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[ 21 juin 2018 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Inaptitude du salarié : quel juge pour quelle réparation ?

Si l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C’est un conflit de normes doublé d’un conflit de compétence que doit trancher la Cour de cassation dans ces deux arrêts, avec d’un côté le code de la sécurité sociale et son régime spécifique d’indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) et, de l’autre côté, le code du travail et l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

Dans les deux espèces, un salarié est victime d’un accident du travail qui le place dans une situation d’inaptitude physique, constatée par le médecin du travail. Cette incapacité motive ensuite son licenciement. Le code de la sécurité sociale permet dans ce cas à tout travailleur de percevoir des indemnités, notamment une rente pour incapacité de travail. Mais le salarié estime que l’accident dont il a été victime résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité instituée par le code du travail (C. trav., L. 4121-1). Il réclame alors une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation de son préjudice de perte injustifiée de son emploi. L’employeur se réfugie toutefois derrière le code de la sécurité sociale et l’immunité instituée à son profit. L’article L. 451-1 exclut en effet toute action en réparation du préjudice résultant d’un AT/MP sur le fondement du droit commun. Il en va ainsi même en cas de faute inexcusable de l’employeur qui ouvre droit à un complément d’indemnisation pour le salarié victime et qui permet une action des caisses de sécurité sociale contre l’employeur fautif. Qui plus est, les litiges liés à la reconnaissance de l’AT/MP, de la faute inexcusable ou encore au montant des indemnités, ressortissent de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). 

Comment donc opérer, dans une telle situation, le partage entre droit de la sécurité sociale et droit du travail ? 

Il est certain qu’un salarié ne peut pas demander au juge prud’homal la réparation d’un préjudice qui n’est que la conséquence d’un AT/MP. Dans un arrêt du 9 janvier 2015 (n° 13-12.310), la chambre mixte de la Cour de cassation retient ainsi que « la perte de droits à la retraite, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, est couverte, de manière forfaitaire, par la rente majorée qui présente un caractère viager et répare notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation ». Il s’ensuit qu’un salarié ne peut pas demander à un conseil de prud’hommes, à la suite de son licenciement, de condamner l’employeur à lui verser une indemnisation pour la perte de ses droits à retraite : il s’agit là d’une demande de réparation des conséquences de l’accident du travail qui relève donc du code de la sécurité sociale et de la compétence exclusive du TASS. C’est ce qu’a estimé la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 6 octobre 2015, approuvant une cour d’appel d’avoir rejeté ainsi la demande d’un salarié (Soc. 6 oct. 2015, n° 13-26.052). Mais dans ce même arrêt, la Cour de cassation ajoute que le salarié ne peut pas demander non plus sur le fondement du code du travail une indemnité réparant la perte de son emploi. On aurait pu alors penser que le licenciement pour inaptitude, même en présence d’un manquement de l’employeur à son obligation légale de sécurité, peut demeurer pourvu d’une cause réelle et sérieuse. Il n’aurait resté au salarié que la possibilité d’invoquer une faute inexcusable de l’employeur devant le TASS pour obtenir un complément d’indemnisation sur le fondement du code de la sécurité sociale. Reste que, dans l’arrêt du 6 octobre 2015, il n’est pas formellement question d’une demande de dommages-intérêts pour licenciement injustifié, le salarié ayant formulé une demande d’indemnisation autonome, sans contester la cause réelle et sérieuse de son licenciement. 

Les deux arrêts du 3 mai 2018 viennent donc préciser la jurisprudence. La Cour de cassation rappelle que « la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Elle ajoute qu’« est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée ». La solution retenue dans l’arrêt précité du 6 octobre 2015 n’est certes pas remise en cause. Le salarié ne peut pas formuler directement une demande de réparation en invoquant le manquement à l’obligation de sécurité. Il doit passer par la demande d’absence de cause réelle et sérieuse, cette dernière résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. L’indemnisation dépendra donc des nouveaux planchers et plafonds institués par les ordonnances travail (C. trav., L. 1235-3). Mais la solution demeure favorable au salarié, qui pourra obtenir un dédommagement pour la perte injustifiée de son emploi, en présence d’un manquement à l’employeur à son obligation de sécurité, sans avoir à invoquer devant le TASS l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur et à formuler une demande de complément d’indemnisation. 

Soc. 3 mai 2018, n° 16-26.850

Soc. 3 mai 2018, n° 17-10.306

Références

■ Cass., ch. mixte, 9 janv 2015, n° 13-12.310 P : D. 2015. 164 ; RDT 2015. 345, obs. J. Morin.

■ Soc. 6 oct. 2015, n° 13-26.052 P : D. 2015. 2081 ; Dr. soc. 2015. 1043, obs. M. Keim-Bagot ; RDT 2016. 42, obs. N. Moizard.

 

Auteur :Benoît Géniaut


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