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Droit des personnes
Incapacité juridique d’une association de recevoir un legs
Le legs consenti à une association dépourvue de la capacité juridique de recevoir au jour du décès du disposant est nul.
Civ. 1re, 14 avr. 2021, n° 19-19.306
Le 23 juin 2012, une femme décède en l’état d’un testament instituant la fondation Brigitte Bardot légataire universelle, à charge pour elle de distribuer la moitié de l’héritage à une association chargée de la protection animale.
Une fois le legs accepté, la fondation assigne l’association bénéficiaire du legs, faisant valoir que celle-ci ne disposait pas, au jour du décès de la testatrice, de la capacité juridique recevoir une telle libéralité, et voir ainsi juger réputée non écrite la clause du testament instituant selon elle une charge illicite.
Dans le cadre de cette procédure engagée par la fondation pour refuser la qualité de légataire à l’association, une personne morale (la Confédération nationale des sociétés françaises de protection animale - CNSPA) est intervenue volontairement aux fins d'être autorisée à accepter le legs pour faire ensuite bénéficier l'association, conformément à la volonté de la testatrice.
La fondation fait grief à la juridiction d’appel d'autoriser la CNSPA à accepter le legs universel consenti par la testatrice, pour moitié de sa succession, au profit de l'association, alors « que pour être capable de recevoir par testament, il faut être conçu au moment du décès du testateur »; contrairement à cette règle, la cour d'appel, après avoir constaté qu'au jour du décès de la testatrice, l'association était inapte à recevoir le legs, a néanmoins considéré qu'elle profitait de la capacité de la CNSPA, peu important qu'elle se soit affiliée à cette confédération postérieurement au décès. En se prononçant ainsi, au regard de circonstances postérieures au décès et en faisant rétroagir les effets de l'affiliation, la cour d'appel, qui devait se déterminer au regard de la capacité qui était celle de l'association au jour du décès, aurait ainsi violé les articles 906 et 911 du Code civil.
La Cour de cassation donne raison à la fondation et casse en conséquence, au visa des articles 906, alinéa 2, et 911, alinéa 1er, du Code civil, la décision des juges du fond. Elle rappelle qu’aux termes du premier de ces textes, pour être capable de recevoir par testament, il convient d’être conçu à l’époque du décès du testateur et que selon le second, toute libéralité au profit d’une personne morale, frappée d’une incapacité de recevoir à titre gratuit, est nulle. Elle déduit ensuite de la combinaison de ces textes, dont le premier traduit le principe fondamental suivant lequel il ne peut exister de droits sans sujets de droits, que le legs consenti à une association dépourvue de la capacité de recevoir une libéralité au jour du décès du disposant est nul. Or la cour d’appel avait autorisé la CNSPA à accepter le legs au bénéfice de l’association au motif que si en première instance, celle-ci était inapte à recevoir un legs, il en allait différemment avec l’intervention en cause d’appel de la CNSPA, peu important que l’affiliation de l’association à cette dernière fût postérieure au décès de la testatrice dès lors que la CNSPA disposait quant à elle, à cette date, de la capacité juridique requise.
En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s’est déterminée au regard de la capacité d’une personne morale à laquelle n’avait pas été reconnue la qualité de légataire, a violé les textes susvisés.
Cette décision illustre les enjeux de la personnalité morale en même temps qu’elle en précise les conditions d’attribution ainsi que les effets.
Nul ne conteste aujourd’hui que la personnalité juridique peut être reconnue à certaines personnes morales, c’est-à-dire à des groupements de personnes (physiques ou morales) ou de biens, bien qu’elles constituent des entités abstraites et incorporelles a priori inconciliables avec la qualité de sujet de droit traditionnellement reconnue aux seules personnes physiques. Dans cette perspective, il convient de rappeler que cette extension, faute de théorie de la personnalité morale qui en eût précisé la nature et le régime, a divisé la doctrine durant tout le 20e siècle.
A l’origine, dans une vision strictement individualiste du droit, la personnalité juridique, désignant l’aptitude à être titulaire actif ou passif de droits subjectifs, était considérée comme ne pouvant appartenir qu’à des personnes physiques. L’argument tiré de la ratio legis a néanmoins conduit à reconnaître également la personnalité juridique à des groupements de personnes ou de biens, notamment à des associations : en effet, si l’on considère que la personnalité juridique traduit l’aptitude à être un sujet de droit , qu’elle présuppose la réunion d’intérêts juridiquement protégés et d’une volonté apte à les mettre en œuvre, alors doit-on admettre qu’à l’instar des personnes physiques, dont l’autonomie indiscutée de la volonté les rend aptes à défendre les intérêts individuels qui sont les leurs, la personnalité juridique doit être pareillement reconnue aux groupements qui possèdent à la fois une volonté collective transcendant celle des membres qui les composent qui les rendent capables de représenter et de défendre leurs intérêts collectifs. Il fut alors progressivement admis que si la personnalité juridique profitait naturellement aux personnes physiques, il était non seulement concevable mais également nécessaire de l’attribuer à certaines entités alors qualifiées de « personnes morales », ce que le recours à diverses théories doctrinales permit(L. Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application en droit français, 2e éd., LGDJ, 1924 ; rééd., LGDJ, 1998, rappelant les deux théories principales de la fiction et de la réalité pour justifier cette reconnaissance). A certaines conditions, la personnalité juridique fut ainsi reconnue, notamment, aux associations de personnes, elles-mêmes appartenant à la catégorie plus large des personnes morales de droit privé dont l’extrême diversité permet, au même titre que les fondations, de les inclure en leur sein.
Toutes ne peuvent pas, toutefois, se voir reconnaître cette qualité ; en effet, deux éléments sont essentiels pour l’attribution de la personnalité morale : un intérêt propre, d’une part, et une possibilité d’expression collective, d’autre part:
- La personne morale doit d’abord pouvoir se prévaloir d’un intérêt distinct de celui des membres qui la compose. L’autonomie de cet intérêt permet précisément d’ériger un groupement en sujet de droit autonome. Qu’il soit pécuniaire (droit aux bénéfices pour les sociétés) ou non (associations, syndicats…), cet intérêt est essentiel puisqu’il « constitue la limite de l’exercice [des pouvoirs] qui doit tout à la fois s’inscrire dans le cadre de l’activité définie par l’acte constitutif du groupement et viser à la satisfaction du but qui lui est assigné » (G. Wicker, « Personne morale », Rép. civ. 1998, n° 31);
- La personne morale doit également être organisée en sorte de pouvoir exprimer et défendre cet intérêt collectif. La structuration de cette représentation, qui peut être collective (syndicat, conseil municipal, etc) ou individuelle (gérant, maire ou président de société), est en tout cas impérative.
Précisément, les associations satisfont ces conditions. En effet, selon l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901, l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Désintéressée, l’association défend un intérêt transcendant celui personnel à ses membres tel que, pour reprendre l’hypothèse de l’espèce, la défense de la cause animale ; au surplus, cet intérêt est défendu et promu par le biais d’une représentation structurée.
Cependant, l’attribution de la personnalité morale aux associations dépend en plus des conditions traditionnelles précitées du respect du formalisme institué à leur endroit : la déclaration et le dépôt de leurs statuts en préfecture suivie d’une insertion au Journal officiel. Au-delà, même régulièrement accomplie, cette formalité, si elle permet de reconnaître aux associations la qualité de personne morale, ne suffit pas à leur conférer une capacité juridique pleine et entière. Si en principe, outre l’autonomie patrimoniale, l’attribution de la personnalité juridique à un groupement a pour effet de lui conférer la capacité de jouissance, entendue comme la vocation à être sujet de droits réels et personnels, les personnes morales, à la différence des personnes physiques jouissant d’une capacité complète, voient leur capacité de jouissance limitée. Cette limite résulte notamment de la forme même de la personne morale. Ainsi, quand certaines d’entre elles (sociétés, groupements d’intérêt économique, syndicats) disposent d’une capacité presque complète, il n’en va pas de même pour les associations, sauf pour celles qui sont reconnues d’utilité publique par décret en Conseil d’État. Seules ces dernières ont ce qu’on appelle la « grande personnalité » dans la mesure où elles seules ont la capacité de recevoir des libéralités.
En l’espèce, seule détenait cette capacité, à la date du décès de la testatrice, la CNSPA, précisément intervenue en cause d’appel en sa qualité d’association reconnue d’utilité publique, qui l’habilitait à recevoir le legs litigieux qu’elle devait mettre ultérieurement au profit de l’association bénéficiaire, simple association déclarée au jour du décès, et partant inapte à recevoir cette libéralité. L’erreur d’analyse des juges du fond résidait dans la fausse considération que la capacité requise au jour du décès était celle de la CNSPA, alors même que celle-ci n’avait pas été désignée comme légataire et que l’affiliation de la véritable légataire à cette confédération, par sa postérité au décès de la testatrice, était dépourvue d’effet (V. déjà, Civ. 1re, 22 juill. 1987, n° 85-13.907 et 85-14.507 : est nul le legs consenti à une donation inexistante au jour du décès du disposant).
Conforme aux textes susvisés, cette décision tire de leur combinaison la conséquence logique que l’acquisition par une association de la personnalité juridique postérieurement au décès du disposant ne peut permettre de valider rétroactivement le legs qui lui a été attribué. Ainsi, par une application orthodoxe des textes applicables, la Cour de cassation s’oppose-t-elle, dans cette hypothèse, à la régularisation a posteriori de la libéralité consentie, qui reviendrait à autoriser les juges du fond à donner effet à une interposition de personnes prohibée au disposant (C. civ., art. 911, al. 1er).
Références
■ Pour aller plus loin: V. Dalloz coaching, la personnalité morale
■ Code des associations et des fondations, Dalloz 2021
■ Fiches d'orientation : Association
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