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Droit pénal spécial
Injure : caractérisation et excuse de provocation
Mots-clefs : Droit de la presse, Injure (éléments constitutifs, fait justificatif), Excuse de provocation (non), Diffamation (non), Bonne foi (non)
Les expressions injurieuses qui ne sont pas absorbées par des propos contenant l'imputation de faits précis constituent des injures et non des diffamations ; faute de constituer une riposte immédiate et irréfléchie à une provocation, elles ne peuvent être excusées.
Par l'arrêt du 24 novembre 2009, la chambre criminelle confirme le caractère injurieux de propos (à l'intention de la personne visée : « c'est la dernière des pourritures ») diffusés lors d'une émission radiophonique. Poursuivi sur le fondement de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, pour injures publiques envers un particulier, l'auteur des propos avait été condamné par les juges du premier degré. Cette condamnation fut confirmée en appel, au motif que le prévenu ne contestait pas que l'expression qui lui était reprochée s'adressait à la victime et qu'elle avait été prononcée sur des ondes radiophoniques, le 29 novembre 2006. Pour solliciter sa relaxe, celui-ci faisait valoir que l'expression litigieuse était indivisible de l'imputation d'un fait (et constituait donc une diffamation), qu'il devait bénéficier de l'excuse de provocation et, qu'en toute hypothèse, il était de bonne foi.
La chambre criminelle rejette ces arguments. Sur la qualification retenue, elle relève que « les injures incriminées n'étaient pas absorbées par des propos contenant l'imputation de faits précis portant atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile ». En l'espèce, le prévenu soutenait, dans le but d'établir sa bonne foi (fait justificatif d'origine prétorienne applicable à la seule diffamation), que l'expression injurieuse avait été prononcée au terme d'un raisonnement alléguant l'antisémitisme de la victime, de sorte qu'elle était absorbée dans des propos diffamatoires (v. par ex. Crim. 7 nov. 1989). Mais faute de fait précis imputé à la victime, seule l'injure était caractérisée (v. par ex. Crim. 26 févr. 1985).
Sur l'excuse de provocation, la Cour confirme que les propos tenus « ne constituaient pas une riposte immédiate et irréfléchie à une provocation ». L'excuse de provocation est le seul fait justificatif pouvant être invoqué par l'auteur d'une injure, celle-ci étant réputée, de droit, prononcée avec une intention coupable (Crim. 10 mai 2006). Sa reconnaissance implique l'existence d'une relation directe — à la fois matérielle et temporelle — entre l'injure et la provocation. Dans cet esprit, le prévenu, régulièrement pris à partie est ridiculisé publiquement par la partie civile, prétendait qu'il se trouvait encore, au moment des propos litigieux, sous le coup de l'émotion causée par cette provocation. Mais l'excuse est ici rejetée dès lors que les propos injurieux, « proférés lors d'une émission radiophonique détendue sur question d'une journaliste animée d'aucune intention malveillante », ne constituaient pas une riposte immédiate et irréfléchie aux propos de la partie civile.
Crim. 24 nov. 2009
Références
■ Loi du 29 juillet 1881
Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure.
« La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d'imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l'article 31.
La vérité des imputations diffamatoires et injurieuses pourra être également établie contre les directeurs ou administrateurs de toute entreprise industrielle, commerciale ou financière, dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou offerts au public sur un système multilatéral de négociation ou au crédit.
La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf :
a) Lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ;
b) Lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ;
c) Lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ;
Les deux alinéas a et b qui précèdent ne s'appliquent pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du code pénal et ont été commis contre un mineur.
Dans les cas prévus aux deux paragraphes précédents, la preuve contraire est réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.
Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l'objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d'une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l'instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation. »
« Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, conformément aux dispositions de l'article 35 de la présente loi, il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre :
1° Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;
2° La copie des pièces ;
3° Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve.
ette signification contiendra élection de domicile près le tribunal correctionnel, le tout à peine d'être déchu du droit de faire la preuve. »
« Dans les cinq jours suivants, en tous cas moins de trois jours francs avant l'audience, le plaignant ou le ministère public, suivant le cas, sera tenu de faire signifier au prévenu, au domicile par lui élu, les copies des pièces et les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve du contraire sous peine d'être déchu de son droit. »
« Allégation ou imputation d’un fait, constitutive d’un délit ou d’une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. »
■ Faits justificatifs propres à la diffamation
Pour sa défense, l'auteur d'une diffamation peut chercher à apporter la preuve de la vérité des faits (exceptio veritatis) ou tenter de faire la démonstration de sa bonne foi.
1. Preuve de la vérité
Cas. L’offre de preuve de la vérité du fait diffamatoire est recevable sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne, lorsque les faits remontent à plus de dix ans, ou se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision (L. 29 juill. 1881, art. 35). Les deux premières exceptions s'effacent cependant si les faits imputés constituent certaines infractions commises contre un mineur (art. 222-23 à 222-3, 227-22 à 227-27 C. pén.).
Forme. Le prévenu doit, dans les dix jours de la citation, faire signifier : 1° les faits articulés et qualifiés de la citation, desquels il entend prouver la vérité ; 2° la copie des pièces ; 3° les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve (L. 29 juill. 1881, art. 55). Le plaignant pourra ensuite apporter preuve contraire (art. 56).
Effet. Si la preuve de la vérité est rapportée, et qu’il y a une exacte corrélation entre les faits dont la preuve est rapportée et l’imputation poursuivie, elle entraîne la relaxe du prévenu. Lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites, il est sursis au jugement du délit de diffamation jusqu’à ce que soit rendue la décision relative au fait en cause (L. 29 juill. 1881, art. 35).
2. Preuve de la bonne foi
Conditions. Selon les principes dégagés par la jurisprudence, l’admission de la bonne foi est subordonnée à la preuve de quatre éléments essentiels :
– la poursuite d’un but légitime (informer le public sur un sujet d’intérêt général) ;
– l’absence d’animosité personnelle à l’encontre de la personne visée ;
– un travail sérieux d’enquête préalable ;
– et l’observation d’une certaine prudence dans l’expression (des nuances existent selon le type de publication).
Effets. La preuve de la bonne foi exonère l’auteur de la diffamation de sa responsabilité. Le défaut d’une seule condition entraîne l’application d’une sanction.
« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis. Dans la mesure où elle n’est pas précédée de provocations, l’injure est un délit lorsqu’elle est publique, et une contravention lorsqu’elle n’est pas publique. »
■ Jurisprudence
Crim. 7 nov. 1989, Bull. crim. n° 403.
Crim. 26 févr. 1985, RSC 1986. 376, obs. Levasseur.
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