Actualité > À la une

À la une

[ 18 octobre 2023 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Interdiction générale du port de signes distinctifs sur la robe d’avocat

Le 7 septembre 2023, l’assemblée générale du Conseil national des barreaux a voté en faveur de l’adoption de dispositions réglementaires afin d’interdire le port de tout signe distinctif sur la robe d’avocat, conférant à cette interdiction une portée générale et normative appelée de ses vœux par la majorité des représentants de la profession.

À l’issue d’une concertation des ordres et des syndicats de la profession d’avocat, les élus du Conseil national des barreaux (CNB) ont adopté, lors de l’assemblée générale du 7 septembre 2023, une décision à caractère normatif relative au port de signes distinctifs sur le costume professionnel de l’avocat. La résolution adoptée par l’assemblée générale du CNB vise à modifier l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qui dispose que les avocats « revêtent, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession ». La modification consiste à ajouter la disposition suivante : « l’avocat ne porte aucun signe distinctif avec sa robe. » Le texte a été transmis à la Chancellerie pour qu’il soit publié au Journal officiel et intégré au Règlement intérieur national (RIN).

■ Une réglementation unifiée. Ce vote est venu conclure un long processus de consultation sur un sujet sensible, qui pose principalement la question de la compatibilité du port du voile avec la robe d’avocat. La profession est longtemps restée divisée quant à la nécessité d’interdire par voie réglementaire le port de signes distinctifs. Ce défaut d’unanimité était par ailleurs accru par l’absence de réglementation de cette question sur le territoire national. En effet, le CNB a longtemps refusé de modifier son règlement intérieur pour interdire expressément le port sur la robe d’avocat de signes marquant une appartenance idéologique ou religieuse, essentiellement parce qu’une telle prohibition pouvait être perçue comme discriminatoire. Seuls plusieurs barreaux y avaient procédé, notamment pour proscrire le port du voile islamique. Précisions qu’ils en ont la compétence, le costume d’audience contenant une symbolique intéressant l’exercice de la profession qu’un conseil de l’ordre est libre de réglementer (v. art. 17 de la L. du 31 déc. 1971, préc. et Civ. 1re, 2 mars 2022, n° 20-20.185). Toutefois, l’absence d’interdiction du port de signes distinctifs dans le règlement intérieur national de la profession pouvait être regrettée, son traitement étant cantonné au niveau local, au gré des incidents produits, par des dispositions éparses ajoutées aux règlements intérieurs des barreaux et des écoles. Une formulation univoque et générale de ce principe d’interdiction est donc bienvenue, notamment face au risque de sanction par la CEDH encouru par l’État français (v. sur le port de signes religieux dans l’enceinte des juridictions : CEDH 5 déc. 2017, Hamidovic c/ Bosnie-Herzégovine, req. n° 57792/15 ; 18 sept. 2018, Lachiri c/ Belgique, req. n° 3413/09), dont nul n’ignore la singularité laïque dans le concert européen. La disposition adoptée par les élus du CNB permet ainsi « de clarifier des pratiques et d’avoir une position unitaire sur un sujet ô combien délicat, que nous avons su traiter, je pense, avec dignité et respect », a déclaré le président du CNB, Jérôme Gavaudan, lors de son discours à la grande rentrée des avocats organisée par l’institution le 28 septembre dernier à Paris.

■ Une réglementation justifiée. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que la restriction ainsi apportée aux libertés fondamentales de conscience, d’expression et de religion de l’avocat était nécessaire, adéquate et proportionnée (Civ. 1re, 2 mars 2022, préc.). Cette restriction est d’une part justifiée par le principe d’indépendance auquel les avocats sont soumis. Les avocats sont des auxiliaires de justice qui prêtent serment d’exercer leurs fonctions avec indépendance et qui revêtent, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession. Partant, la révélation par le port de signes distinctifs sur la robe de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses, n’est pas compatible avec le principe d’indépendance qui gouverne l’exercice de leur profession. Cette restriction est d’autre part justifiée par le principe d’égalité. La Cour de cassation juge en effet que le port d’ « un costume uniforme contribue à assurer l’égalité des avocats et, à travers celle-ci, l’égalité des justiciables ». Cette justification rappelle celle de l’interdiction faite aux fonctionnaires et agents du service public de porter des signes manifestant leurs convictions religieuses, qui répond historiquement à l’exigence de traitement égal des usagers du service public. En sa qualité d’auxiliaire de justice concourant au service public de la justice, l’avocat se doit également « d’effacer ce qui lui est personnel », le port du costume de sa profession sans aucun signe distinctif étant « nécessaire pour témoigner de sa disponibilité à tout justiciable » (Civ. 1re, 2 mars 2022, préc.). Au nom du droit à un procès équitable reconnu à tout justiciable, l’interdiction désormais générale faite aux avocats d’assortir leur robe de signes distinctifs, notamment religieux, est justifiée par leur mission de représentation ou d’assistance du justiciable devant une juridiction. C’est la raison pour laquelle cette interdiction est circonscrite à leurs activités judiciaires, ce qui la rend proportionnée. À l’instar des délibérations l’ayant précédée, cette restriction du champ d’application de la nouvelle réglementation aux activités juridictionnelles exercées par les avocats dans le cadre de leur mission de service public légitime l’atteinte objectivement portée à leurs libertés fondamentales. En effet, l’interdiction ne s’impose que dans le seul cadre des activités juridictionnelles de l’avocat, au nom de l’égalité des justiciables devant le service public de la justice. Dès lors, l’interdiction ne se justifie plus lorsque l’avocat porte la robe hors de l’enceinte d’un tribunal. Ainsi la décision du CNB ne s’appliquera-t-elle pas au port de badges et autres affichettes sur la robe lors de manifestations ou de grèves (car l’avocat n’est pas dans l’exercice de ses fonctions judiciaires). Enfin, la prohibition ne s’étend pas au port de décorations, le CNB n’est pas habilité à prendre des dispositions contraires au code de la Légion d’honneur et de la médaille militaire qui régit le port des décorations, lequel ne contrevient pas, en outre, au principe d’égalité (Civ. 1re, 24 oct. 2018, n° 17-26.166).

Désormais impérative et nationale, l’interdiction de greffer à la robe d’avocat tout signe distinctif est donc à plusieurs titres justifiée. Non seulement nécessaire à la protection de l’indépendance de l’avocat et à la garantie du droit de son client à un procès équitable, l’interdiction prévue, suffisamment large dans son contenu (tous les signes distinctifs sont visés, et non pas seulement les signes d’appartenance religieuse) et délimitée dans son champ d’application (aux activités juridictionnelles), se révèle également adéquate et proportionnée à l'objectif recherché, justifiant la restriction ainsi apportée aux libertés fondamentales de conscience, de religion et d’expression de l’ensemble des membres de la profession.

 

Références :

■ Civ. 1re, 2 mars 2022, n° 20-20.185 B : DAE, 1er avr. 2022, note M. Hervieu ; AJDA 2022. 432 ; ibid. 1056, note X. Bioy ; D. 2022. 465 ; ibid. 2023. 87, obs. T. Wickers.

■ CEDH 5 déc. 2017, Hamidovic c/ Bosnie-Herzégovine, req. n° 57792/15 AJCT 2018. 613, Pratique M. Bahouala.

■ CEDH 18 sept. 2018, Lachiri c/ Belgique, req. n° 3413/09 AJDA 2019. 22 ; ibid. 169, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RTD civ. 2018. 867, obs. A.-M. Leroyer.

■ Civ. 1re, 24 oct. 2018, n° 17-26.166 P : DAE, 23 nov. 2018, note M. Hervieu D. 2018. 2284, note P.-L. Boyer ; ibid. 2019. 91, obs. T. Wickers ; D. avocats 2018. 392, obs. D. Landry.

 

 

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr