obs. I. Gallmeister ; RDI 2006. 311, obs. P. Malinvaud

 

Auteur :Merryl Hervieu

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