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[ 6 juin 2017 ] Imprimer

Procédure pénale

Instruction : gare à la rédaction des commissions rogatoires !

Mots-clefs : Procédure pénale, Commission rogatoire, Instruction, Équilibre des droits des parties

Viole les articles 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire et 81 du Code de procédure pénale la commission rogatoire ne visant qu’à établir les seuls éléments à charge dès lors que le juge d’instruction doit veiller à l’équilibre des droits des parties et au caractère équitable de la procédure et instruire à charge et à décharge.

Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour exécution d’un travail dissimulé, vente d’appareil destiné à déceler les instruments de constatation des infractions routières, importation non déclarée de marchandises prohibées et infractions à la législation sur les armes, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire aux services de gendarmerie visant à « établir un procès-verbal d’investigations récapitulatif précisant les éléments à charge pour chaque infraction, et pour chacun des deux mis en cause, en indiquant à chaque fois les pièces de procédure visées ». Les mis en examen demandèrent l’annulation de cet acte, au retour de son exécution, estimant qu’il n’impliquait que l’accomplissement d’investigations à charge.

La chambre de l’instruction rejeta partiellement la demande de nullité aux motifs que la commission rogatoire en cause, certes rédigée maladroitement, avait clarifié les choses dans un dossier ancien en récapitulant précisément les éléments à charge, et que son exécution avait montré que le principe d’impartialité avait été respecté, les enquêteurs ayant fait figurer dans le document demandé, sur la base des réponses apportées par les mis en cause lors de leurs auditions, ce qui pouvait être retenu comme ce qui ne pouvait pas l’être contre chacun d’eux. 

Saisie du pourvoi formé par les deux mis en examen, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt de la chambre de l’instruction. Statuant au visa de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des articles préliminaire et 81 du Code de procédure pénale, la Haute Cour énonce, en attendu, qu’« il résulte de ces textes que le juge d’instruction doit effectuer tous les actes qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité en veillant à l’équilibre des droits des parties et au caractère équitable de la procédure et en instruisant, de façon impartiale, à charge et à décharge ». Et elle en déduit que la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée de ces textes et de ce principe s’agissant d’une commission rogatoire qui ne visait qu’à établir les seuls éléments à charge des infractions poursuivies. 

On rappellera que c’est la loi n° 2000-526 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et des droits des victimes qui a introduit un article préliminaire dans le Code de procédure pénale reconnaissant un certain nombre de principes directeurs du procès pénal. Les principes qui y figurent, articulés autour de trois paragraphes (traitant d’abord des garanties d’une bonne justice, ensuite de la victime et enfin du mis en cause), s’inspirent de solutions jurisprudentielles nationales ainsi que de l’article 6 de la Convention européenne et de la jurisprudence – abondante – rendue sur son fondement. 

Concernant les principes en cause en l’espèce, on remarquera que le principe d’impartialité, consacré textuellement par l’article 6, § 1 de la Convention européenne sous l'expression de droit à un « tribunal indépendant et impartial », ne figure pas à l’article préliminaire qui n’envisage qu’un principe de séparation des fonctions (entendu, de surcroît, très étroitement, car ne visant que la séparation des autorités de poursuite et de jugement ; manque précisément la fonction d’instruction). A l’inverse, l’équilibre des droits des parties est bien prévu à l’article préliminaire (qui débute même par la phrase suivante : « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties »), alors qu’il n’existe « que » dans la jurisprudence européenne et sous une appellation différente, celle d’égalité des armes. D’où l’intérêt, pour la Haute Cour ici, de « croiser » ces différentes sources. 

S’agissant de leur signification, on retiendra que l’impartialité implique le droit à un juge sans préjugé ni pré-jugement (ce qui revient à distinguer l’impartialité subjective et l’impartialité objective, V. CEDH 1er oct. 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79, § 30), et l’égalité des armes correspond à l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la place pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer c/ Pays-Bas, § 33).

Par cet arrêt, la chambre criminelle nous indique qu’il donc faut lire l’article 81 du Code de procédure pénale, qui fonde le pouvoir d’instruction du juge d’instruction, en combinaison avec l’article préliminaire et l’article 6, § 1, de la Convention EDH. L’article 81 dispose que « le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité » ; il précise aussi, depuis la loi du 15 juin 2000 précitée, qu’« il instruit à charge et à décharge ». On comprend alors que la manière de rédiger une commission rogatoire (qui est l’ordre délivré par le juge d’instruction à un officier de police judiciaire d’accomplir un acte d’instruction) peut révéler un parti pris (ici en défaveur des mis en cause) et, de fait, rompre le juste équilibre devant prévaloir entre accusation et défense (pour l’application de l’exigence d’impartialité aux juridictions d’instruction, V. déjà Crim. 23 mars 2004, no 03-87.854). 

Crim. 26 avril 2017, n° 16-86.840

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6, §. 1

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

■ CEDH 1er oct. 1982, Piersack c/ Belgique, n° 8692/79.

■ CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer c/ Pays-Bas, n° 14488/88

■ Crim. 23 mars 2004, n° 03-87.854 P, D. 2004. 1213 ; RSC 2004. 668, obs. A. Giudicelli.

 

Auteur :S. L.

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