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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Injures diffusées sur Internet : les sites ne sont pas toujours responsables
Mots-clefs : Droit européen des droits de l’homme, Liberté d’expression, Réputation commerciale, Conflit, Commentaires injurieux, Atteinte à la réputation, Mise en balance des intérêts (non), Incitation à la haine ou à la violence (non), Responsabilité des sites (non)
Même injurieux et grossiers, les commentaires laissés par des internautes n’engagent pas la responsabilité des propriétaires des sites concernés dans la mesure où ces commentaires relèvent de la liberté d’expression et sous la réserve qu’ils ne prennent pas la forme d’un discours de haine et d’incitation à la violence.
Dans son arrêt de chambre rendu le 2 février dernier, la Cour européenne des droits de l’homme constate la violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme par la Hongrie et écarte la responsabilité d’un organe d’autorégulation des prestataires hongrois de services de contenu sur Internet (MTE) et celle de l’un des plus grands portails d’actualités sur Internet de Hongrie (Index) pour les commentaires injurieux laissés par certains internautes sur leurs portails respectifs. Au moment des faits, l’un et l’autre avaient en effet laissé les internautes libres de diffuser leurs commentaires, tous deux ayant préalablement pris le soin d’inscrire dans leurs conditions générales une clause de non-responsabilité en vertu de laquelle seuls les auteurs des commentaires, à l’exclusion du propriétaire du site, étaient susceptibles d’engager leur responsabilité. Le 5 février 2010, MTE publia sur son site web une opinion dans laquelle il critiquait la pratique commerciale de deux sites web d’annonces immobilières qui trompaient selon lui leurs clients en proposant un service de publication d’annonces gratuit pendant 30 jours qui devenait payant à l’expiration de ce délai sans que les intéressés en soient préalablement avertis. Index rapporta ensuite cette opinion, dont il publia l’intégralité sur son site. L’opinion recueillit des commentaires injurieux et grossiers sur le site de MTE comme sur celui d’Index. L’entreprise exploitant les deux sites attaqués par les commentaires injurieux et grossiers engagea une action civile contre MTE et Index, se plaignant de ce que l’opinion et les commentaires qu’elle avait recueillis portaient atteinte à sa réputation. Dès qu’ils eurent connaissance de cette action, MTE et Index retirèrent immédiatement les commentaires en question, précisant néanmoins qu’en tant qu’intermédiaires dans la diffusion du contenu, ils n’étaient pas responsables des commentaires des internautes et qu’en outre, leur critique était justifiée par le nombre de plaintes et d’actions en justice introduites contre les pratiques commerciales de l’entreprise en cause. Les juridictions nationales jugèrent qu’en permettant aux visiteurs de leurs sites d’y laisser des commentaires, les requérants avaient accepté d’assumer la responsabilité d’éventuels commentaires injurieux ou illicites qui y seraient publiés, ce qui était bien le cas en l’espèce, les commentaires étant jugés injurieux, outrageants et humiliants.
Cette analyse n’est pas partagée par la Cour européenne des droits de l’homme. Tout en rappelant que même s’ils n’ont pas la qualité d’éditeurs des commentaires au sens traditionnel du terme, les portails d’actualité sur Internet doivent en principe assumer certains devoirs et responsabilités, elle considère qu’en l’espèce, les juges hongrois ont engagé la responsabilité de MTE et d’Index sans mettre en balance les droits divergents mis en cause, à savoir d’une part leur liberté d’expression, et le droit des sites d’annonces au respect de leur réputation commerciale, d’autre part. Plus précisément, la Cour leur reproche d’avoir déduit d’emblée de l’atteinte à la réputation des sites, l’illicéité des commentaires diffusés. La position de la Cour peut surprendre si on la compare à celle qu’elle avait adoptée dans l’affaire Delfi AS c/ Estonie (n° 64569/09), jugeant responsable un portail d’actualités sur Internet exploité à titre commercial responsable des commentaires injurieux laissés sur le site par ses visiteurs. Cependant, la présente affaire ne présente pas les éléments déterminants de la précédente que constituaient le discours de haine et d’incitation à la violence. Bien qu’injurieux et grossiers, les commentaires ne constituaient pas ici des propos clairement illicites ni des déclarations de fait diffamatoires mais l’expression de jugements de valeur sur une question d’intérêt public (une pratique commerciale trompeuse). Enfin, la Cour souligne que si Index possède une grande entreprise de médias et doit donc être considéré comme ayant des intérêts économiques dans la diffusion de contenu sur Internet, MTE est une association à but non lucratif d’autorégulation de contenu sur Internet, à laquelle on ne connaît pas de tels intérêts.
CEDH 2 février 2016, Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt c/ Hongrie, n° 22947/13
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 10
« Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ CEDH, gr. ch., 16 juin 2015, Delfi AS c/ Estonie, n° 64569/09, Dalloz Actu Étudiant, 30 juin 2015.
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