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[ 24 novembre 2021 ] Imprimer

Droit de la consommation

Inapplicabilité aux personnes morales publiques de la protection contre les clauses abusives

Réputée agir pour régler les affaires de sa compétence, une commune ne peut être qualifiée de non-professionnel et se prévaloir de la législation contre les clauses abusives.

Com. 4 nov. 2021, n° 20-11.099

Le Code de la consommation s’applique d’abord aux consommateurs mais également aux non-professionnels. Rappelons que son article liminaire définit le non-professionnel comme « toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ».

Pour bénéficier de la protection du Code de la consommation sur les clauses abusives, une commune (collectivité publique territoriale détentrice de la personnalité morale) avait tenté de démontrer qu’elle avait agi en non-professionnel en ayant souscrit quatre prêts destinés à refinancer des prêts antérieurs pour la réalisation d'investissements, les contrats litigieux prévoyant des taux d’intérêts variables selon les différentes périodes considérées. La commune avait assigné la banque aux fins de voir juger notamment que la stipulation du taux de l'intérêt conventionnel ou, à défaut, la clause d'indexation, ainsi que la clause relative à l'indemnité de remboursement anticipé, étaient réputées non écrites en raison de leur caractère abusif.

La cour d’appel la débouta de sa demande au motif que la commune ne pouvait être qualifiée de non-professionnel dès lors que les emprunts, contractés pour financer ses activités et notamment ses investissements, étaient « en rapport direct avec son activité ». La commune avait donc agi dans un but professionnel, quoique non commercial.

Celle-ci se pourvoit en cassation, invoquant la violation de l’article L. 212-1 du Code de la consommation. Elle considère qu’elle ne peut être qualifiée de professionnel, ayant agi dans un but d’intérêt général et non à des fins lucratives.

La Cour de cassation rejette son pourvoi, marquant ainsi son refus de reconnaître à une personne morale de droit public la qualité de « non-professionnel ». Cet enseignement essentiel s’appuie sur deux points : d’une part, le refus d’étendre la notion de « non-professionnel à une personne morale publique ; d’autre part, l’indifférence au caractère onéreux des contrats conclus, en réponse au moyen du pourvoi tiré du but non lucratif, lié à l’intérêt général, de leur conclusion.

■ Sur la qualité de « non-professionnel » : « Une commune, qui est réputée agir pour régler les affaires de sa compétence, ne peut être qualifiée de non-professionnel au sens de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du Code de la consommation et ne peut donc se prévaloir du caractère abusif d'une clause d'un contrat pour demander que cette clause soit réputée non écrite ».

En effet, le « non-professionnel » vise celui qui n’agit pas à des fins professionnelles. Plus précisément, ce syntagme désigne celui « qui contracte en vue d’obtenir un bien ou un service pour satisfaire ses propres besoins, et non pas celui qui contracte un bien ou un service pour le revendre, le transformer ou l’utiliser dans le cadre de sa profession » (Rép. min.: JOAN Q 1979, p. 3448). Ainsi s’agit-il d’appliquer aux professionnels qui concluent un contrat n’ayant pas de rapport direct avec l’exercice de leurs professions les dispositions protectrices du droit de la consommation, notamment celles relatives à l’élimination des clauses abusives (v. not. Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-18.469). Cependant, alors qu’à l’origine, la qualité de « non-professionnel » ne pouvait être reconnue qu’aux personnes physiques, l’adoption par les juges d’une approche extensive de la notion (Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285 : « si, par arrêt du 22 novembre 2001, la cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit : « la notion de consommateur (…) doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement des personnes physiques », la notion distincte de non-professionnel, utilisée par le législateur français, n’exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives ») a permis d’inclure dans la catégorie des « non-professionnels » les personnes morales publiques. Bien que celles-ci ne puissent pourtant être considérées comme des professionnels ordinaires puisqu’elles ont l’obligation de poursuivre l’intérêt général, ce qui n’est pas par essence lucratif, et qu’elles ne peuvent davantage être traitées comme des consommateurs, n’étant pas des personnes physiques, elles sont pourtant concernées par la législation consumériste. Et pour cause. La qualité de « professionnel » au sens de la directive n° 93/13/CEE inclut les « activités professionnelles à caractère public » (Dir. n° 93/13/CEE, préc., consid. 12 et 14, art. 2, c.). La directive n° 2011/83/UE vise même « toute personne […] publique » et définit en outre le professionnel comme « toute personne […] publique […] qui agit […] dans le cadre de son activité commerciale, industrielle » (Dir. n° 2011/83/UE, préc., art. 2, 2). La jurisprudence française a suivi ce mouvement, qu’il s’agisse de la Cour de cassation ou du Conseil d’État. En leur qualité de professionnels, les personnes publiques sont d’abord soumises à l’interdiction de stipuler des clauses abusives prévue par le droit de la consommation. À titre d’illustration, une commune gérant un service public de distribution d’eau a été reconnue comme obligée de respecter la réglementation des clauses abusives dans ses rapports avec les usagers (Civ. 1re, 3 janv. 1996, n° 93-19.322 ; Civ. 1re, 5 mars 2002, n° 00-18.202). Par symétrie, se pose ensuite naturellement la question, au cœur de l’arrêt rapporté, de l’applicabilité de la réglementation des clauses abusives au bénéfice cette fois des personnes publiques. La réponse devrait, a priori, être positive. Puisque la qualité de « professionnel » leur est sans difficulté reconnue par le droit supranational comme interne, a pari, dès lors qu’elles contractent dans un but étranger à l’exercice de leur activité publique, elles devraient pouvoir se voir reconnaître la qualité de « non-professionnels » et ainsi bénéficier de la protection offerte par le droit de la consommation contre les clauses abusives. Au-delà, trois arguments plaident plus précisément en faveur de la protection des personnes publiques en qualité de « non-professionnels », notamment en ce qui concerne les clauses abusives : la mutabilité, l’égalité, et la continuité (v. P. Bourdon, « Les droits et obligations des personnes publiques en droit de la consommation », Rev. UE, n° 590).

Premier argument : la mutabilité : Depuis déjà quelques décennies, l’environnement des personnes publiques a changé, ce qui appelle à une évolution du droit qui leur est applicable. En effet, la gestion des services publics implique désormais que de nombreuses collectivités publiques, de taille réduite et de faible puissance économique, contractent avec des entreprises dont le champ d’action s’est mondialisé. Cette nouvelle faiblesse de la puissance publique, susceptible de conduire à la conclusion de contrats déséquilibrés au profit de firmes internationales et au détriment de la personne morale publique, justifierait de faire profiter cette dernière de la protection sur les clauses abusives.

Deuxième argument : l’égalité : La plupart des litiges entre les professionnels publics et leurs usagers concernent la réglementation des clauses abusives (G. Clamour, « Personnes publiques et droit de la consommation », J.-Cl. Adm. 2013, nos 85 et 90-91). Symétriquement, il serait justifié que les personnes publiques bénéficient de cette réglementation lorsqu’elles s’adressent à leur tour à des professionnels pour obtenir des travaux, des services ou des fournitures. Un premier cap avait en ce sens été franchi par le Conseil d’État en 2005, ayant reconnu aux prestataires des personnes publiques la qualité de « professionnel » (CE 23 févr. 2005, n° 264712).

Troisième et dernier argument : la continuité. Les personnes publiques bénéficient d’ores et déjà d’une protection contre les clauses pénales « manifestement » déséquilibrées de leurs contrats, que ce soit en droit civil (C. civ. art. 1231-5) ou en droit administratif (CE 29 déc. 2008, n° 296930). Une telle protection est comparable à celle offerte par le droit de la consommation. Ainsi, ce que le droit civil ou le droit administratif considère comme une clause pénale déséquilibrée, le droit de la consommation devrait le considérer comme une clause abusive.

Et pourtant, l’extension de la protection consumériste aux personnes publiques en leur qualité de « non-professionnel » se voit ici exclue. 

De même que la jurisprudence avait déjà borné la qualification de « non-professionnels » aux personnes morales de droit privé pour tenir compte du principe de spécialité, qui limite par principe leur capacité juridique, celles-ci ne pouvant passer des actes que dans la limite de leur destination, les mêmes contours s’appliquent aux personnes morales de droit public. Comme l’affirme la Cour, une commune n’est réputée contracter qu’à l’effet de régler les affaires relevant de son champ de compétence. Partant, sauf à renverser cette présomption, elle ne peut se prévaloir du caractère abusif d'une clause d'un contrat pour en demander l’annulation. 

Autrement dit, elle ne peut être qualifiée de « non-professionnel » car sa pratique contractuelle ne se justifie que par l’exercice des activités de service public qui sert de fondement à sa compétence, ce qui correspond plus généralement à l’exercice d’une profession, comme en atteste le fait qu’en l’espèce, les contrats de prêts conclus par la commune l’avaient été pour financer ses activités de distribution et de services relevant des affaires publiques communales dont le règlement lui incombe. 

Ainsi la commune empruntait-elle, dans ce contexte, la figure d’un professionnel entendu comme celui qui exerce une activité économique habituelle conforme à son objet social. Certes, comme la plupart des collectivités publiques, les communes concluent quotidiennement des contrats dans le cadre de leur activité de service public, mais qui se trouvent hors de leur spécialité. Cependant, ce critère tiré de « la compétence » est depuis longtemps remplacé par celui, plus restrictif, du « rapport direct » avec l’activité considérée. Or la commune avait bien conclu des contrats entretenant un rapport direct avec son activité de service public, ce qui conduisait logiquement à la soustraire du champ de la protection contre les clauses abusives.

■ L’appréciation des clauses du contrat de prêt: Aussi bien, la Cour refuse-t-elle l’annulation des clauses litigieuses souscrites par la commune en qualité de professionnelle aux motifs complémentaires qu’ « (a)ucune disposition légale ou réglementaire, ni aucun principe jurisprudentiel, n'interdit aux parties à un contrat de prêt de prévoir une clause d'indexation du taux d'intérêt excluant la réciprocité de la variation de ce taux et, lorsque le contrat stipule le paiement d'intérêts à un taux variable, de convenir que, quelle que soit l'évolution des paramètres de calcul de ce taux, celui-ci demeurera supérieur à un plancher, inférieur à un plafond ou compris entre de telles limites ». Un arrêt rendu le même jour (Com. 4 nov. 2021, n° 19-21.288) était par ailleurs venu préciser qu’un prêt de ce type, « même s'il est assorti d'une clause d'indexation complexe et comporte un aléa, demeure une opération de crédit et ne peut être vu comme un produit d'investissement », et que « (l)e seul fait qu'un contrat de prêt stipule un taux d'intérêt variable en fonction de paramètres financiers déterminés ab initio ne peut suffire à établir que ce contrat incorpore un instrument financier à terme. »

Prolongeant le précédent, ces motifs invitent à ne pas opérer de confusion entre la notion de profession et celle de profit. Qu’une personne morale ne participe pas à une opération spéculative ou ne tire pas de bénéfices du contrat souscrit ne peut justifier de substituer à sa qualité de professionnel celle de consommateur. Ainsi, plus généralement, une personne morale à but non lucratif ne se trouve-t-elle pas pour autant en situation de consommateur final. En recourant au crédit, la commune a en l’espèce financé des services socialement utiles et représentant donc une valeur, même si ces services ne sont pas directement rémunérés par ceux qui en bénéficient. Elle a donc emprunté pour financer diverses prestations au profit de ses administrés, ce qui constituait une consommation intermédiaire. Au surplus, la légalité des clauses dénoncées est acquise.

En conséquence de l’ensemble qui précède, la commune devait voir son pourvoi rejeté.

Références :

■ Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-18.469 P: DAE 28 nov. 2019, note M. Hervieu; D. 2019. 2331, note S. Tisseyre ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2019. 546, obs. Y. Picod

■ Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285 P: D. 2005. 1948, note A. Boujeka ; ibid. 887, obs. C. Rondey ; ibid. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 401, obs. D. Legeais ; ibid. 2006. 182, obs. B. Bouloc ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon ; ibid. 473, étude B. Vincendeau

■ Civ. 1re, 3 janv. 1996, n° 93-19.322 P: D. 1996. 228, note G. Paisant ; ibid. 325, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1996. 609, obs. J. Mestre

■ Civ. 1re, 5 mars 2002, n° 00-18.202 P: D. 2002. 2052, et les obs. ; RTD civ. 2002. 291, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2002. 716, obs. B. Bouloc

■ CE 23 févr. 2005, n° 264712 A: AJDA 2005. 668, note J.-D. Dreyfus ; RFDA 2005. 483, concl. D. Casas ; RTD eur. 2006. 301, chron. D. Ritleng ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon

■ CE 29 déc. 2008, OPHLM de Puteaux, n° 296930 A: AJDA 2009. 8 ; ibid. 268, note J.-D. Dreyfus ; RDI 2009. 248, obs. J. Coronat

■ Com. 4 nov. 2021, n° 19-21.288

 

Auteur :Merryl Hervieu


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