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Droit international public
Immunité de juridiction des organes ou entités d'États étrangers
Mots-clefs : État (souveraineté, chef d'État, représentant), Immunité de juridiction, Coutume internationale, Action publique (obstacle), Mandat d'arrêt (annulation), Faute non-intentionnelle
La coutume internationale qui s’oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d’un État étranger s’étend aux organes et entités qui constituent l’émanation de l’État ainsi qu’à leurs agents en raison d’actes qui relèvent de la souveraineté de l’État concerné.
Saisie de l'affaire du « Joola », du nom du ferry qui assurait la navette entre Dakar et la région de Casamance, et qui a sombré le 26 septembre 2002, au larges des côtes gambiennes, provoquant la mort de 1863 personnes (alors qu'il était conçu pour en transporter 550), la chambre criminelle revient, dans un arrêt du 19 janvier 2010, sur le champ d'application de l'immunité de juridiction des États étrangers.
Interrogée notamment sur la recevabilité des mandats d'arrêts délivrés par un juge d'instruction français à l'encontre du Premier ministre et du ministre des forces armées du Sénégal à l'époque des faits (une information pour homicides et blessures involontaires et défaut d'assistance à personne en péril avait été ouverte en France, sur le fondement de l'art. 113-7 C. pén. – principe de personnalité passive de la loi pénale française), la Haute Cour confirme l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour prononcer leur annulation, avait relevé que l'État sénégalais assurait, par la liaison maritime considérée, une mission de service public non commercial, et que le Joola avait le statut de navire militaire. Elle précise qu'« en effet, la coutume internationale qui s’oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d’un État étranger s’étend aux organes et entités qui constituent l’émanation de l’État ainsi qu’à leurs agents en raison d’actes qui, comme en l’espèce, relèvent de la souveraineté de l’État concerné ».
Certains auteurs ou complices bénéficient, en vertu du droit international, d'une immunité de juridiction rendant irrecevable toute action publique engagée contre eux devant les tribunaux français. Il en va ainsi pour les agents diplomatiques (art. 31 s. Conv. de Vienne du 18 avr. 1961), les fonctionnaires et employés consulaires (art. 43 Conv. de Vienne du 24 avr. 1963), certains fonctionnaires internationaux ou représentants des États devant les organisations internationales (fonctionnaires et agents des communautés européennes par ex. ; art. 12 Protoc. 8 avr. 1965) ainsi que pour les chefs d'État étrangers et certains membres de leurs gouvernements.
Cette dernière immunité — controversée — est fondée sur la coutume internationale. Elle vaut, pour le chef d'état étranger, quelle que soit l'infraction commise (Crim. 13 mars 2001). Et elle est donc étendue — ce que certains auteurs contestent — aux « organes ou entités qui constituent l'émanation de l'État, ainsi qu'à leurs agents, en raison d'actes qui relèvent de la souveraineté de l'État concerné » (v. déjà, Crim. 23 nov. 2004).
Crim. 19 janv. 2010
Références
■ Immunité de juridiction
Privilège dont bénéficient les agents diplomatiques et les souverains étrangers et en vertu duquel ces personnes ne peuvent être déférées aux juridictions de l'État où elles résident, ni en matière pénale ni en matière civile. Les États étrangers eux-mêmes, en tant que personnes morales, bénéficient du même privilège, de même que les organismes qui en sont l'émanation directe.
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Article 113-7 du Code pénal
« La loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu'à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction. »
■ Article 31 de la convention de Genève sur les relations diplomatiques
« 1. L’agent diplomatique jouit de l’immunité de la juridiction pénale de l’État accréditaire. Il jouit également de l’immunité de sa juridiction civile et administrative, sauf s’il s’agit :
a. D’une action réelle concernant un immeuble privé situé sur le territoire de l’État accréditaire, à moins que l’agent diplomatique ne le possède pour le compte de l’État accréditant aux fins de la mission ;
b. D’une action concernant une succession, dans laquelle l’agent diplomatique figure comme exécuteur testamentaire, administrateur, héritier ou légataire, à titre privé et non pas au nom de l’État accréditant ;
c. D’une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu’elle soit, exercée par l’agent diplomatique dans l’État accréditaire en dehors de ses fonctions officielles.
2. L’agent diplomatique n’est pas obligé de donner son témoignage.
3. Aucune mesure d’exécution ne peut être prise à l’égard de l’agent diplomatique, sauf dans les cas prévus aux al. a, b, et c du par. 1 du présent article, et pourvu que l’exécution puisse se faire sans qu’il soit porté atteinte à l’inviolabilité de sa personne ou de sa demeure.
4. L’immunité de juridiction d’un agent diplomatique dans l’État accréditaire ne saurait exempter cet agent de la juridiction de l’État accréditant. »
■ Article 43 de la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires – Immunité de juridiction
« 1. Les fonctionnaires consulaires et les employés consulaires ne sont pas justiciables des autorités judiciaires et administratives de l’État de résidence pour les actes accomplis dans l’exercice des fonctions consulaires.
2. Toutefois, les dispositions du par. 1 du présent article ne s’appliquent pas en cas d’action civile :
a. Résultant de la conclusion d’un contrat passé par un fonctionnaire consulaire ou un employé consulaire qu’il n’a pas conclu expressément ou implicitement en tant que mandataire de l’État d’envoi ; ou
b. Intenté par un tiers pour un dommage résultant d’un accident causé dans l’État de résidence par un véhicule, un navire ou un aéronef. »
■ Article 12 du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (in Chapitre V - Fonctionnaires et agents des Communautés européennes)
« Sur le territoire de chacun des États membres et quelle que soit leur nationalité, les fonctionnaires et autres agents des Communautés :
a) jouissent de l'immunité de juridiction pour les actes accomplis par eux, y compris leurs paroles et écrits, en leur qualité officielle, sous réserve de l'application des dispositions des traités relatives, d'une part, aux règles de la responsabilité des fonctionnaires et agents envers les Communautés et, d'autre part, à la compétence de la Cour pour statuer sur les litiges entre les Communautés et leurs fonctionnaires et autres agents. Ils continueront à bénéficier de cette immunité après la cessation de leurs fonctions,
b) ne sont pas soumis, non plus que leurs conjoints et les membres de leur famille vivant à leur charge, aux dispositions limitant l'immigration et aux formalités d'enregistrement des étrangers,
b) jouissent, en ce qui concerne les réglementations monétaires ou de change, des facilités reconnues par l'usage aux fonctionnaires des organisations internationales,
d) jouissent du droit d'importer en franchise leur mobilier et leurs effets à l'occasion de leur première prise de fonctions dans le pays intéressé, et du droit, à la cessation de leurs fonctions dans ledit pays, de réexporter en franchise leur mobilier et leurs effets sous réserve, dans l'un et l'autre cas, des conditions jugées nécessaires par le gouvernement du pays où le droit est exercé,
e) jouissent du droit d'importer en franchise leur automobile affectée à leur usage personnel acquise dans le pays de leur dernière résidence ou dans le pays dont ils sont ressortissants aux conditions du marché intérieur de celui-ci et de la réexporter en franchise, sous réserve, dans l'un et l'autre cas, des conditions jugées nécessaires par le gouvernement du pays intéressé. »
■ Crim. 13 mars 2001, D. 2001. 2631, note Roulot ; JDI 2002. 804, note Santulli ; Gaz. Pal. 2001. 1. 772, concl. Launay.
■ Crim. 23 nov. 2004, Bull. crim. n° 292 ; Gaz. Pal. 24 mars 2005, note Chanet.
■ A. Huet et R. Koering-Joulin, Droit pénal international, 3e éd., PUF, 2005, coll. « Thémis », nos 148 et 158.
■ Sur l'application de la loi pénale dans l'espace et le principe de personnalité passive, v. T. Garé et C. Ginestet, Droit pénal – Procédure pénale, 5e éd., Dalloz, 2008, coll. « HyperCours », n° 66 s.
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