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Procédure civile
Indemnité d’occupation et autorité de la chose jugée
Mots-clefs : Autorité de la chose jugée, Principe, Etendue, Identité des demandes (objet), Bail emphytéotique, Indemnité d’occupation
Méconnaît le principe de l’autorité de la chose jugée la cour d’appel qui octroie une indemnité déjà obtenue à la suite d’une même demande en première instance.
Un bailleur avait consenti deux baux emphytéotiques, l'un à une société d’ingénierie, l'autre à une société d’exploitation de carrières. Par deux arrêts irrévocables du 5 octobre 2010, un tribunal avait prononcé la résiliation de ces baux, sans néanmoins interdire aux locataires la poursuite de leur activité d'extraction puis fixé une indemnité d'occupation en l'attente de la libération des lieux. Le bailleur avait assigné les deux sociétés afin d'obtenir l'attribution en pleine propriété des matériaux désignés dans un procès-verbal de saisie-revendication ainsi que la restitution des profits issus de l'exploitation des lieux. Pour accueillir sa demande, la cour d’appel retint que le fait que les sociétés ne se soient pas vu interdire la poursuite de leur activité d'extraction, moyennant le paiement d'une indemnité d'occupation, n'avait toutefois pas pour effet de leur conférer un titre les autorisant à poursuivre leur exploitation, les baux étant définitivement résiliés, et que l'indemnité d'occupation fixée en première instance n’avait qu’une nature indemnitaire ayant pour objet de compenser l'indisponibilité des terrains dans l'attente de leur libération. La cour de cassation censure cette décision au visa de l'article 1351, devenu 1355, du Code civil. Rappelant que le principe de l'autorité de la chose jugée, qui n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, à la condition que la chose demandée soit la même et que la demande soit fondée sur la même cause, entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité, elle juge que l'indemnité d'occupation, de nature mixte compensatoire et indemnitaire, avait pour objet de réparer l'intégralité du préjudice subi par le bailleur du fait de la privation de son bien, de sorte que la demande se heurtait à l'autorité de la chose jugée par les arrêts du 5 octobre 2010 ayant fixé le montant de cette indemnité.
C’est en raison des lacunes de sa qualification de l’indemnité litigieuse que la cour d’appel voit ainsi sa décision censurée au nom du célébrissime principe de l’autorité de la chose jugée. Celle-ci signifie que la chose jugée, aux conditions précitées, est tenue pour acquise, tenue pour la vérité : Res judicita pro veritate habetur. Elle se distingue de la force jugée qui, une fois les voies de recours expirées, rend la décision de justice exécutoire. Si l’autorité de la chose jugée n’est que relative, ne valant que pour un litige donné opposant ses parties au procès, elle n’en demeure pas moins une règle aussi historique que fondamentale dont la Cour fait ici ressortir la vitalité.
En l’espèce, pour juger que l'autorité de la chose jugée attachée aux arrêts irrévocables rendus en première instance ne privait pas le bailleur du droit de réclamer la restitution des matériaux extraits de la carrière, la cour d'appel avait à tort retenu que le tribunal n'aurait pas statué sur ce point dès lors que, selon elle, l'indemnité d'occupation qu'il avait fixée serait de nature exclusivement indemnitaire, ayant pour seul objet de compenser l'indisponibilité des terrains objets des baux emphytéotiques résiliés dans l'attente de leur libération. Or, en raison du double caractère de cette indemnité, à la fois compensatoire et indemnitaire, la Cour aurait dû opposer au bailleur l’autorité de la chose jugée.
Précisons à ce propos qu’à la suite de la résiliation d’un bail, le maintien du locataire dans les lieux, qu’il occupe donc sans droit ni titre, donne lieu au paiement, au profit du bailleur d'une indemnité qualifiée d'occupation. De manière plus générale, une telle indemnité est due, et de plein droit, dès lors qu'un occupant se maintient dans les lieux après l'expiration de son titre d'occupation, à l’effet de compenser le préjudice causé au bailleur par l'occupation indue (Civ. 3e, 22 nov. 1989, n° 88-14.536). Elle représente non seulement la contrepartie de la jouissance des locaux mais également la compensation du préjudice résultant pour le bailleur du fait qu'il est privé de la libre disposition des lieux. Elle est donc de nature mixte, compensatoire et indemnitaire et son montant relève de l'appréciation souveraine des juges du fond (même arrêt). Compte tenu de cette mixité, la demande de la bailleresse en restitution des matériaux extraits de la carrière située sur le terrain occupé, identique à celle qu’elle avait déjà formulée en première instance, se heurtait à l'autorité de la chose jugée desdits arrêts du 5 octobre 2010. L'indemnité d'occupation ayant également un objectif compensatoire, son versement constituait à ce titre la contrepartie de l'extraction des matériaux de la carrière. Le bailleur ayant ainsi déjà été indemnisé de la perte desdits matériaux par l'allocation de l’indemnité d'occupation fixée par les premiers juges, la cour d’appel avait non seulement méconnu, en faisant fi de l’identité de la demande, l’autorité attachée à la chose jugée, mais également porté atteinte au principe de la réparation intégrale du préjudice en vertu duquel le responsable du préjudice doit indemniser tout le dommage mais uniquement le dommage, sans qu’il en résulte, notamment, d’enrichissement pour la victime.
Moralité, être occupé peut être réparé, mais non sans respect de l’autorité !
Civ. 3e, 15 févr. 2018, n° 16-13.216
Références
■ Civ. 3e, 22 nov. 1989, n° 88-14.536.
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