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Droit des obligations
Intentionnalité du dol et relativité de la faute contractuelle : des précisions importantes
Même non dolosif, le comportement fautif d’un mandataire engage sa responsabilité vis-à-vis d’un tiers au contrat qui en a subi un dommage.
Par l’intermédiaire d’un courtier d’assurances, une association avait souscrit une garantie de remboursement de frais médicaux proposée par une mutuelle, laquelle avait résilié le contrat un peu plus d’un an après sa conclusion. Reprochant au courtier de lui avoir intentionnellement transmis des informations erronées sur la nature de la population à assurer et des risques encourus si elle décidait d’adhérer à la garantie, la mutuelle avait assigné le mandataire en indemnisation. Après que sa demande fut rejetée en appel, la mutuelle forma un pourvoi en cassation. Elle soutenait que le courtier, par le fait de lui avoir transmis un document volontairement intitulé « liste du personnel », et qui ne mentionnait pas de salariés, seuls à pouvoir bénéficier de la garantie offerte, ainsi que deux devis, présentant faussement les membres de l’association souscriptrice comme des salariés, avait commis un dol, ce comportement fautif justifiant d’engager sa responsabilité délictuelle.
La Cour de cassation commence par approuver la décision des juges du fond qui avaient, faute d’intentionnalité, refusé de caractériser le dol invoqué : en effet, l’ambiguïté des statuts de la mutuelle quant aux bénéficiaires de ses prestations de santé ayant pu générer une méprise chez le courtier, sa faute devait, sous cet angle, être exclue. En revanche, elle reproche aux juges du fond, ce qui justifie la cassation de leur décision, de ne pas avoir recherché, comme il le leur avait été pourtant demandé, si en proposant à son client (l’association), pour assurer ses membres, d’adhérer à une garantie qui ne pouvait bénéficier qu’à des salariés, le courtier n’avait pas commis un manquement contractuel dont la mutuelle, tiers au contrat, pouvait se prévaloir sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Sous l’angle de la réforme réalisée en 2016 comme à l’aune de celle à venir, consacrée au droit de la responsabilité, pour compléter celle-ci, cette décision mérite toute notre attention.
Elle apporte déjà une réponse à la question que la lecture des articles 1137 et suivants du Code civil conduit à se poser concernant le maintien de l’exigence d’intentionnalité du dol. Celle-ci est, en effet, par principe recherchée pour caractériser ce vice provoqué du consentement : le dol suppose une volonté de tromper le contractant, permettant ainsi de différencier cette erreur provoquée de l’erreur spontanée, notamment par sa sanction, laquelle peut se traduire, comme le rappelle cette décision, par des dommages-intérêts alloués sur le fondement de la responsabilité délictuelle, contrairement à l’erreur qui, dépourvue de toute intention malicieuse, est sanctionnée par l’annulation du contrat sans qu’une indemnisation puisse être en sus obtenue. Par tradition exigée, l’intentionnalité du dol était toutefois délaissée en jurisprudence, notamment dans le cas du dol par réticence commis un contractant professionnel (Civ. 1re, 10 mai 1989, n° 87-14.294, Civ. 1re, 15 mai 2002, n° 99-21.521). Cette indifférence paraît maintenue par la loi, qui ne l’exige, du moins de manière expresse, que dans le cas de la réticence dolosive (C. civ., art. 1137, al. 2), sans doute pour remédier justement à la tendance excessive des juges d’induire le dol du seul manquement par un professionnel à son obligation d’information, en sorte que le vice invoqué à son encontre se trouvait tout bonnement, dans ce cas, présumé (Terré, Simler, Lequette, Précis Dalloz, Les obligations, n° 234). Sous cette réserve, les nouvelles dispositions du code civil n’exigent donc pas formellement de caractériser l’élément intentionnel du dol. Autrement dit, le dol commis autrement que par un silence fautif (hypothèses de manœuvres au sens strict, ou de mensonge), n’aurait pas à être intentionnel. Cela étant, le rapport de présentation de l’ordonnance n’indique pas une volonté de modification du droit positif sur ce point. La constance recherchée malgré l’ambiguïté du texte semble en tous cas partagée par les juges, la Cour de cassation approuvant les juges du fond d’avoir tenu compte de cette nécessité d’intention même pour rechercher la commission d’un dol « actif », prétendument réalisé par des actes positifs de tromperie qu’invoquait la demanderesse au pourvoi. L’infléchissement de l’élément intentionnel du dol est donc démenti, cette vitalité retrouvée ne pouvant être qu’approuvée au regard de la nécessité d’assurer l’unité du régime applicable au dol, quelle que soit la forme qu’il revêt. Ainsi le caractère intentionnel du dol serait-il toujours requis, peu important qu’il ait été commis par dissimulation ou par machination. Quant à la charge de le prouver, elle incombe naturellement à sa victime. Cependant, si cette règle ne varie pas davantage en fonction de la forme que le dol emprunte, il va de soi que cette preuve est, en pratique, plus ou moins difficile à rapporter selon la nature des agissements reprochés ; ainsi la preuve d’un dol commis par réticence est, comme celle de tout fait négatif, généralement moins aisée à rapporter que la démonstration d’un acte dolosif, qui laisse pour une large part présumer la volonté malhonnête de son auteur (S. Porchy-Simon, Les obligations, Hypercours, Dalloz, n° 177). Or sous cet aspect-là également, la décision contredit la tendance, les juges légitimant les documents trompeurs émanant du courtier et versés aux débats par la demanderesse, explicables par la possible méprise du premier, non fautive en soi, consistant à penser, vu le flou des statuts de la seconde, que tous les membres de l’association pouvaient bénéficier de la garantie litigieuse.
La décision a également l’intérêt de confirmer la solution issue du fameux arrêt d’assemblée plénière de 2006 (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255) dont la pérennité semblait compromise à la fois par le projet de réforme de la responsabilité présenté en mars 2017 par la Chancellerie et par plusieurs arrêts d’anticipation manifeste de celle-ci. Ainsi l’Assemblée plénière avait-elle par cet arrêt abandonné le principe de relativité de la faute contractuelle en offrant au tiers au contrat la possibilité d’invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, et ce même si la violation de l’obligation contractuelle ne constituait pas en même temps une faute détachable ou extérieure au contrat, ce que la jurisprudence antérieure exigeait à l’effet de préserver le principe de l’effet relatif du contrat ; critiqué pour y avoir porté atteinte, le texte de la chancellerie (art. 1234) marque un abandon de la solution de 2006, imposant au tiers souhaitant obtenir réparation du dommage qu’un manquement contractuel lui a causé d’agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, ce seul manquement ne pouvant plus suffire à engager la responsabilité délictuelle du contractant à l’égard des tiers. Et alors que la troisième chambre civile a déjà abandonné le principe d’identité des fautes contractuelle et délictuelle (Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.203, Com. 7 janv. 2017, n° 14-16.442), la première continue d’en faire application au profit, en l’espèce, de la demanderesse, tiers au mandat liant l’association au courtier, à se prévaloir du manquement de ce dernier à son devoir d’investigation, qui l’obligeait à vérifier que sa cliente remplissait bien toutes les conditions nécessaires au contrat qu’il lui proposait.
Civ. 1re, 19 sept. 2018, n° 16-20.164
Références
■ Civ. 1re , 10 mai 1989, n° 87-14.294 P: D. 1990. 385, obs. L. Aynès
■ Civ. 1re , 15 mai 2002, n° 99-21.521 P: D. 2002. 1811 ; RTD civ. 2003. 84, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255 P: D. 2006. 2825, obs. I. Gallmeister, note G. Viney ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; AJDI 2007. 295, obs. N. Damas ; RDI 2006. 504, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 61, obs. P. Deumier ; ibid. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 123, obs. P. Jourdain
■ Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.203 P: D. 2017. 1225, note D. Houtcieff ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 371, obs. M. Mekki ; RDI 2017. 349, obs. P. Malinvaud ; AJ Contrat 2017. 377, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2017. 651, obs. H. Barbier ; ibid. 666, obs. P. Jourdain
■ Com. 7 janv. 2017, n° 14-16.442 P: D. 2017. 1036, note D. Mazeaud ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 371, obs. M. Mekki ; AJ Contrat 2017. 191, obs. A. Lecourt ; RTD civ. 2017. 651, obs. H. Barbier
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