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Droit des personnes
Incapacités : la seule altération des facultés ne justifie pas d’être protégé
L’ouverture d’une mesure de protection juridique exige le constat, par les juges du fond, que l’altération des facultés mentales ou corporelles de l’intéressé soit de nature à empêcher l’expression de sa volonté.
Un juge des tutelles avait placé un incapable sous le régime de la curatelle renforcée, pour une durée de cinq ans. Ce dernier avait interjeté appel du jugement, cependant confirmé au motif qu’il résultait de l’expertise médicale ordonnée avant dire droit que si les fonctions cognitives de celui-ci n’étaient pas altérées, il présentait des difficultés d’autonomie physiques que, de surcroît, il minimisait. Son pourvoi en cassation est accueilli au visa des articles 425 et 440 du Code civil. Rappelant que l’ouverture d’une mesure de protection juridique exige la constatation, par les juges du fond, soit de l’altération des facultés mentales de l’intéressé, soit de l’altération de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté, la Haute cour reproche à la cour d’appel d’avoir ordonné au demandeur la mesure litigieuse sans préciser si l’altération de ses facultés corporelles l’empêchait d’exprimer sa volonté.
Par la décision rapportée, la Cour de cassation procède au rappel de deux des trois grands principes devant guider le juge pour protéger l’incapable : la nécessité et la proportionnalité (outre la subsidiarité). C’est ainsi que le juge devra décider de l’opportunité de placer un majeur sous un régime de protection, et déterminer la mesure la plus adaptée.
D’une part, la mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité (C. civ, art. 428, al. 1er). Ce principe se traduit de différentes manières. D’abord, toute demande d’ouverture d’une mesure d’ouverture de protection doit nécessairement être accompagnée d’un certificat médical circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République (C. civ, art. 431). L’objectif est d’éviter les ouvertures de mesures judiciaires abusives. Comme l’illustre la décision rapportée, ce certificat doit permettre d’établir que la personne est dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (C. civ, art. 425). La « nécessité » qui justifie l’ouverture de la mesure ne peut donc être que médicale. Cependant, ce préalable indispensable ne doit pas occulter le devoir fait au juge de constater que l’ensemble des conditions d’ouverture de la mesure de protection sont effectivement réunies, celle notamment relative aux effets de l’altération constatée : l’impossibilité dans laquelle se trouve l’incapable d’exprimer sa volonté.
Le principe de nécessité se traduit aussi dans le caractère temporaire de la mesure de protection. En principe, le juge ne peut pas prononcer une mesure à durée indéterminée, même si l’état de la personne ne laisse espérer aucune amélioration. La durée de la mesure dépend de la nature de celle-ci : la sauvegarde de justice ne peut pas dépasser un an, la curatelle et la tutelle cinq ans. En l’espèce, la durée prévue par les juges du fond était maximale, ce qui justifie d’autant plus que l’insuffisante motivation de leur décision ait entraîné la cassation.
D’autre part, la proportionnalité de la mesure est, au même titre que sa nécessité, un principe directeur essentiel à la décision judiciaire. Le régime de protection doit donc, au cas par cas, être adapté à la situation individuelle du majeur, les trois mesures prévues - sauvegarde de justice, curatelle et tutelle -, constituant un panel modulable par le juge, lequel peut non seulement choisir la mesure la plus opportune mais également l’adapter, la personnaliser, ou même la faire cesser, selon les évolutions et les besoins de la personne. Ainsi le juge peut-il, comme ce fut le cas à l’origine de cette affaire, renforcer la curatelle (C. civ, art. 472) en interdisant au majeur de faire seul des actes en principe autorisés dans une curatelle classique (actes d’administration, perception des revenus et gestion des dépenses par le curateur) ; cela signifie que l’instauration d’une mesure de sauvegarde de justice avait été jugée, de toute évidence, insuffisante mais également qu’une représentation continue avait sans doute été considérée disproportionnée et excessive. En tout état de cause, le seul constat, par les juges du fond, de la faible autonomie physique du demandeur, sans que ces derniers ne précisent si cette faiblesse privait l’incapable d’exprimer sa volonté pour justifier son besoin d'être assisté ou contrôlé dans la gestion de ses biens et de sa personne était clairement insuffisant.
« Cap ou pas cap ? », se demandent souvent les enfants. Dans les cours d’école comme devant les cours de justice, il n’est pas toujours facile d’y répondre…
Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 17-22.777
Référence
■ Fiches d’orientation Dalloz : Curatelle, Majeur protégé, Majeur protégé (droits)
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