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[ 1 février 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Individualité de la promesse associée à un bail

Mots-clefs : Contrats, Contrat préparatoire, Promesse unilatérale de vente, Caractéristiques, Condition de forme, Enregistrement, Bail, Location-gérance, Indivisibilité contractuelle (non)

Une promesse de vente associée à un bail n’en perd pas son individualité et demeure unilatérale et soumise à enregistrement, faute d’indivisibilité entre les deux contrats et d’engagement du bénéficiaire d’acquérir le bien.

Le 4 juillet 1999, le propriétaire d'un ensemble immobilier avait loué son bien pour une durée maximale de trois ans et prévu de conclure avec la locataire une promesse de vente à la date d'expiration du bail, après que cette dernière eut constitué une société. Le 14 mars 2000, le même propriétaire avait renouvelé l’accord initial en concluant, pour une durée de vingt-trois mois, un nouveau bail concernant le même ensemble immobilier avec la société depuis lors constituée par la bailleresse, l'acte précisant que la vente demeurait promise à cette dernière, à un prix non précisé, dépendant de l'obtention d'un prêt. Après qu’un premier arrêt eut prononcé la nullité du second acte, la société avait assigné le propriétaire pour faire constater que l’acte initial valait vente à compter du 23 février 2002, date de son acceptation, et qu'elle était devenue propriétaire du bien immobilier. La cour d’appel jugea nulle, à défaut d’enregistrement, la promesse unilatérale de vente contenue dans le premier bail du 4 juillet 1999. Le propriétaire forma un pourvoi en cassation contre cette décision, rejeté par la Cour au motif qu'ayant relevé, sans dénaturation, que seul le demandeur au pourvoi avait manifesté sa volonté de vendre son bien au preneur à l'issue du bail et que la promesse de vente ne comportait pas d'indication du prix de vente, de mention d'une condition suspensive sur l'obtention d'un prêt par l'acquéreur ni d'information relative à la levée de l'option et souverainement retenu qu'il n'y avait pas d'interdépendance des relations entre le bailleur et la société preneuse quant à la location et à la vente, seul le loyer mensuel étant fixé, et qu'en l'absence d'un tel lien de dépendance, la promesse de vente n'avait pas perdu son individualité et était demeurée unilatérale, la cour d'appel, qui, procédant à la recherche prétendument omise et abstraction faite d'un motif surabondant relatif à l'acceptation de la promesse, a pu en déduire que la promesse unilatérale de vente était nulle et de nul effet pour n'avoir pas été soumise à la formalité prévue par l'article 1589-2 du Code civil.

Cette décision présente l’intérêt de rappeler le tempérament au principe de la liberté de la forme qui devrait s’appliquer à la promesse unilatérale de vente. Contrat préparatoire de droit commun, celle-ci devrait être régie par le principe de consensualisme. Pourtant, alors qu’elle n’appartient pas à la catégorie des contrats solennels, la promesse unilatérale de vente l’est devenue, l’exception étant, en quelque sorte, devenue la règle. En effet, lorsqu’elle porte sur un immeuble, un droit immobilier ou sur un fonds de commerce, la promesse de vente est légalement soumise à un formalisme « fiscal » (C. civ., art. 1589-2, reprenant l’ancien art. 1840-A CGI abrogé depuis). Afin de lutter contre la dissimulation d’une partie du prix de vente (le prix indiqué dans l’acte authentique ne correspondant pas à celui de la promesse antérieure), le législateur a dans cette perspective imposé, à peine de nullité, l’enregistrement de toute promesse unilatérale de vente constatée dans un acte sous signature privée afférent à un immeuble, un fonds de commerce ou des droits sociaux dans certaines SCI, dans les dix jours de son acceptation par le bénéficiaire (c'est-à-dire de la conclusion de la promesse). Or la promesse de vente portant le plus souvent, en pratique, sur l’un des biens énumérés, elle est de fait devenue un contrat solennel. C’est la raison pour laquelle en l’espèce, la promesse portant sur la vente d’un ensemble immobilier fut jugée nulle et de nul effet, faute d’avoir été enregistrée. Pour échapper à cette sanction, la bailleresse avait, en cause d’appel, tenté de requalifier celle-ci d’une part, en promesse synallagmatique de vente, d’autre part, en contrat de location-gérance. Au soutien de sa première tentative de requalification, elle invoqua avoir accepté la promesse qui lui avait été faite le même jour où elle le lui avait été adressée. Cependant, comme l’ont précisément relevé les juges, faute d’accord des parties sur la chose et sur le prix, dont ni le montant ni les conditions de financement n’avaient été précisés, la vente initialement promise ne pouvait être considérée comme parfaite (C. civ., art. 1683). La locataire invoquait également, pour contester la qualification de promesse unilatérale de vente, l’indivisibilité, même non expressément stipulée, du contrat de promesse et du bail. Cette interdépendance subjective de la location et de la future vente, résultant selon elle de la volonté des parties et de la conviction qu’elles avaient de la dépendance qu’elles établissaient, même implicitement, une dépendance entre les deux catégories d’obligations, aurait en effet pu permettre de considérer la convention conclue comme une opération de crédit-bail immobilier ou de location-vente d’un ensemble immobilier, actes dispensés de la publicité foncière exigée pour les promesses unilatérales. Il est vrai que parfois objective (naturelle) en ce sens que les prestations ne pourraient pas se concevoir séparément, l’indivisibilité est le plus souvent subjective (conventionnelle), résultant de la volonté des parties. Dans ce dernier cas, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement la réalité du lien d’indivisibilité. Cette appréciation est surtout nécessaire dans l’hypothèse, celle de l’arrêt commenté, où la volonté des parties n’est pas expressément stipulée sur ce point par les parties : il appartient alors au juge de la déduire d’éléments objectifs caractérisant la commune intention des parties de lier les contrats entre eux. Ainsi, les juges vérifieront par exemple l’existence ou non d’une cause commune envisagée par les parties, un objet commun qui ne soit pas susceptible d’exécution autonome, ou encore la prise en considération des autres contrats comme éléments de validité et d’exécution de leur propre contrat.

En l’espèce, la dépendance a été écartée principalement en raison du fait de l’absence de prix stipulé dans le contrat de promesse, seul le loyer étant fixé mensuellement dans le contrat de bail mais sans qu’une distinction soit faite entre la partie du loyer correspondant à la jouissance du bien et celle qui aurait pu être prévue comme ultérieurement imputable sur le prix de vente, ce qui aurait correspondu à l’opération de location-gérance alléguée par la bailleresse. En conséquence, en l’absence de lien de dépendance entre les diverses obligations réciproques susceptibles d’en modifier les caractéristiques, la promesse était restée unilatérale, ce qu’elle avait toujours été, seul le promettant ayant manifesté sa volonté de vendre son bien à la future société en cours de constitution, ladite société n’ayant pris nul engagement d’acquérir ledit bien, quoiqu’elle eut accepté le jour même ladite promesse. 

Civ. 3e, 21 déc. 2017, n° 16-26.983

 

Auteur :M. H.


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