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[ 20 janvier 2021 ] Imprimer

Droit de la famille

Inconnu à cette adresse

L’impossibilité de localiser le père prétendu est un motif légitime de ne pas procéder à l’expertise biologique.

Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-21.850

Une mère assigne un homme en recherche de paternité. Elle est déboutée de sa demande aux motifs que la copie intégrale de l’acte de naissance de l’enfant versée au débat n’avait pas été actualisée, que l’enfant aurait pu être reconnu dans l’intervalle par le défendeur ou par un tiers, qu’aucun document officiel permettant de s’assurer des prénoms, nom, date et lieu de naissance du défendeur, défaillant à l’instance, n’avait été établi. 

La cour d’appel rejette également la mesure d’expertise biologique demandée, jugée vaine dans la mesure où « le défendeur n’a pas été assigné à sa personne, où l’acte n’a pas été remis à un proche ayant connaissance de ses coordonnées et étant resté en contact avec lui » ; or, « ’il ne peut être tiré des conséquences d’un refus de se soumettre à l’expertise que si le défendeur a eu personnellement connaissance que celle-ci a été ordonnée à son égard ». 

La mère forme un pourvoi, reprochant d’une part à la cour d’appel d’avoir statué par un motif hypothétique relatif à l’établissement purement éventuel d’un lien de filiation paternelle à l’égard de l’enfant et d’autre part, d’avoir subordonné son action en recherche de paternité et sa demande d’expertise biologique à des conditions que la loi ne prévoit pas. 

La Cour de cassation rend un arrêt de rejet : rappelant qu’il résulte de l’article 310-3, alinéa 2, du Code civil que l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder, elle rattache à cette réserve légale l’impossibilité matérielle de procéder à l’expertise en raison de l’impossibilité de localiser le père prétendu. Partant, la cour d’appel ayant relevé que l’expertise serait « manifestement vaine » dès lors que l’adresse du défendeur était inconnue, ainsi que cela ressortait du procès-verbal attestant de l’insuccès des recherches entreprises a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision. » 

L’analyse des empreintes génétiques constitue le meilleur moyen de découvrir la vérité d’une filiation. Toutefois, le législateur a souhaité empêcher la banalisation du recours aux tests de paternité dont les résultats, susceptibles de dévoiler des mensonges menaçant la paix des familles et surtout l’intérêt des enfants. Ainsi ceux qui s’interrogent sur la réalité de leur filiation ne peuvent-ils pas librement assouvir leur soif de vérité : « (en) matière civile, l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides » (C. civ., art. 16-11, al. 2). En revanche, lorsqu’une action relative à une filiation (ou à des subsides) est, telle qu’en l’espèce, engagée dans le cadre légal, l’expertise génétique est non seulement possible mais quasiment impérative : qu’elle soit sollicitée par l’une ou l’autre des parties, le juge doit en principe l’ordonner, celle-ci ayant été jugée « de droit en matière de filiation » (Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806 ; Cass., ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17.975, 06-10.039), comme « en matière d’action à fins de subsides » (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-12.641). L’impérativité de l’expertise biologique consacrée par la jurisprudence déroge aux règles de procédure civile applicables en la matière : en effet, en principe, « une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve » (C. pr. civ., art. 146) ; au contraire, le juge saisi d’une requête en expertise biologique ne peut la rejeter au motif normalement admis que celui qui la sollicite ne produit pas d’éléments suffisants, ou suffisamment probants, pour qu’elle soit accueillie. En droit de la filiation, quiconque a par conséquent la faculté d’engager une action même sans preuves à l’appui et d’exiger, pour combler cette lacune, la réalisation d’une expertise génétique ou d’un examen comparé des sangs pour obtenir la preuve qui, précisément, lui fait défaut.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. En effet, il existe plusieurs hypothèses dans lesquelles le juge peut refuser d’ordonner une expertise biologique. Une telle mesure peut ainsi être exclue lorsqu’il existe, comme le précise d’ailleurs toujours la Cour lorsqu’elle est saisie de ce type de litiges, « un motif légitime de ne pas y procéder ». La Cour confirme dans cet arrêt la légitimité du motif du refus procéder à cet examen même s’il est de droit en cas d’impossibilité de localiser le père prétendu, comme elle l’avait déjà exclu pour ce même motif, « géographique », du père conjugué à celui tiré de l’impossibilité, à défaut d’éléments produits par la mère, de pratiquer l’examen sur un tiers afin de pouvoir exclure la paternité du défendeur (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.582). 

Soulignons enfin qu’un tel refus est rarement prononcé, d’où l’intérêt présenté par la décision rapportée. Privé du pouvoir d’apprécier l’opportunité d’une demande d’expertise, le juge ne peut refuser d’y accéder que dans les cas, outre celui ici illustré, où la demande apparaît manifestement formulée à des fins dilatoires (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.325) ou plus fréquemment, successorales (Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-15.037 ; Civ. 1re, 31 mai 2005, n° 02-11-784 ; Civ. 1re, 3 nov. 2004, n° 02-11.699).

Références

■ Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806 P : D. 2000. 731, et les obs., note T. Garé ; ibid. 2001. 404, chron. S. Le Gac-Pech ; ibid. 976, obs. F. Granet ; ibid. 1427, obs. H. Gaumont-Prat ; ibid. 2868, obs. C. Desnoyer ; RTD civ. 2000. 304, obs. J. Hauser

■ Cass., ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17.975, 06-10.039 P: D. 2007. 3078, obs. L. Dargent ; ibid. 2008. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2008. 160, obs. R. Perrot ; ibid. 284, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-12.641 P: D. 2005. 1804 ; ibid. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.582 P : D. 2005. 1805 ; ibid. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.325 P : D. 2005. 1804 ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-15.037 P : D. 2008. 1624, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 53, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 773, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2010. 604, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2008. 298, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2008. 464, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 31 mai 2005, n° 02-11.784 D. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts

■ Civ. 1re, 3 nov. 2004, n° 02-11.699 : RTD civ. 2005. 376, obs. J. Hauser

 

Auteur :Merryl Hervieu


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