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Droit des obligations
Il ne faut jamais renoncer
La création d’une indivision successorale par un débiteur placé en liquidation judiciaire, ayant pour effet de soustraire un immeuble de son patrimoine en fraude des droits de ses créanciers est, en conséquence de l’action paulienne engagée par le liquidateur, inopposable à ce dernier qui peut ainsi demander la vente de ce bien dans sa totalité.
Tout débiteur qui pour échapper à la saisie de ses biens par ses créanciers organise son insolvabilité ou réduit la valeur de son patrimoine par la soustraction frauduleuse d’un bien ou d’une somme d’argent s’expose aux affres de l’action paulienne, remède offert à tout créancier par le régime général des obligations dont l’efficacité se trouve ici illustrée.
Un débiteur placé en liquidation judiciaire qui avait hérité, au décès de sa mère, de la propriété de la moitié d’un immeuble, avait renoncé au profit de son fils à la succession de son père, propriétaire de l’autre moitié de cet immeuble. Ainsi, le bien fut-il de ce fait placé en indivision entre eux deux. Le mandataire liquidateur avait alors engagé une action paulienne pour faire constater que cette renonciation successorale avait été effectuée en fraude de ses droits. Le juge commissaire ayant fait droit à sa demande, le liquidateur avait ensuite demandé en justice la vente du bien immobilier.
La cour d’appel rejeta sa demande au motif, d’une part, que, même frauduleuse à l’égard du créancier, la renonciation contestée au titre de l’action paulienne n’en demeurait pas moins valable entre le débiteur et le tiers qui en bénéficiait et d’autre part, que si cette renonciation lui était, en conséquence de son action paulienne inopposable, elle n’avait en revanche pas pour effet de réintégrer les biens aliénés dans le patrimoine du débiteur. La vente de l’immeuble, dans son intégralité, ne pouvait être obtenue, malgré le bien-fondé de l’action paulienne engagée, la validité de l’indivision du bien créée entre les parties ne pouvant être contestée.
Le liquidateur forma un pourvoi en cassation, alléguant que seule la fraude réalisée au préjudice de ses droits avait permis de rendre l’immeuble indivis, cette indivision successorale ne pouvant en conséquence lui être opposée pour lui refuser le droit de saisir l'immeuble en totalité.
Au visa de l’article 1167 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (devenu 1341-2), la Haute juridiction casse l’arrêt. Rappelant que « Selon ce texte, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits », elle juge que dans la mesure où l’indivision successorale créée sur le bien immobilier est la conséquence de la renonciation frauduleuse opérée par le débiteur, celle-ci est inopposable au liquidateur et ne peut produire aucun effet à son égard, en sorte qu’il est en droit d’obtenir la vente de l’immeuble dans son intégralité.
La fraude paulienne est réalisée par tout acte effectué par le débiteur à l’effet de soustraire un bien ou une somme d’argent aux poursuites de ses créanciers, tel que la renonciation à une succession (Civ. 1re, 7 nov. 1984, n° 83-15.433), sans qu’il soit nécessaire de constater un appauvrissement de son patrimoine (v. notam. Com. 1er mars 1994, n° 92-15.425, bien remplacé par un autre plus facile à dissimuler). La fraude paulienne n’implique pas nécessairement l’intention de nuire au créancier; elle peut résulter de la seule connaissance que le débiteur et son tiers complice ont du préjudice causé au créancier par l’acte litigieux (Civ. 1re, 29 mai 1985, n° 83-17.329, Civ. 1re, 12 déc. 2006, n° 04-11.579, ) , ce préjudice, dont dépend la réussite de l’action, exigeant du créancier qu’il démontre que l'acte frauduleux l'expose à « ne plus trouver (...) les éléments saisissables qui lui assuraient le paiement de sa créance » (G. Marty, P. Raynaud et Ph. Jestaz, Droit civil, Les obligations, Sirey, t. 2, 1989, n° 171), en l’espèce, le bien indivis dont la vente lui permettrait le règlement de sa créance.
Cette action singulière a pour effet de rendre l’acte frauduleux inopposable au créancier poursuivant, ainsi autorisé à en ignorer l’existence et à saisir le bien ou la somme indûment extraits du patrimoine de son débiteur : « l'inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude de ses droits afin d'en faire éventuellement saisir l'objet entre les mains du tiers » (Civ. 1re, 30 mai 2006, n° 02-13.495; Civ. 1re, 12 juill. 2006, n° 04-20.161). L’exercice de l’action paulienne ne peut avoir pour but ni d’obtenir la nullité de l’acte attaqué (Civ. 1re, 3 déc. 1985, n° 84-11.556 ; Civ. 1re, 20 déc. 2007, n° 07-10.739) ni d’obtenir la réintégration du bien soustrait frauduleusement dans le patrimoine du débiteur, mais de permettre au créancier lésé dans ses droits de les recouvrir en lui offrant la possibilité de procéder directement à la saisie du bien ou des sommes détournées, possibilité que l’annulation de l’acte, malgré les restitutions consécutives à celle-ci, ne permettrait pas à elle seule de réaliser, et que la réintégration compromettrait, rendant les valeurs ainsi réintroduites dans le patrimoine du débiteur également saisissables par les autres créanciers.
L’efficience des effets de l’action paulienne qu’illustre la décision rapportée se traduit par la décision de déclarer l’acte frauduleux inopposable en son entier (v. déjà. Civ. 1re, 6 févr. 2008, n° 06-20.993), permettant ainsi au liquidateur d’obtenir la vente du bien dans sa totalité, rappelant ainsi que le prononcé de l’inopposabilité des droits consentis par fraude sur un bien permet au créancier de poursuivre la vente forcée de ce bien, à la condition que ce dernier soit « libre de tout droit », c’est-à-dire non assorti de sûretés (Civ. 1re, 12 juill. 2005, n° 02-18.298).
Civ. 1re, 22 janv. 2020, n° 19-12.492
Références
■ Civ. 1re, 7 nov. 1984, n° 83-15.433 P
■ Com. 1 mars 1994, n° 92-15.425 P: D. 1994. 215, obs. E. Fortis, Defrénois, 1994. 1118, obs. D. Mazeaud
■ Civ. 1re, 29 mai 1985, n° 83-17.329 P
■ Civ. 1re, 12 déc. 2006, n° 04-11.579 P : D. 2007. 154
■ Civ. 1re, 30 mai 2006, n° 02-13.495 : D. 2006. 2717, note G. François ; RTD civ. 2006. 558, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Civ. 1re, 12 juill. 2006, n° 04-20.161
■ Civ. 1re, 3 déc. 1985, n° 84-11.556 P
■ Civ. 1re, 20 déc. 2007, n° 07-10.739
■ Civ. 1re, 6 févr. 2008, n° 06-20.993 P: D. 2008. 614 ; AJ fam. 2008. 170, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2008. 677, obs. B. Fages
■ Civ. 1re, 12 juill. 2005, n° 02-18.298 P: D. 2005. 2653, note P.-Y. Gautier
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