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[ 18 décembre 2025 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Indemnisation des victimes d’actes de terrorisme : la personne dont la qualité de partie civile a été reconnue par la justice pénale ne bénéficie pas nécessairement de la procédure civile spécifique d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme

La Cour de cassation juge que la qualité de partie civile reconnue par le juge pénal à une personne se déclarant victime d’un acte de terrorisme ne s’impose pas au juge civil. En effet, la loi a fait de la procédure civile d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme un mécanisme autonome pour garantir une réparation rapide et uniforme de leurs dommages corporels. Pour autant, la Cour de cassation tend à uniformiser les critères appliqués par le juge civil et le juge pénal pour reconnaitre à une personne la qualité de victime d’un acte de terrorisme. Elle tient ainsi compte de la particularité de l’acte terroriste dont l’auteur cherche à semer l’effroi sans viser nécessairement une ou des personnes déterminées.  

Ass. Plén. 28 nov. 2025, n° 24-12.555, 24-10.571 et 24-10.572

◊ Repères

 - La procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (art. L. 126-1 du Code des assurances et L. 217-6 du Code de l’organisation judiciaire) : L’indemnisation des préjudices corporels des victimes d’actes de terrorisme est assurée par le « Fonds de garantie pour l’indemnisation des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions » (FGTI). Depuis 2019, lorsque le FGTI refuse l’indemnisation ou lorsqu’aucun accord n’est trouvé sur le montant à verser, le recours ne peut être porté que devant la juridiction civile de Paris (appelée « JIVAT »). 

 - La participation des victimes d’actes de terrorisme à la procédure pénale (art. 706-16-1 du Code de procédure pénale) : Les personnes présumées victimes d’un acte de terrorisme ne peuvent pas demander la réparation de leur préjudice au juge pénal. L'action civile en réparation de ce dommage ne peut être exercée que devant la juridiction civile. Toutefois, elles peuvent se constituer parties civiles devant la juridiction pénale qui est saisie des faits. La constitution de partie civile permet aux personnes présumées victimes du dommage directement causé par l'infraction de soutenir l’action publique (les poursuites) : une partie civile a accès au dossier ; elle peut faire entendre sa voix lors de l’instruction et du procès. 

◊ Les faits et les procédures

 - Affaires n°1 et 2 : L’attentat de la Promenade des Anglais (24-10.571 et 24-10.572). Le 14 juillet 2016, à Nice, un terroriste a conduit à vive allure un camion-bélier sur la Promenade des Anglais : il a percuté volontairement la foule qui était rassemblée sur la voie à l’occasion de la fête nationale. Certaines des personnes présentes ne se trouvaient pas aux abords immédiats de la zone de circulation du camion. Ces personnes ont néanmoins demandé au FGTI la réparation du dommage psychologique qu’elles ont subi et se sont constituées parties civiles devant la cour d’assises en charge de l’attentat de Nice. La cour d’assises a déclaré leur constitution de partie civile recevable. En revanche, le FGTI a refusé de les indemniser au motif que leur préjudice psychologique n’avait pas été causé directement par l’attentat mais par le mouvement de foule qui s’en était suivi. La JIVAT puis la cour d’appel ont confirmé cette décision. Ces personnes ont donc formé des pourvois en cassation. 

 - Affaire n°3 : L’attentat du Bataclan (24-12.555). Le 13 novembre 2015, à Paris, des terroristes ont attaqué la salle de spectacle du Bataclan. Des tirs ont atteint un immeuble voisin, dont les fenêtres donnaient sur les issues de secours du Bataclan. Au premier étage de cet immeuble, un résident a été blessé mortellement. Au deuxième étage du même immeuble, l’une des résidentes, qui explique avoir vu une partie de l’attaque depuis ses fenêtres, n’a pas été atteinte par les coups de feu. Cette habitante a demandé au FGTI la réparation du dommage psychologique qu’elle a subi et s’est constituée partie civile devant la cour d’assises en charge des attentats du Bataclan. La cour d’assises a déclaré sa constitution de partie civile recevable. En revanche, le FGTI a refusé de l’indemniser au motif qu’elle n’avait pas été directement visée par les terroristes. La JIVAT puis la cour d’appel ont confirmé cette décision. Cette résidente a formé un pourvoi en cassation.

◊ La question posée à la Cour de cassation 

Les victimes présumées d’actes de terrorisme peuvent-elles se voir refuser l’indemnisation de leur préjudice par le Fonds de garantie (FGTI) alors que la juridiction pénale saisie des faits leur a reconnu la qualité de parties civiles ?

◊ La décision de la Cour de cassation 

1/ Autonomie de la procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme par rapport à la procédure pénale. Les textes instaurant le régime spécifique d’indemnisation des dommages corporels subis par les victimes d’actes de terrorisme dissocient la « constitution de partie civile » de l’« action en réparation du préjudice corporel » (L. n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; Décr. n° 2019-547 du 31 mai 2019 portant application du troisième alinéa de l'article 706-16-1 du Code de procédure pénale.).

Le législateur a voulu dissocier ces deux procédures : 

- pour simplifier et accélérer la procédure de réparation ; dans le cas contraire, le juge civil serait contraint d’attendre que le juge pénal rende sa décision. À cet effet, l'article L. 422-3 du Code des assurances précise que, lorsque les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction répressive, dérogeant ainsi au principe énoncé à l'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale selon lequel il est sursis au jugement de l'action civile tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. Dans cette même perspective, la Cour affirme que le juge civil est libre de tenir compte de la décision du juge pénal : imposer au juge civil de reconnaître comme victime d'actes de terrorisme, sans appréciation des critères constitutifs de cette qualité, toute personne dont la constitution de partie civile est déclarée recevable par le juge pénal, aurait pour effet de remettre en cause l'objectif de célérité assigné au régime de réparation des dommages de ces victimes. Ceci pourrait en effet contraindre le juge civil, en dépit des termes de l'article L. 422-3 précité, à surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge pénal, d'autant que cette dernière décision constituerait alors un fait nouveau justifiant que le juge civil reconsidère sa propre décision sur la demande de réparation.

- pour que toutes les demandes de réparation soient traitées sans distinction ; dans le cas contraire, les demandes de réparation seraient traitées différemment selon que le demandeur à l’indemnisation s’est ou non constitué partie civile. Or la volonté du législateur est d'assurer un traitement unifié par le juge civil des demandes de réparation des dommages subis par toutes les victimes d'actes de terrorisme, ce qui implique que l'établissement de cette qualité devant le juge civil ne puisse dépendre de la circonstance que le juge pénal a été ou non saisi par telle ou telle victime de l’attentat considéré. C’est la raison pour laquelle le juge civil qui statue sur un recours contre une décision du Fonds de garantie (FGTI) n’a pas à tenir compte du fait que le juge pénal a ou non attribué le statut de partie civile à la personne se déclarant victime d’un acte de terrorisme. La Cour en infère que la décision par laquelle une cour d'assises déclare recevable une constitution de partie civile n'implique pas, par elle-même, que cette partie dispose, devant le juge civil, de la qualité de victime d'un acte de terrorisme pour l'application de l'article L. 126-1 du Code des assurances.

2/ Identité des critères permettant de retenir la qualité de victime d’actes de terrorisme devant le juge pénal et le juge civil. En l'absence de texte, la Cour de cassation définit les critères généraux permettant au juge pénal ou civil de retenir la qualité de victime d'actes de terrorisme. Que ce soit devant la justice civile ou la justice pénale, la victime d’un acte de terrorisme est ainsi présentée comme la personne qui : 

- a été directement exposée à un péril objectif de mort ou de blessure ;

- a pu légitimement penser qu’elle était exposée à ce péril, parce qu’elle se trouvait à proximité du lieu où se sont déroulés les faits et que, sur le moment, elle a eu conscience d’être confrontée à un acte dont le but était de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. 

Cette définition tient compte de la particularité de l’acte terroriste, qui se distingue par son but, celui de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur (C. pén., art. 421-1). Les actes de terrorisme se caractérisent par le fait que leurs auteurs, en cherchant à semer l'effroi, ne visent pas une ou plusieurs victimes déterminées à l'avance, mais dirigent leur action terroriste de manière aléatoire et indistincte contre les personnes présentes sur les lieux de l’attentat. Il en résulte que la qualité de victime de tels actes ne doit pas être uniquement reconnue aux personnes qui se trouvaient sur la trajectoire de l'arme, par nature ou par destination, dont a fait usage l'auteur des faits, mais qu’elle est également susceptible d’être reconnue, dans certaines circonstances tenant notamment à la configuration des lieux et aux modes opératoires de l'acte terroriste, aux personnes qui, bien que n'ayant pas été visées ou menacées, peuvent être regardées comme se trouvant dans le champ de l'action de l'auteur et ont, de ce fait, subi un dommage corporel, physique ou psychique.

 → Dans les affaires n° 1 et n° 2 (l’attentat de la Promenade des Anglais), il ressort des faits constatés par la cour d’appel que les demandeurs n’ont pas été directement exposés à un danger objectif de mort ou de blessure et n’ont pas pu légitimement croire être exposés à ce danger : au moment de l'attentat, ils se trouvaient à plusieurs centaines de mètres du lieu où le camion a achevé son parcours, de sorte qu’ils n'ont pas pu voir ce dernier percuter la foule et que leurs préjudices résultent non de l’acte terroriste en lui-même, mais du mouvement de foule lié à la panique dans lequel ils ont été entraînés, tandis qu'ils fuyaient les lieux après que le camion avait été arrêté... La loi ayant voulu faire de la procédure civile de recours contre la décision du Fonds de garantie (FGTI) un mécanisme à part, le fait que le juge pénal ait reconnu à ces personnes le statut de partie civile n’entre pas en ligne de compte pour apprécier leur demande d’indemnisation. Les pourvois sont donc rejetés.  

 → En revanche, dans l’affaire n° 3 (l’attentat du Bataclan), il ressort des faits constatés par la cour d’appel que la demanderesse a bien été exposée à un péril objectif de mort ou de blessure : les quatre fenêtres de son appartement, situé au deuxième étage de l'immeuble dans lequel elle se trouvait au moment de l'attentat, donnaient directement sur les fenêtres des loges de la salle de concert, à partir desquelles les terroristes avaient tiré en direction du premier étage, atteignant mortellement son voisin ; pour échapper aux tirs, elle avait fermé ses fenêtres, éteint sa télévision et ses lumières, puis s'était cachée dans un placard ; sans avoir été directement prise pour cible, sa présence dans une « zone de danger » attestait de son exposition à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.  La cour d’appel ne pouvait en conséquence refuser de l’indemniser.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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