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Droit de la santé
Infections nosocomiales : précisions sur la notion d’établissement
Une SARL n’étant pas un « établissement » au sens de l’article L. 1142-1 du Code de santé publique, une société de radiologie n’est pas susceptible d’engager sa responsabilité de plein droit en cas d’infection nosocomiale contractée dans ses locaux.
Civ. 1re, 10 nov. 2021, n° 19-24.227
À titre libéral et individuel, un radiologue exerçait son art au sein d’une structure abritant à la fois une polyclinique et une société de radiologie, prenant la forme d’une SARL dans laquelle il avait la qualité d’associé. À l’occasion d’un scanner pratiqué sur un patient au sein de son cabinet, ce dernier avait contracté une infection nosocomiale Le patient avait alors assigné en responsabilité le praticien, mais également la société de radiologie pour obtenir réparation de ses préjudices sur le fondement de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (CSP, art. L. 1142-1, I, al. 2 : « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère »), étant précisé que l’enjeu de son action, spécifique à la responsabilité médicale en matière d’infections nosocomiales, réside dans la détermination des personnes responsables, la réalité comme l’origine du préjudice étant en cette matière acquises.
À la suite d’un premier pourvoi formé par la clinique, dont la responsabilité avait été retenue, la Cour de cassation avait cassé et annulé l’arrêt rendu par la juridiction inférieure au visa de l’article 16 du Code de procédure civile. L’affaire avait été renvoyée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui jugea la société de radiologie, après l’avoir soumise aux dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, responsable en qualité d’établissement de santé, indépendant de la clinique.
Cette société forma un pourvoi en cassation, dont les sept branches du moyen unique le composant n’étaient pas toutes d’égale importance, comme en atteste leur reproduction, dont l’intégralité fut réservée aux plus signifiantes, à savoir les deuxième et sixième branches. Par la deuxième, la demanderesse reprochait aux juges aixois de l’avoir qualifiée d’établissement de santé et de l’avoir ainsi rendue éligible aux dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, après avoir pourtant relevé que l’objet social de sa société se limitait à « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique », sans donc pouvoir s’étendre à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins visée par le texte précité auquel elle se serait, ainsi, à tort trouvée soumise. Dans la sixième branche du moyen, la société reprochait également aux juges du fond de ne pas avoir reconnu sa dépendance à l’égard de la clinique dont la responsabilité du préjudice causé au patient aurait dû en conséquence être retenue à titre exclusif.
Se posait donc à la Cour de cassation la question de savoir si une SARL dont l’objet social, commercial, est étranger à tout acte de prévention, de diagnostic ou de soins, peut néanmoins revêtir la qualité d’« établissement », au sens de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, eu égard à la nature de l’acte dommageable qu’elle a effectué. De là, se posait également question de la dépendance de cette société à la clinique, le service de scanner assuré en lien avec cet établissement justifiant, le cas échéant, de la reconnaître comme service d’un établissement de santé, élusif de sa responsabilité en cas d’infection nosocomiale.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, jugeant que la société de radiologie, SARL constituée par des médecins pour exercer leur art et ayant pour objet social « l’exploitation, l’achat, la vente et la location de tout matériel d’imagerie médicale et de radiothérapie ainsi que de tout matériel d’exploitation de polyclinique » ne peut être considérée comme un « établissement » au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.
La Haute cour reproche ensuite à la cour d’appel de ne pas avoir recherché s’il ne résultait pas du protocole conclu entre les parties une certaine dépendance de la société à l’égard de la clinique.
Deux points doivent être en conséquence retenus : le refus de conférer à la SARL la qualité d’établissement de santé ; la reconnaissance de cette même société comme service d’un établissement de santé.
La SARL : exclusion de la qualité d’établissement de santé
Dans cette affaire, la difficulté de déterminer l’établissement responsable s’explique par le flou entourant les « établissements » visés par l’article L. 1142-1, pourtant concernés par la responsabilité de plein droit qu’ils encourent en cas de dommages résultant d’infections nosocomiales (comp. avec la responsabilité pour faute des « professionnels de santé »., ibid.) Pour dissiper ce flou entravant l’entreprise nécessaire de qualification de la SARL, les juges du droit ont dû interpréter la loi et en ont déduit une distinction entre les établissements ayant pour mission la poursuite d’une politique sanitaire d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, et les sociétés ou organismes n’ayant pour seule fonction que de leur fournir les moyens nécessaires à sa réalisation. En effet, selon la Cour, les établissements de santé qui mettent en œuvre une politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et organisent la lutte contre les événements indésirables, les infections associées aux soins et l’iatrogénie (pt 6) peuvent être considérés comme des établissements. En revanche, les sociétés professionnelles qui permettent la fourniture de certains moyens aux professions médicales ou l’exercice commun de ces professions ne peuvent être considérées comme telles (ibid.). Contraire à cette interprétation, la décision de la cour d’appel considérant qu’en dépit de son objet social, la SARL devait néanmoins être considéré comme un établissement de santé, encourait donc la cassation pour violation de la loi.
Ainsi apparaît le critère essentiel de la qualification d’établissement de santé. Il réside dans l’objet social de l’entité considérée (v. déjà, Civ.1re, 12 oct. 2016, n° 15-16.894 ; Civ.1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.072), ce qui explique que la nature de l’acte litigieux (un scanner), acte de diagnostic pris en compte par les juges du fond pour justifier l’engagement de la responsabilité de la SARL, fut jugé en cassation indifférent.
Un second critère transparait également, de façon plus implicite, de la décision. Il tient à la forme sociale de la société de radiologie, jugée incompatible avec la qualité d’établissement de santé. D’exercice libéral (v. CSP, art. R. 4113-1 à R. 4113-5), il est vrai qu’une société à responsabilité limitée recouvre cette forme à l’effet d’exercer une activité commerciale et d’effectuer, au soutien de cette activité, des actes de commerce par définition incompatibles avec des actes de soins. En l’espèce, il était toutefois permis de nuancer cette antinomie car si l’option de cette forme sociale avait pour but de répartir entre les médecins le coût d’acquisition du matériel médical nécessaire à leur activité, et de l’exploiter à des fins commerciales, cette activité d’exploitation pouvait également renvoyer à la réalisation d’actes de diagnostic, hypothèse que la proximité de la clinique des locaux de radiologie dans lesquels l’infection avait, de surcroît, été contractée, rendait d’autant plus plausible. Ignoré par les juges, cet argument se révèle inopérant, seule la forme sociale objectivement considérée déterminant, pour l’exclure en l’espèce, la qualité d’établissement de santé.
La SARL, un service d’établissement de santé
À l’exclusion de la responsabilité de la SARL devait donc succéder la nécessité de rechercher un autre établissement responsable. Cette démarche était l’objet de la sixième branche du moyen, auquel la Cour répond par la reconnaissance de la SARL comme service de la clinique, en raison du lien de dépendance dans lequel la plaçait les conventions qui les liaient (la cour d’appel aurait dû rechercher « s’il ne résultait pas du protocole conclu entre les parties pour le fonctionnement du service du scanner que la société était tenue d’assurer la permanence des soins des patients hospitalisés ou consultants à la clinique, par la mise en place, sous son contrôle, d’un planning de gardes et d’astreintes des radiologues et manipulateurs et constituait à ce titre le service de scanner de l’établissement de santé »). Au-delà, la Cour de cassation pose le principe général selon lequel « la responsabilité de plein droit des établissements de santé s’étend aux infections nosocomiales survenues au sein des sociétés de radiologie qui sont considérées comme leur service de radiologie ». Devant la cour d’appel de renvoi, ce sera donc très probablement la clinique qui, en sa qualité d’établissement de santé, devra ainsi répondre du dommage subi sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L.1142-1 du Code de la santé publique.
Références :
■ Civ.1re, 12 oct. 2016, n° 15-16.894 P: D. 2016. 131 ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
■ Civ.1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.072 P: D. 2012. 1957 ; RTD civ. 2012. 733, obs. P. Jourdain
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