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[ 10 mai 2017 ] Imprimer

Droit des obligations

Interdiction pour le juge de dénaturer un écrit

Mots-clefs : Dénaturation, Contrôle, Notion, Illustration, Modification du contrat, Stipulation contractuelle, Adjonction d’une condition

On ne peut interpréter, sans la dénaturer, une clause claire et précise d’un contrat en y ajoutant une condition qu’elle ne comporte pas.

A l'occasion de la construction d'un immeuble, un rectorat avait confié la réalisation du gros œuvre à une société qui avait sous-traité la pose d'un revêtement plastique épais à une autre société. Se plaignant d'infiltrations à l'intérieur du bâtiment et de fissurations en façade, la société avait, après expertise, assigné son sous-traitant en indemnisation. Celui-ci avait alors appelé son assureur en garantie. Pour condamner cette dernière solidairement avec la société assurée et à garantir partiellement cette dernière, l'arrêt retint, aux termes du contrat d’assurance versé à la cause, que les dommages imputables à la société assurée ne résultaient ni de produits défectueux (clause 2. 2. 3), ni d'une cause extérieure aux travaux d'enduit eux-mêmes les ayant endommagés (clause 3. 12), qu'ils ne relevaient pas non plus davantage de la garantie du constructeur prévue aux articles 1792 et suivants du Code civil (clause 3. 7) et, enfin, qu'aucun dommage immatériel consécutif aux désordres n'était allégué (clause 3. 38).

Rappelant l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond, en leur reprochant d’avoir, en ajoutant à l’une des clauses d’exclusion de la garantie (3.12) une condition relative à une cause extérieure qui n’était pas stipulée, dénaturé cette clause.

Si la Cour de cassation ne contrôle pas, en l’absence de caractère impératif des règles relatives à l’interprétation des contrats (Civ. 1re, 6 mars 1979 : Les anciens articles 1156 et suivants du Code civil formulent, pour l’interprétation des conventions, des règles qui ne présentent pas un caractère impératif et dont une éventuelle méconnaissance ne saurait, à elle seule, donner ouverture à cassation), l'interprétation menée sur le fondement des articles 1188 et suivants du Code civil (art. 1156 s. anc.), elle contrôle, au visa des articles 1103 (anc. art. 1134) et 1192 du Code civil, et depuis un ancien arrêt de principe (Civ. 15 avr. 1872, Veuve Foucauld), la dénaturation du contrat. Celle-ci implique d’interdire au juge, sous couvert d'interprétation, de méconnaître les termes du contrat choisis par les parties au point d’altérer l’opération contractuelle qu’ils ont voulue. La notion de dénaturation repose sur la force obligatoire du contrat. L'interprétation n'étant requise qu'en cas d'ambiguïté ou d'obscurité des termes d’un contrat, la dénaturation existe lorsque, bien que le sens de ses termes soit clair et précis, le juge les méconnaît au point de modifier les obligations qui en résultent et les stipulations qu’il renferme.

Lorsque les termes sont clairs et précis, toute interprétation confine à la dénaturation en raison de l'application de l'adage interpretatio cessat in claris. La dénaturation se réalise, notamment, par la modification de stipulations contractuelles et plus particulièrement, par l’adjonction au contrat d’une condition qu’il ne comporte pas (Civ. 1re, 4 nov.1968). C’est bien ce qui justifie, dans la décision rapportée, la cassation de la décision des juges du fond. En effet, alors que la clause litigieuse prévoyait seulement une exclusion de la garantie pour « (les dommages) subis par les biens fournis, travaux, ouvrages, prestations exécutées par l’assuré ou par un tiers pour le compte de l’assuré », la cour d’appel avait, pour estimer que cette clause ne pouvait s’appliquer au litige, jugé que les dommages liés aux malfaçons ayant engagé la responsabilité de la société assurée ne résultaient pas « d’une cause extérieure aux travaux d’enduit eux-mêmes les ayant endommagés ». Ainsi avait-elle ajouté à la clause d’exclusion de garantie, pour empêcher sa mise en œuvre, une condition qui n’y figurait pas au point de dénaturer le contrat, méconnaissant de surcroît les termes du litige, les sociétés y étant parties ne s’étant pas prévalu de la nécessité de démontrer l’existence d’une telle condition pour la mise en œuvre de la clause litigieuse.

Civ. 3e, 20 avr. 2017, n° 16-13.462

Références

■ Civ. 1re, 6 mars 1979, n° 77-14.827 P. 

■ Civ. 15 avr. 1872, Veuve Foucauld.

■ Civ. 1re, 4 nov. 1968 P.

 

Auteur :M. H.

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