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Droit constitutionnel
Inconstitutionnalité avec effet différé et inconventionnalité d’une disposition législative
Mots-clefs : Disposition inconstitutionnelle, Abrogation différée, Convention européenne des droits de l’homme, Arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État, Art. L. 224-8 CASF
Lorsqu’une déclaration d’inconstitutionnalité ne bénéficie pas à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité en raison de l’effet différé de la décision du Conseil constitutionnel (Const. 58, art. 61-1 et 62), il arrive que le juge judiciaire considère la même disposition non-conforme à la Convention européenne des droits de l’homme afin d’en faire bénéficier le requérant.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 avril 2013 était saisie d’une question relative au délai de recours applicable à l’article L. 224-8 du CASF. Ces dispositions prévoient que l'arrêté du président du conseil général admettant l'enfant en qualité de pupille de l'État peut, dans un délai de 30 jours, faire l'objet d'un recours devant le TGI. Il donne le droit de former ce recours aux parents, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, ainsi qu'aux alliés de l'enfant ou à toute personne justifiant d'un lien avec celui-ci et qui demandent à en assurer la charge.
En l’espèce, un enfant né le 7 avril 2009 sans filiation paternelle établie fut placé de façon provisoire à sa naissance par décision de l’autorité judiciaire. À la suite du décès de la mère le 20 octobre 2009, un procès-verbal de recueil de l’enfant par l’Aide sociale à l’enfance fut rédigé le 30 novembre 2009 afin que ce dernier soit admis en qualité de pupille de l’État. Le président du conseil général l’admet par arrêté du même jour, puis par arrêté du 1er décembre 2009. Sur le fondement de l’article L. 224-8 du CASF, la grand-mère maternelle de l’enfant demande au tribunal de grande instance l’annulation de l’arrêté d’admission de son petit-fils en qualité de pupille de l’État et sa désignation en qualité de gardien de l’enfant. Après avoir été jugée recevable mais rejetée en première instance (11 mai 2010), sa demande fut déclarée irrecevable en appel (2 déc. 2010) en raison de la tardiveté du recours, le délai de 30 jours courant à compter de la date de l’entrée en vigueur de l’arrêté, soit le 1er décembre 2009. La grand-mère joint alors à son pourvoi en cassation, une question prioritaire de constitutionnalité. Le 6 juin 2012, le Conseil constitutionnel était saisi par la première chambre civile de la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « L’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, en ce qu’il fait courir le délai de trente jours contre l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État à compter de la date de l’arrêté du président du conseil général, sans prévoir la publicité de cet arrêté, est [-il] contraire au principe constitutionnel garantissant le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction et à l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen [ ?] ».
Le Conseil constitutionnel déclare l’article L. 224-8 (al. 1er) du CASF contraire à la Constitution sur le fondement de la méconnaissance du droit des personnes intéressées par l’exercice d’un recours effectif devant une juridiction (DDH, art. 16) (Cons. const. 27 juill. 2012).
En effet, si le législateur a pu choisir de donner qualité pour agir à des personnes dont la liste n’est pas limitativement établie et qui ne sauraient, par conséquent, recevoir toutes individuellement la notification de l’arrêté en cause, il ne pouvait, sans priver de garanties légales le droit d’exercer un recours juridictionnel effectif, s’abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l’enfant sont effectivement mises à même d’exercer ce recours. Cependant, sur le fondement de l’article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a fixé la date de l’abrogation au 1er janvier 2014 et en a reporté dans le temps ses effets. L’abrogation de l’article L. 224-8, alinéa 1er du CASF s’applique donc uniquement pour la contestation des arrêtés d’admission en qualité de pupille de l’État pris après le 1er janvier 2014.
Le Conseil constitutionnel s’était donc prononcé dans un sens favorable à la demande de la grand-mère de l’enfant devenu pupille de l’État relative à la non-conformité à la Constitution de l’article L. 224-8 du CASF mais celle-ci ne pouvait s’appliquer en l’espèce en raison de l’effet différé de la décision.
La Cour de cassation, dans sa décision du 9 avril 2013, casse l’arrêt de la cour d’appel du 2 décembre 2010 en opérant un contrôle de conventionnalité. Pour cela, elle se réfère à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et considère que « si le droit à un tribunal, dont le droit d’accès concret et effectif constitue un aspect, n’est pas absolu, les conditions de recevabilité d’un recours ne peuvent toutefois en restreindre l’exercice au point qu’il se trouve atteint dans sa substance même ; […] une telle atteinte est caractérisée lorsque le délai de contestation d’une décision, tel que celui prévu par l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, court du jour où la décision est prise non contradictoirement et que n’est pas assurée l’information des personnes admises à la contester. » Ainsi, la grand-mère de l’enfant « n’avait pas été informée, en temps utile, de l’arrêté et de la faculté de le contester ».
En conséquence, le cas d’espèce à l’origine de la QPC n’aura pas bénéficié de l’inconstitutionnalité de la disposition du CASF mais par le contrôle de conventionnalité opéré par la Cour de cassation, une grand-mère pourra peut-être élever son petit fils…
Civ. 1re, 9 avr. 2013, n° 11-27.071
Références
■ Civ. 1re, 6 juin 2012, n° 11-27.071, AJ fam. 2012. 454, note Eudier ; RTD civ. 2012. 523, obs. Hauser.
■ Cons. const. 27 juill. 2012, n° 2012-268 QPC, JO 28 juill., p. 12355 ; AJ fam. 2012. 454, note Eudier ; RTD civ. 2012. 718, obs. Hauser ; JCP 2012, n° 36, p. 1590, chron. Mathieu ; LPA 2012, n° 211, p. 6, note Niemiec-Gombert ; Dr. fam. 2012, n° 10, p. 22, note Neirinck.
■ Sur le thème de la constitutionnalité et de la conventionnalité, v. égal. les célèbres arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 15 avril 2011 concernant la garde à vue, n°s 10-17.049, 10-30.313, 10-30.316 et 10-30.242, D. 2011. 1080 ; AJ pénal 2011. 311, obs. Mauro ; Constitutions 2011. 326, obs. Levade ; RSC 2011. 410, obs. Giudicelli ; RTD civ. 2011. 725, obs. Marguénaud.
■ Constitution du 4 octobre 1958
Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité de l'élection du Président de la République.
Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin.
Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article.
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61 ne peut être promulguée ni mise en application.
Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.
Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »
■ Article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
■ Article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme - Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Article L. 224-8 du de l’action sociale et des familles
« L'admission en qualité de pupille de l'État peut faire l'objet d'un recours, formé dans le délai de trente jours suivant la date de l'arrêté du président du conseil général devant le tribunal de grande instance, par les parents, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, par les alliés de l'enfant ou toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge.
S'il juge cette demande conforme à l'intérêt de l'enfant, le tribunal confie sa garde au demandeur, à charge pour ce dernier de requérir l'organisation de la tutelle, ou lui délègue les droits de l'autorité parentale et prononce l'annulation de l'arrêté d'admission.
Dans le cas où il rejette le recours, le tribunal peut autoriser le demandeur, dans l'intérêt de l'enfant, à exercer. »
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