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Droit de la famille
Impossibilité d’agir en contestation de paternité : conformité à l’article 8 de la Conv. EDH
Mots-clefs : Filiation, Action en contestation de paternité, Délai de prescription, Vie privée et familiale, Intérêt de l’enfant, Contrôle de proportionnalité
L’intérêt de l’enfant peut justifier que son père juridique, même s’il peut rapporter la preuve génétique de la non-conformité de son lien de filiation à la réalité biologique, se voit opposer une impossibilité d’agir en contestation de paternité à l’expiration d’un délai de prescription de 12 mois.
La faveur de la Cour européenne des droits de l'homme pour la vérité biologique, qui se manifeste sur le terrain du droit de connaître ses origines, trouve également des manifestations en matière de droit de la filiation. Dans un arrêt Róźański c/ Pologne du 18 mai 2006 (CEDH 18 mai 2006, Róźański c/ Pologne), la Cour européenne a ainsi considéré que le fait, pour un père biologique, d'avoir été empêché d'établir sa paternité du fait de l'établissement de la sienne par le nouveau compagnon de la mère de l'enfant constitue une violation du droit au respect à la vie familiale.
La Cour européenne a aussi été amenée à consacrer le droit de contester une filiation qui ne serait pas conforme à celle-ci. Par les arrêts Mizzi c/ Malte du 12 janvier 2006 et Paulik c/ Slovaquie du 10 octobre 2006.(CEDH 12 janv. 2006, Mizzi c/ Malte et CEDH 10 oct. 2006, Paulik c/ Slovaquie), prolongeant l'arrêt Shofman c/ Russie du 24 novembre 2005, la Cour a dénoncé la non-conformité au droit au respect de la vie privée et familiale de l'impossibilité d’agir en contestation de paternité dès lors que le requérant peut rapporter la preuve génétique de la non-conformité de son lien de filiation à la réalité biologique.
Dans le premier arrêt, il s'agissait d'un homme marié qui ne pouvait plus contester sa paternité pour cause de prescription alors même qu'un test ADN démontrait qu'il n'était pas le père de l'enfant de sa femme. Dans le second arrêt, le père se voyait opposer l'autorité de chose jugée du jugement qui avait établi sa filiation plus de trente ans auparavant. Dans ces deux décisions, la Cour européenne, tout en reconnaissant la légitimité de la recherche de sécurité des liens juridiques qui soutiennent les relations familiales, choisit d’exercer un contrôle de proportionnalité entre ce but, légitime, et l'atteinte au droit à la vie privée et familiale que représente l'impossibilité de remettre en cause un lien de filiation qui ne correspond ni à la vérité biologique ni, d'ailleurs, à la réalité affective. Aussi la Cour admit-elle dans ces arrêts que l'institution d'un délai pour agir en contestation de paternité peut se justifier par le souci de garantir la sécurité juridique des rapports familiaux et de protéger l'intérêt de l'enfant, mais là encore, elle exerça un contrôle sur les modalités de prescription à l’effet de vérifier que celles-ci ne portaient pas une atteinte excessive au droit de contester sa paternité. Tel est notamment le cas lorsque le délai de prescription est très court, comme dans l'arrêt Mizzi, relatif à une prescription de six mois. Par ailleurs, la Cour affirma dans l'arrêt Paulik que la computation des délais de prescription ne peut commencer que lorsque le titulaire de l'action a connaissance de la vérité sur sa paternité.
Dans l’espèce rapportée, il était à nouveau question de la prescription d’une action en contestation de paternité. Le requérant avait reconnu l’enfant de sa femme, qu’il savait pourtant ne pas être le sien, ce que confirma par la suite un test ADN qu’il fit réaliser. Une fois divorcé, il avait souhaité contester en justice sa paternité, ce qu’il ne put faire personnellement en raison de l’expiration du délai de 12 mois prévu par la législation polonaise pour demander l’annulation d’une reconnaissance de paternité. Il avait alors demandé au procureur d’introduire une action en son nom. Celle-ci échoua, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant : alors qu’il était parfaitement conscient de ne pas être le père biologique de l’enfant, encore mineur à cette date, le demandeur avait néanmoins consenti à en être le père juridique.
Devant la Cour européenne prévalut également l’intérêt de l’enfant de laisser son lien de filiation inchangé. De manière générale, l’on sait que la Cour accorde une importance particulière aux sentiments de l'enfant et à son désir de conserver ou non sa filiation (v. F. Dekeuwer-Defossez,). Ainsi jugea-t-elle dans l'arrêt Mizzi comme dans l'arrêt Paulik l'impossibilité de contestation d'autant moins justifiée que les enfants en cause dans ces deux affaires ne s’opposaient pas à la remise en cause de leur filiation. Dans l’espèce rapportée, au contraire, cet élément n’était pas établi.
De surcroît, le délai de prescription prévu par la législation polonaise n’était pas bref au point de pouvoir déduire de son expiration une atteinte excessive au droit du requérant de contester sa paternité.
Cette décision, conjuguée aux précédentes, invite à s'interroger sur la compatibilité du droit français, relatif au régime de la contestation de la filiation, avec les exigences européennes. On peut en douter en raison, notamment, de l'absence totale de prise en compte, dans la détermination du point de départ des délais pour contester la filiation, de la connaissance par le père de la réalité de la filiation (en ce sens, Fl. Dekeuwer-Defossez, obs. préc.). Toutefois, la promotion, par la Cour européenne, de l’intérêt de l’enfant et de la réalité des liens qu’il entretient avec celui qui entend contester sa filiation, pourrait conduire les juges européens, le cas échéant, à considérer que l'influence conférée par le droit français à la possession d'état contribue à instaurer une proportionnalité admissible entre l'atteinte au droit de contester sa filiation et l'objectif de sécurisation de la filiation de l'enfant (V. not. C. civ., art. 333).
CEDH 18 févr. 2014, A.L. c. Pologne, n°28609/08
Références
■ CEDH 18 mai 2006, Róźański c/ Pologne, n° 55339/00, Dr. fam. 2006, alerte 54 ; Lamy 2006/33 p. 33, obs. J. Flauss-Diem.
■ CEDH 12 janv. 2006, Mizzi c/ Malte, n°55339/00.
■ CEDH 10 oct. 2006, Paulik c/ Slovaquie, n°10699/05, RJPF 2007. 41, obs. F. Dekeuwer-Defossez.
■ CEDH 24 nov. 2005, Shofman c/ Russia, n°74826/01.
« Lorsque la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté.
Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement. »
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