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Droit de la responsabilité civile
Infection nosocomiale : l’appréciation de la notion rend difficile l’exonération
Les prédispositions pathologiques et le caractère endogène du germe ne permettent pas d’exclure le caractère nosocomial de l’infection et d’exonérer l’établissement de santé de sa responsabilité de plein droit.
Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 20-18.513 B
Au cas d’espèce, un patient contracte, à l’occasion d’une opération de la cheville, un staphylocoque. Il assigne en indemnisation le praticien, la clinique et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam). La cour d’appel les met hors de cause au motif que l’infection ne serait pas nosocomiale. Pour parvenir à cette conclusion, les juges du fond relèvent que la victime présentait un état cutané anormal antérieur à l'intervention caractérisé par la présence de plusieurs lésions, que le germe retrouvé au niveau du site opératoire correspondait à celui trouvé sur sa peau et que, selon l'expert judiciaire, son état de santé préexistant et son tabagisme chronique avaient contribué en totalité aux complications survenues. La cassation est prononcée au visa de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique (CSP) : « En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de l'existence de prédispositions pathologiques et du caractère endogène du germe à l'origine de l'infection ne permettant pas d'écarter tout lien entre l'intervention réalisée et la survenue de l'infection, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
Infection nosocomiale : diversité des acteurs, des conditions et des mécanismes de l’indemnisation. Dans cette affaire, la pluralité des défendeurs ne relève pas du hasard. En cas d’infection nosocomiale (du grec nosokomeion, hôpital, sous-entendu contractée en son sein), les acteurs de l’indemnisation sont multiples : y participent à la fois les établissements de santé, les médecins ainsi que l’Oniam à des titres et selon des régimes différents, ainsi que le rappelle la Haute cour (§ 6 et 7).
Historiquement, la Cour de cassation fit peser sur les établissements privés de soins une obligation de sécurité de résultat, dont le débiteur ne pouvait se libérer qu’en prouvant une cause étrangère (Civ. 1re, 29 juin 1999, n° 97-15.818 ; 18 oct. 2005, n° 04-14.268 ; 18 févr. 2009, n° 08-15.979), que l’infection fût exogène ou endogène. La loi du 4 mars 2002 (L. n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé) légalisa cette solution pour tous les établissements de soins, privés comme publics (CSP, art. L. 1142-1, al. 2), dérogeant ainsi au principe de responsabilité pour faute prouvée normalement applicable en matière de responsabilité médicale. En effet, tout en réaffirmant au sein de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique le principe d’une responsabilité pour faute, le législateur, consacrant la jurisprudence antérieure, l’assortit de plusieurs limites. Ainsi les établissements de santé (mais non les médecins) demeurent-ils responsables de plein droit des dommages résultant d’infections nosocomiales, à moins qu’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère (sur ce point, v. Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Régimes d’indemnisation, coll. « Dalloz Action », Dalloz, 12e éd., nos 6414.22 et 6421.12).
Une loi du 30 décembre 2002 (L. n° 2002-1577) décida ensuite que pour les infections nosocomiales consécutives à des soins postérieurs au 1er janvier 2003, l’Oniam supporterait le coût du préjudice généré par ces infections en cas d’équivalence de ce coût à un taux d’incapacité permanente supérieure à 25 % (CSP, art. L. 1142-1-1). À l’origine marginale, la compétence de l’Oniam en la matière devint centrale : la victime d’une infection nosocomiale remplissant les conditions pour être indemnisée par l’Oniam au titre de l’article L. 1142-1-1 dispose depuis d’un droit à réparation automatique auprès de cet établissement, la loi établissant ainsi une répartition distributive de la réparation, entre solidarité et responsabilité.
Toutefois, lorsque les dommages résultant d’une infection nosocomiale ouvrent droit, en raison de leur gravité, à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, sur le fondement ici visé de L. 1142-1-1, 1°, du Code de la santé publique, et non sur l’alinéa 2 de l’article L. 1142-1, I, figurant également au visa, qui fonde une responsabilité de plein droit, « la responsabilité de l’établissement où a été contractée cette infection comme celle du professionnel de santé, ayant pris en charge la victime, demeurent engagées en cas de faute » (Civ. 1re, 28 sept. 2016, n° 15-16.117). L’Office ne peut donc se retourner contre l’établissement de santé qu’en cas de faute de sa part, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales (CSP, art. L. 1142-17, dernier al., in fine).
Multiples, ces intervenants ne sont toutefois susceptibles d’être convoqués que si l’infection contractée présente un caractère nosocomial. Au cœur de ce régime d’indemnisation, cet élément était en l’espèce discuté pour établir l’éventuelle cause étrangère exonératoire de l’établissement.
Responsabilité de plein droit des établissements de santé, preuve de la causalité et exonération par la cause étrangère. Confirmatif, l’arrêt d’appel avait toutefois exonéré l’établissement de santé de sa responsabilité de plein droit, et mis l’Oniam hors de cause, au motif que les prédispositions pathologiques de la victime et le caractère endogène du germe excluaient le caractère nosocomial l’infection. Rappelons en effet que si la responsabilité de plein droit des établissements de santé est admise, pour autant, il n’existe pas de présomption de causalité entre les soins et l’infection, de sorte qu’il appartient au patient de démontrer que l’infection dont il est atteint présente un caractère nosocomial (Civ. 1re, 27 mars 2001, n° 99-17.672).
Reprenant la définition du Conseil d’État (CE 24 juin 2013, n° 347450), la Cour de cassation rappelle qu’elle désigne ainsi celle survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci (§ 8). La Cour de cassation censure alors le raisonnement des juges du fond : s’il n’existe pas de présomption de rapport causal entre l’intervention et l’infection, ce lien de causalité ne peut davantage être écarté sur la base d’autres présomptions, telles que celles en l’espèce tirées de l’état antérieur de la victime et du caractère endogène du germe, lesquels « ne permettent pas d'écarter tout lien entre l'intervention réalisée et la survenue de l'infection ». En d’autres termes, ces éléments ne permettent pas à eux seuls d’écarter le caractère nosocomial de l’infection et de caractériser ainsi la « cause étrangère », seul mode d’exonération totale de la responsabilité encourue par l’établissement. Le pourvoi soutenait à cet égard que la cause étrangère devait s’apprécier comme la force majeure. Or l’extériorité pour la clinique (le caractère endogène du germe et les prédispositions de la victime) ne suffisait pas ; encore fallait-il démontrer que ces facteurs avaient été, pour l’établissement de santé, imprévisibles et irrésistibles.
Il est à noter que le Conseil d’État avait déjà refusé de tenir compte du caractère endogène du germe à l’origine de l’infection pour exonérer l’établissement de santé de sa responsabilité (CE, 5e et 4e sect., 10 oct. 2011, n° 328500). Il vient également d’affirmer l’indifférence à une pathologie antérieure de la victime (CE 1er févr. 2022, n° 440852). Dans le même sens, la première chambre civile juge ici qu’une infection présente un caractère nosocomial dès lors qu'elle est survenue lors de la prise en charge : « Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge ». En l’espèce constitué, cet unique critère évince les deux autres. L’engagement subséquent de la responsabilité de plein droit de l’établissement demeurait en conséquence inchangé.
Références :
■ Civ. 1re, 29 juin 1999, n° 97-15.818 P
■ Civ. 1re, 18 oct. 2005, n° 04-14.268 P : D. 2006. 705, note O. Smallwood et F. Vialla ; ibid. 689, obs. J. Penneau ; RDSS 2005. 1047, obs. F. Arhab.
■ Civ. 1re, 18 févr. 2009, n° 08-15.979 P : D. 2009. 630 ; RDSS 2009. 359, obs. A. Vignon-Barrault ; RTD civ. 2009. 543, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 28 sept. 2016, n° 15-16.117 P : DAE, 18 oct. 2016, note F. L ; D. 2016. 2437, obs. I. Gallmeister, note M. Bacache ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2016. 875, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 27 mars 2001, n° 99-17.672 P : D. 2001. 1284, et les obs. ; RTD civ. 2001. 596, obs. P. Jourdain
■ CE, 5e et 4e sect., 24 juin 2013, n° 347450 A : AJDA 2013. 1305 ; ibid. 2171, note C. Lantero ; D. 2014. 2021, obs. A. Laude.
■ CE, 5e et 4e sect., 10 oct. 2011, n° 328500 A : AJDA 2011. 1926 ; ibid. 2536, note C. Lantero ; ibid. 2012. 1665, étude H. Belrhali ; D. 2012. 47, obs. P. Brun et O. Gout.
■ CE 1er févr. 2022, n° 440852 B : AJDA 2022. 192 ; RDSS 2022. 373, obs. P. Curier-Roche.
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