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Droit de la responsabilité civile
Infans conceptus : réparation du préjudice moral de l’enfant à naître
Mots-clefs : Responsabilité civile, Victime principale, Décès du parent, Victime par ricochet, Enfant à naître, Préjudice, Préjudice d’affection, Réparation, Conditions, Infans conceptus
En vertu de l'adage infans conceptus, l’enfant qui n'était pas encore né au moment de l'accident mortel de son père mais déjà conçu peut prétendre, dès sa naissance, à l’indemnisation de son préjudice d’affection.
Il est acquis qu'un enfant simplement conçu lors de l'accident mortel survenu à celui qui serait devenu son futur père peut bénéficier de droits patrimoniaux (droit à une pension, droit de prendre part à une succession, de recevoir des libéralités, droit en exécution d'un contrat d'assurance-vie), en application de la fameuse maxime infans conceptus pro nato habetur quoties de commodo ejus agitur (l'enfant conçu est réputé né toutes les fois qu'il y va de son intérêt). Pour en bénéficier, l'enfant doit naître vivant et viable et il faut que le droit, dont il est dans son intérêt de bénéficier, soit né alors qu’il était déjà conçu. Prolongeant une décision du tribunal de grande instance de Niort du 17 septembre 2012, la décision rapportée, méritant d’être largement relayée et commentée, renouvelle l’application de la maxime infans conceptus pour justifier la réparation d’un préjudice cette fois extrapatrimonial (préjudice d’affection) d’un enfant simplement conçu au moment du décès de son parent. L’indemnisation de ce préjudice, fixée à 25 000 euros, avait déjà été accordée en cause d’appel.
L’employeur du père, mort à la suite d’un accident du travail, avait formé un pourvoi devant la Cour de cassation, soumettant à celle-ci la question de savoir si un enfant non encore né au moment du décès de son père pouvait obtenir l'indemnisation d'un préjudice d'affection, ce dernier étant entendu comme la souffrance morale causée par la perte d’un être cher ou par l’importante dégradation de son état physique, et le plus souvent indemnisé dans l’hypothèse du décès de la victime principale (S. Porchy-Simon, Les obligations, Dalloz, Hypercours, n° 962).
La Haute cour y répond par l’affirmative, et octroie cette indemnisation en se fondant sur la maxime infans conceptus : « (…) dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu ; qu’ayant estimé que (l’enfant) souffrait de l’absence définitive de son père décédé dans l’accident (…), la cour d’appel a caractérisé l’existence d’un préjudice moral ainsi que le lien de causalité entre le décès accidentel (…) et ce préjudice ».
Le recours à la fiction juridique qu’autorise l’adage infans conceptus ne posait pas, en l’espèce, de difficultés particulières. Néanmoins, elle en soulevait d’autres, toutes relatives aux conditions du droit à indemnisation. La première tenait au lien de causalité. Le demandeur au pourvoi rappelait en ce sens la règle selon laquelle la réparation d’un préjudice dépend de son lien causal, avec le fait générateur, qui doit être direct et certain. En effet, si les règles de la responsabilité civile permettent bien d'indemniser un préjudice par ricochet, notamment d’affection, c’est à la condition que ce dernier résulte certainement et directement du fait générateur du dommage principal (dommage du père en l'espèce). Or les juges ont ici admis de réparer un préjudice moral dont l’existence ne coïncide pas avec la date de l'accident (avant d’être né, l'enfant simplement conçu ne souffrait pas, concrètement, de l’absence de son père). Cette distorsion temporelle avait d’ailleurs plusieurs fois conduit la Haute cour, dans des affaires similaires, à refuser l'indemnisation du préjudice moral d'affection d'enfants nés après le décès ou le grave handicap causés par l’accident d'un de leurs parents en estimant, comme le soutenait ici l’auteur du pourvoi, qu'il n'existait pas de lien de causalité entre le fait générateur, survenu avant la naissance de l'enfant, et le préjudice allégué (Civ. 2e, 4 nov. 2010, n° 09-68.903 ; Civ. 2e , 24 févr. 2005, n° 02-11.999). Ce raisonnement était toutefois discutable : une proximité immédiate du dommage et du fait générateur dont il résulte n’a pas à être exigée ; il suffit que le premier ait été directement et certainement causé par le second. En vérité, la difficulté ne tenait pas tant, dans cette affaire comme dans les autres, au lien de causalité ; elle résidait, essentiellement, dans l’identification du préjudice réparable, que le problème temporel, en fait, fait naître. Si l'enfant peut prétendre, par la vertu rétroactive de l’adage infans conceptus, à l'existence d'un dommage, cette prétention ne peut cependant véritablement exister qu'à partir de sa naissance. Ce n’est en effet qu’à partir de cette date que l'enfant peut légitimement prétendre souffrir de l’absence de son père, ou subir des troubles dans ses conditions d'existence du fait de la dégradation de son état physique. Or, le dommage de la victime principale, le père en l'espèce, naquit au moment de son accident ; c’est à cette date que son droit à réparation est entré dans son patrimoine, et celui de la victime par ricochet (l’enfant en l'espèce) devrait donc naître simultanément. La date de naissance de la créance indemnitaire de l’enfant est alors problématique dans la mesure où elle suppose d’admettre que l'enfant puisse subir un préjudice moral in utero... Cela est toutefois, à la condition de cumuler les fictions juridiques, envisageable ! En effet, la conception objective et abstraite du préjudice extrapatrimonial permet de faire fi de l'absence de conscience de la victime laquelle ne serait pas, en soi, exclusive d'un préjudice personnel devant être intégralement réparé (V. RTD civ. 1979. 801, obs. G. Durry : « l'indemnisation d'un dommage n'est pas fonction de la représentation que s'en fait la victime, mais de sa constatation par le juge et de son évaluation objective » ; adde Civ. 2e, 22 févr. 1995, n° 93-12.644 et 92-18.731 : « l'état végétatif d'une personne humaine n'excluant aucun chef d'indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments »).
Alors qu’elle semblait délaissée au profit d’une conception subjective du préjudice moral (Crim. 5 oct. 2010, n° 09-87.385 et n° 10-81.743 ; Civ. 2e, 22 nov. 2012, n° 11-21.031), par la décision rapportée, la Haute cour soutient et ranime, par le biais d’une ancienne maxime dont elle renouvelle l’application, une approche abstraite du préjudice, en l’espèce entendu comme une donnée purement objective dont le constat suffit à justifier une réparation, peu important la faculté de la victime à se le représenter.
Civ. 2e, 14 déc. 2017, n° 16-26.687
Références
■ Civ. 2e, 4 nov. 2010, n° 09-68.903 P : D. 2010. 2710.
■ Civ. 2e, 24 févr. 2005, n° 02-11.999 P : D 2005. 671, obs. F. Chénedé ; ibid. 2006. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2005. 404, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 22 févr. 1995, n° 93-12.644 P et 92-18.731 P : D. 1996. 69, note Y. Chartier ; ibid. 1995. 233, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1995. 629, obs. P. Jourdain.
■ Crim. 5 oct. 2010, n° 09-87.385 P et n° 10-81.743 P : D. 2011. 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; . RTD civ. 2011. 353, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 22 nov. 2012, n° 11-21.031 P : D. 2013. 346, note S. Porchy-Simon ; ibid. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2013. 123, obs. P. Jourdain.
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