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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Interdiction d'affichage conforme à la Convention européenne des droits de l'homme
Mots-clefs : Liberté d’expression (ingérence, proportion, raisons pertinentes et suffisantes), Affichage (interdiction), Domaine public (usage interdit), Protection de l’ordre public et des bonnes mœurs, Marge d’appréciation nationale, Obligation positive, Obligation négative
Par un arrêt du 11 octobre 2010 concernant la Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme estime que l’interdiction d’une campagne d’affichage du mouvement raëlien suisse sur le domaine public n’a pas porté atteinte à la liberté d’expression de l’association.
Un État peut-il, sans méconnaître le droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10, empêcher une campagne d'affichage public d'une association à laquelle il a permis d'exister juridiquement ? La Cour de Strasbourg répond, par cinq voix contre deux, par l'affirmative, dans cette affaire concernant la branche suisse du mouvement raëlien.
En 2001, la police de Neuchâtel s'opposa à l'apposition sur des panneaux publicitaires d'affiches représentant des visages d'extraterrestres et une soucoupe volante, accompagnés des messages suivants : « Le Message donné par les extra-terrestres » et « la science remplace enfin la religion », au motif que le mouvement raëlien se livrait à des activités contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Ce refus fut confirmé par le département local du patrimoine, le tribunal administratif du canton, puis le tribunal fédéral. Ces différentes instances estimèrent, en substance, que si les affiches n'étaient pas choquantes en elles-mêmes, la promotion faite par l'association en cause de la « géniocratie » (modèle politique basé sur le coefficient intellectuel), du clonage des êtres humains, mais aussi de la pédophilie et de l'inceste, justifiait l'interdiction. Il fut subsidiairement retenu qu'une telle mise à disposition de l'espace public aurait pu laisser penser que l'État suisse cautionnait ou, du moins, tolérait les agissements en cause.
Devant la Cour EDH, le mouvement raëlien invoquait une violation des articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 10 (liberté d'expression) de la Convention. Dans sa réponse, la Cour se concentre sur la seconde disposition. Elle constate d'abord l'existence d'une ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression, prévue par la loi (art. 19 du règlement de police communal) et poursuivant des buts légitimes (prévention du crime, protection de la santé, de la morale et des droits d'autrui). Pour déterminer le caractère nécessaire de cette ingérence et répondre à la question - inédite - posée (pour une affaire mettant en cause l'usage d'un espace public et ouvert, la mer territoriale, V. CEDH 3 févr. 2009 ; pour l'usage du domaine appartenant à une personne privée, V. CEDH 6 mai 2003), la Cour applique sa jurisprudence Stoll contre Suisse (CEDH 10 déc. 2007) et Steel et Morris contre Royaume-Uni (CEDH 15 févr. 2005). Si rien dans le texte ou les illustrations de l'affiche ne lui paraît illicite ou choquant, elle relève néanmoins la mention, en caractères gras, des coordonnées de l'association (numéro de téléphone et site web), et décide donc d'évaluer « non seulement l'affiche, mais aussi le cadre plus global dans lequel elle se situe, notamment des idées propagées dans les ouvrages et le contenu du site internet de l'association requérante ainsi que de celui de Clonaid », auquel ce dernier renvoie (§ 54). Examinant alors la motivation donnée par les instances suisses (renvoi au site d'une entreprise offrant des services en matière de clonage, existence d'un jugement faisant état de dérives sexuelles possibles visant des mineurs, propagande faite en faveur de la « géniocratie »), elle estime que, compte tenu des circonstances de l'espèce, le refus d'autorisation pouvait être considéré comme nécessaire (§ 56). L'interdiction étant limité à l'affichage sur le domaine public, l'ingérence est jugée proportionnée aux buts visés (§ 57).
C'est la « large marge d'appréciation » reconnue aux autorités nationales quant à l'usage du domaine public (§ 59), combinée à la possibilité pour l'association de s'exprimer par d'autres moyens de communication, qui justifie, pour la majorité, le constat de non-violation de l'article 10. Deux juges s'opposent, par opinion dissidente, à ce raisonnement. Selon eux, la mise en jeu d'une obligation négative - et non positive - fondée sur l'article 10 aurait dû conduire la Cour à réduire la marge d'appréciation évoquée et à mettre en avant la contradiction entre le fait, pour un État, d'autoriser l'existence juridique d'une association et celui de lui interdire de faire de la publicité, de manière neutre, pour ses activités.
CEDH 11 janv. 2011, Mouvement Raëlien suisse c. Suisse, no 16354/06
Références
Convention européenne des droits de l'homme
« Liberté de pensée, de conscience et de religion. 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ CEDH, 3 févr. 2009, Women on waves et a. c. Portugal, n° 31276/05.
■ CEDH, 6 mai 2003, Appleby et a. c. Royaume-Uni, n° 44306/98, Rec. CEDH, p. 2003-VI.
■ CEDH, Gde ch., 10 déc. 2007, Stoll contre Suisse, n° 69698/01, Rec. CEDH, p. 2007-XIV.
■ CEDH, 15 févr. 2005, Steel et Morris contre Royaume-Uni, n° 68416/01, Rec. CEDH, p. 2005-II.
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