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[ 4 février 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Implication du véhicule dans l’accident : l’important est de participer

Le véhicule qui ralentit dans une montée et se fait dépasser par le véhicule qui le suit joue un rôle dans l’accident de la circulation qui survient à ce dernier lors du dépassement, alors même qu'il n'y a eu aucun contact entre eux.

Au cœur du régime spécial d’indemnisation des accidents de la circulation créé par la loi Badinter figure la notion d’implication du véhicule terrestre à moteur (L. n° 85-677, 5 juill. 1985, art. 1er), dont la spécificité, notamment au regard de celle, voisine et plus connue, de causalité, se trouve ici illustrée. 

Dans une montée, le conducteur d’une motocyclette avait accéléré afin de dépasser par la gauche  une voiture qui le précédait et qui avait ralenti. Il avait alors perdu le contrôle de son véhicule et heurté un animal qui, venant du bas-côté de la route, avait au même moment traversé la chaussée. Blessé à la suite de cet accident, le conducteur de la moto avait assigné la conductrice de la voiture et l’assureur de celle-ci, ainsi que le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO) en réparation de ses préjudices.

La cour d’appel le débouta de sa demande formée à l’encontre de la conductrice et de son assureur, considérant que l’automobile n’était pas impliquée dans l’accident et qu’en conséquence, seul le FGAO pouvait, au titre de sa garantie, l’indemniser de son dommage. En effet, selon les juges du fond, l’absence de tout contact entre les deux véhicules mis en cause écartait d’elle-même l’implication du premier dans la survenance de l’accident : même en son absence, le second « serait de toutes façons » entré en collision avec l’animal, que son conducteur n’aurait en toute hypothèse pu éviter compte tenu de la vitesse à laquelle il roulait au moment où il effectuait le dépassement. Ainsi la voiture n’avait-elle joué, d’après la cour d’appel, aucun rôle dans la collision. Le FGAO se pourvut en cassation, avec succès, la Haute cour rappelant, au visa de l’article 1er de la loi précitée sur les accidents de la circulation, « qu’au sens de ce texte, un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation ». Or la cour d’appel ayant relevé que le deux-roues avait entrepris de dépasser le véhicule le précédant à la suite du ralentissement de ce dernier et que l’accident était survenu au cours de ce dépassement, il en résultait que ce véhicule avait bel et bien joué un rôle dans sa réalisation, ce qui justifie la cassation de sa décision. 

Cette solution rappelle la souplesse d’appréciation de la notion d’implication, conformément à la volonté du législateur que les hauts magistrats prennent soin, depuis longtemps, de respecter. Dès l’origine, l’ « implication » a été entendue, sans être exactement définie, comme un concept devant être, dans un but indemnitaire, beaucoup plus lâche que celui de causalité. Sans s’y opposer frontalement, l’implication continuant de reposer sur un principe de causalité, c’est-à-dire de mise en relation entre un effet et le(s) fait(s) l’ayant produit, elle s’en distingue néanmoins par l’événement dont la cause, précisément, est recherchée : alors que la causalité interroge directement le lien entre le fait du véhicule et la survenance du dommage, l’implication pose plus largement la question de la participation du véhicule, non pas à la survenance du dommage, mais à celle de l’accident. C’est la raison pour laquelle l’absence de fait actif du véhicule dans la réalisation du dommage n’exclut pas, en soi, son implication (Civ. 2e, 14 oct. 1987, n° 86-14.526 ; Civ. 2e, 20 mars 1989, n° 87-16.806 ; Civ. 2e, 17 mars 1993, n° 91-16.676 ; Civ. 2e, 15 janv. 2015, n° 13-27.448). L’acception large de la notion d’implication en jurisprudence explique que celle-ci soit retenue dès lors qu’une simple participation du véhicule à la survenance de l’accident, à quelque titre que ce soit, est établie (Civ. 2e, 24 févr. 2000, n° 98-12.731). 

Si en cas de contact, la condition d’implication est irréfragablement remplie, que le véhicule soit en mouvement ou à l’arrêt (Civ. 2e, 25 janv. 1995, n° 92-17.164, « Est nécessairement impliqué dans l’accident tout VTM qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement »), à défaut de contact entre le véhicule et la victime de l’accident, l’implication peut néanmoins, comme en l’espèce, être retenue, dès lors qu’il suffit que le véhicule soit intervenu « d'une manière ou d'une autre » dans l’accident (Civ. 2e, 28 févr. 1990, n° 88-20.133 ; Civ. 2e, 18 mars 1998, n° 96-13.726), sans qu’il soit donc nécessaire d’établir le lien de causalité de cette intervention avec le préjudice subi (Civ. 2e, 11 avr. 1986, n° 85-11.092 : « L’absence d’un lien de causalité entre la faute d’un conducteur et le dommage subi n’exclut pas que le véhicule puisse être impliqué dans l’accident au sens de la loi de 1985 »). L’implication du véhicule ayant participé ou contribué à l’accident sera, malgré l’absence de contact avec celui conduit par la victime, d’autant plus facilement retenue s’il était en mouvement au moment de l’accident, cette circonstance favorisant l’établissement de son rôle perturbateur bien que l’implication d’un véhicule à l’arrêt ne soit pas en soi exclue, même à défaut de contact (V. pour une dernière illustration, Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-20.910). 

Ainsi en l’espèce, ce fut bien à la suite du ralentissement de la voiture, qui demeurait en mouvement, que la victime avait entrepris de la dépasser, manœuvre au cours de laquelle l’accident né du heurt avec l’animal qui avait surgi s’était produit. Malgré l’absence de contact, la Haute cour juge le rôle causal de la voiture dans la survenance de l’accident établi. Même indirect et éloigné, la cause directe et première du dommage résidant dans le choc entre le motard et l’animal, ce rôle suffit à caractériser l’implication du véhicule et à engager, en conséquence, la responsabilité de son conducteur.

Civ. 2e, 12 déc. 2019, n° 18-22.727

Références

■ Civ. 2e, 14 oct. 1987, n° 86-14.526

■ Civ. 2e, 20 mars 1989, n° 87-16.806

■ Civ. 2e, 17 mars 1993, n° 91-16.676

■ Civ. 2e, 15 janv. 2015, n° 13-27.448: D. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout

■ Civ. 2e, 24 févr. 2000, n° 98-12.731: D. 2000. 86 ; RTD civ. 2000. 348, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 25 janv. 1995, n° 92-17.164: RTD civ. 1995. 382, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 28 févr. 1990, n° 88-20.133 P: D. 1991. 123, note J.-L. Aubert ; RTD civ. 1990. 508, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 18 mars 1998, n° 96-13.726

■ Civ. 2e, 11 avr. 1986, n° 85-11.092

■ Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-20.910 P: D. 2019. 2089 ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz

 

Auteur :Merryl Hervieu

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