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Droit des successions et des libéralités
Incapacité des infirmières d’être gratifiés : précisions sur les conditions de son application
Une infirmière qui a soigné un patient pour le traiter d’une maladie dont il est décédé ne peut recevoir un legs de sa part, même consenti avant le diagnostic de cette maladie dès lors que l’auteur de cette libéralité est mort de cette pathologie et qu’il en était déjà atteint durant le traitement prodigué.
Civ. 1re, 16 septembre 2020, n° 19-15.818
Une femme est décédée le 13 avril 2014 d'un cancer des sinus. Au début du mois d’octobre 2012, elle avait passé divers examens qui avaient permis de diagnostiquer le caractère malin d’une grosseur préalablement observée. Cette malignité ne pouvait être suspectée à partir des premiers symptômes apparus au cours du mois de septembre et au tout début du mois d’octobre 2012, période durant laquelle une infirmière lui avait prodigué des soins. Par un testament olographe du 5 octobre 2012, la patiente avait légué divers biens mobiliers et immobiliers à cette infirmière.
A la suite du décès, le frère de la défunte, et unique héritier, contesta la capacité de l’infirmière à recevoir le legs litigieux. Celle-ci l’assigna alors en justice pour en obtenir la délivrance. En cause d’appel, sa demande fut accueillie. Le frère de la défunte forma un pourvoi en cassation aux fins de voir annuler la libéralité qu’il jugeait avoir été consentie en violation de l’article 909 alinéa 1er du Code civil. Aux termes de ce texte, « (l)es membres des professions médicales (…), ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci ».
On sait que l’incapacité de recevoir à titre gratuit qui frappe en général les médecins traitants et en particulier, les infirmières en leur qualité d’auxiliaires médicales, trouve sa justification dans une présomption légale de suggestion et de captation à l’égard du patient qui se trouve dans la dépendance de ceux qui le soignent. Irréfragable, cette présomption ne souffre aucune preuve contraire (Cass., req., 7 avr.1863, D.1863, 1, Jur., p.231 ; Civ. 1re, 22 janv.1968, D.1968, Jur.p.382).
La présente décision nous offre l’occasion de rappeler les conditions d’application de l’incapacité de recevoir de l’article 909 du code civil, qui se présente comme une incapacité de jouissance (et non d’exercice ; sur cette distinction, V. A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 5e éd., n° 168 s., p. 159), la question essentielle étant de savoir si cette incapacité dépend seulement, comme la loi le prévoit, de l’existence, à la date de la libéralité, de la dernière maladie dont est décédé le disposant ou si elle est également soumise à la condition, comme la cour d’appel l’avait retenu, de la postérité de la date de son diagnostic à celle de la libéralité consentie.
Selon l’énoncé du moyen, la cour d’appel aurait ainsi violé l’article 909 du Code civil en ajoutant à ce texte une condition d’application qu’il ne comporte pas, tenant en l’espèce à l’antériorité de la rédaction du testament au diagnostic de la maladie fatale à son auteure.
En effet, pour dire que l’infirmière avait la capacité de recevoir le legs, les juges du fond s’étaient principalement appuyés sur le fait que le testament litigieux avait été rédigé (quatre jours) avant le diagnostic de la maladie dont la testatrice était décédée. Or, ledit article indique seulement que le praticien gratifié par son patient doit avoir traité celui-ci pour la dernière maladie dont il est décédé. Il est muet, en revanche, quant à la date de son diagnostic. De surcroît, la notion de dernière maladie n’était pas discutée en l’espèce, le fait que la défunte était déjà malade au jour de la rédaction du testament étant acquis. Le grief du moyen paraît donc fondé car en constatant que les soins prodigués par l’infirmière étaient, en considération de la période durant laquelle elle les avait dispensés, nécessairement en relation avec la maladie qui avait causé la mort de sa patiente, la cour a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne prévoit pas, justifiant la cassation de sa décision.
Notons simplement qu’il en eût été autrement si l’infirmière avait été gratifiée bien avant l’apparition de la maladie fatale à la testatrice : la caractérisation de la condition relative à la date de la libéralité reste évidemment nécessaire pour faire le lien, requis par la loi, entre le traitement prodigué et la dernière maladie de l’auteur de la libéralité. On ajoutera que la notion de dernière maladie, quoique non discutée en l’espèce, est une question de fait, parfois d’une redoutable complexité, qui échappe en tout cas au contrôle de la Cour de cassation d’après une jurisprudence fort ancienne (Cass., req., 12 janv. 1853, S.1853, S.1833, 1, Jur.p.339).
Il convient surtout de rappeler que l’article 909 du code civil est un texte d’exception puisqu’il porte atteinte à la libre disposition de la quotité disponible. La règle qu’il édicte doit être, par conséquent, interprétée strictement. L’objectif recherché étant d’éviter les captations d’héritage, l’analyse retenue par la cour d’appel n’était pas, sous cet angle, dénuée d’intérêt puisqu’en dépit du silence légal, l’article 909 du Code civil ne devrait pouvoir s’appliquer, selon la juridiction du second degré, qu’au personnel médical qui a traité le donateur non pas seulement pour sa dernière maladie mais en connaissance de cause de la mortalité que cette pathologie impliquait. Sans aller jusqu’à soutenir que ce texte ne devrait recevoir application qu’à partir du moment où l’état du malade est désespéré, les juges du fond entendaient limiter l’incapacité de recevoir des professionnels médicaux au cas où le testament litigieux a été rédigé postérieurement au diagnostic établissant le risque de mortalité de la maladie (telle un cancer), dont la testatrice était, en l’espèce, effectivement décédée. Par ce raisonnement téléologique, la cour d’appel entendait ainsi privilégier l’esprit à la lettre, en l’occurrence lacunaire, du texte. C’est sans doute la raison pour laquelle elle avait aussi pris soin d’ajouter que la libéralité trouvait sa cause dans « les liens affectifs anciens et libres de toute emprise, entretenus par la testatrice avec celle qui lui apportait son soutien et sa présence après le décès de son époux ». Juge du droit, la Cour de cassation désapprouve logiquement cette analyse, accueillant la thèse du pourvoi au motif calqué sur son exposé que « l’incapacité de recevoir un legs est conditionnée à l’existence, au jour de la rédaction du testament, de la maladie dont est décédé le disposant, peu important la date de son diagnostic, la cour d’appel, qui a ajouté une condition à la loi, a violé le texte (de l’article 909 du code civil) ».
Références
■ Cass., req., 7 avr. 1863 : D. 1863, 1, Jur., p. 231
■ Civ. 1re, 22 janv. 1968 : D. 1968, Jur .p. 382
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