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Droit de la responsabilité civile
Infections nosocomiales : conformité à la Constitution concernant la différence de régime de responsabilité des professionnels de santé et des établissements de santé
Mots-clefs : QPC, Infections nosocomiales, Responsabilité médicale, Établissement de santé, Professionnel de santé, Différence de régime, Différence de situation, Principe d’égalité, Conformité à la Constitution (oui)
La spécificité des risques en milieu hospitalier et la probabilité plus élevée d’y contracter des infections nosocomiales justifient que la réparation du préjudice qui résulte des infections nosocomiales soit facilitée par un principe légal de responsabilité sans faute des établissements de santé, à la différence, conforme à la Constitution, des professionnels de santé, soumis à un régime de responsabilité pour faute.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 janvier 2016 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit au deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Si le premier alinéa de ce texte pose un principe général de responsabilité pour faute, tant pour les professionnels de santé (qu’ils exercent comme salariés ou à titre libéral) que pour les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, le deuxième alinéa du même texte institue au contraire une différence de traitement dans les conditions d'engagement de la responsabilité médicale pour obtenir la réparation des dommages causés par une infection nosocomiale. En effet, un régime de responsabilité sans faute s'applique si cette infection a été contractée dans un établissement, service ou organisme de santé ; en revanche, si une telle infection a été contractée auprès d'un professionnel de santé, la responsabilité de ce dernier ne peut être engagée qu'en cas de faute.
L’affaire débuta ainsi : un patient avait contracté une infection nosocomiale à l’occasion d’un acte médical pratiqué par un radiologue exerçant son activité à titre libéral. Une expertise médicale avait estimé le déficit fonctionnel permanent qui en résultait comme étant inférieur à 24 %, en sorte que la victime ne pouvait prétendre à une indemnisation dans le cadre du dispositif national de solidarité assuré par l’ONIAM. Il avait alors assigné le radiologue, le centre de radiologie ainsi que l’assureur du centre en réparation de son préjudice. Les intimés avaient relevé appel du premier jugement rendu qui avait déclaré le radiologue responsable, en l’absence de preuve d’une cause étrangère. En appel, la cour mit hors de cause le radiologue mais jugea le centre de radiologie responsable. À l’occasion du pourvoi en cassation contre cette décision formé par le radiologue, le centre et l’assureur du centre, et du pourvoi incident formé par la victime, cette dernière avait soulevé une QPC relative à la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi (DDH, art.6) par les deux premiers alinéas de l’article L. 1142-1 du Code la santé publique. Elle soutenait qu’en obligeant un patient ayant contracté une infection nosocomiale à rapporter la preuve d’une faute du professionnel de santé alors qu’un établissement voit dans la même hypothèse sa responsabilité engagée de plein droit, le législateur avait introduit une discrimination injustifiée entre les patients ayant subi un préjudice du fait d’une infection nosocomiale, la différence de traitement légalement instituée selon le lieu de survenance de l’infection n’étant justifiée ni par l’objet de la loi ni par des motifs d’intérêt général.
Dans sa décision de renvoi de la QPC, la Cour de cassation considéra que revêtait un caractère sérieux le grief tiré de ce que « ce texte impose aux patients ayant contracté une infection nosocomiale à l’occasion de soins dispensés par des professionnels de santé, exerçant leur activité à titre libéral, de prouver l’existence d’une faute de ces derniers, alors que, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère, les établissements, services et organismes de santé sont responsables de plein droit des dommages subis par leurs patients, victimes d’une telle infection ».
Saisi de la question, le Conseil constitutionnel vient de juger, contrairement à l'argumentation du requérant, que cette différence de traitement ne méconnaît pas le principe d'égalité. Rappelons qu’il résulte d’une jurisprudence constante du Conseil que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit (4 juill.1989, n° 89-254 DC, § 18).
Dans la réponse apportée, le Conseil constitutionnel a en particulier relevé que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins pratiqués dans un établissement, service ou organisme de santé se caractérisent par une prévalence des infections nosocomiales supérieure à celle constatée chez les professionnels de santé, tant en raison des caractéristiques des patients accueillis et de la durée de leur séjour qu'en raison de la nature des actes pratiqués et de la spécificité des agents pathogènes de ces infections.
Il a, en outre, souligné qu’en vertu des articles L. 6111-2 et suivants du Code de la santé publique, les établissements, services et organismes de santé sont spécialement tenus de mettre en œuvre une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et d’organiser la lutte contre les événements indésirables et les infections associées aux soins. Il en a alors déduit que le législateur avait légitimement entendu prendre en compte les conditions dans lesquelles les actes de prévention, de diagnostic ou de soins sont pratiqués dans les établissements, services et organismes de santé comme la spécificité des risques encourus en milieu hospitalier, en sorte que la différence de traitement dans les conditions d'engagement de la responsabilité issue des dispositions contestées se révèle être en rapport avec la différence de situation constatée. Le Conseil constitutionnel a en conséquence jugé conforme à la Constitution le deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique.
Cons. const. 1er avr. 2016, n° 2016-531 QPC
Références
■ Déclaration de 1789
Article 6
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
■ Cons. const. 4 juill. 1989, n° 89-254 DC.
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