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Droit de la famille
Intérêt de l’enfant en cours d’adoption : des repères plutôt qu’un père !
Le deuxième alinéa de l'article 351 du Code civil et le premier alinéa de l'article 352 du même code, qui dans le cas d'un enfant né d'un accouchement secret, s'opposent à toute reconnaissance de l’enfant à compter de son placement en vue de l'adoption ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale ni au principe d’égalité devant la loi.
Après qu’une femme eut accouché dans le secret, son enfant avait été admis, d’abord à titre provisoire, puis à titre définitif, comme pupille de l’État. L’un des organes chargés de la tutelle de ces enfants, le conseil de famille des pupilles de l’État (CASF, art. L. 224-1), avait consenti à son adoption, le 10 janvier 2017, et décidé de son placement chez de futurs adoptants le 28 janvier suivant. L’enfant avait ensuite été effectivement remis au foyer d’un couple le 15 février. Or treize jours auparavant, le 2 février 2017, son père biologique, après avoir entrepris des démarches auprès du procureur de la République pour retrouver sa fille puis l’avoir identifiée, avait procédé à sa reconnaissance par un acte en date du 12 juin de la même année. Le couple d’accueil ayant ultérieurement au placement de l’enfant déposé une requête en adoption plénière, le père biologique de l’enfant était intervenu volontairement à l’instance pour s’y opposer.
À l’occasion du pourvoi en cassation (Civ. 1re, QPC, 20 nov. 2019, n° 19-15.921) formé contre l’arrêt de la cour d’appel ayant prononcé l’adoption de l’enfant, le père de la petite fille avait demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité. La première portait sur celle du texte de l’article 351, alinéa 2, du Code civil, qui prévoit que « Lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie, il ne peut y avoir de placement en vue de l'adoption pendant un délai de deux mois à compter du recueil de l'enfant », la seconde interrogeait la conformité à la Constitution de l’article 352, alinéa 1er, du Code civil, qui dispose « (l)e placement en vue de l'adoption met obstacle à toute restitution de l'enfant à sa famille d'origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ».
Au regard du Préambule de la Constitution de 1946 (al. 10 et 11) et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art. 2 et 6), le requérant soutenait tout d'abord que ces dispositions, qui s'opposent à toute reconnaissance d'un enfant à compter de son placement en vue de l'adoption, méconnaîtraient, dans le cas d'un enfant né d'un accouchement secret, le droit du père à mener une vie familiale normale : dès lors que le placement de l'enfant peut intervenir dès l'expiration d'un délai de deux mois après son recueil par le service de l'aide sociale à l'enfance, le père de naissance, lorsqu'il ignore les date et lieu de naissance de l'enfant, serait dans l'impossibilité de le reconnaître avant son placement en vue de l'adoption et donc d'en solliciter la restitution. Par ailleurs, en s'opposant à toute reconnaissance de l'enfant dès son placement en vue de l'adoption, ces dispositions privilégieraient la filiation adoptive au détriment de la filiation biologique en méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant et d'un principe fondamental « selon lequel la filiation biologique est première et l'adoption seulement subsidiaire ». Enfin, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi, d'une part en ce qu’elles soumettent aux mêmes délais et procédure le père et la mère de naissance alors que seule cette dernière est informée des conséquences de l'accouchement secret, d'autre part en ce qu’elles institueraient une différence de traitement entre le père de naissance et les futurs adoptants en empêchant le premier d'établir sa filiation après le placement en vue de l'adoption quand les seconds bénéficieraient, dès cet instant, de la garantie de l'établissement d'un lien de filiation.
Après avoir considéré ces dispositions applicables au litige et relevé qu’elles n’avaient pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation avait également retenu le caractère sérieux de la question posée au regard des droits et libertés fondamentales invoqués. Ainsi décida-t-elle de renvoyer cette QPC au Conseil constitutionnel, qui écarte chacun des griefs du requérant.
■ Sur les griefs tirés de la méconnaissance de l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et du droit de mener une vie familiale normale
Rappelons au préalable que l'article 326 du Code civil permet à la mère, lors de l'accouchement, de demander que soit préservé le secret de son admission et de son identité. Par ailleurs, l'article L. 224-4 du Code de l'action sociale et des familles prévoit que, lorsqu'ils ont été recueillis par le service d'aide sociale à l'enfance depuis plus de deux mois, les enfants dont la filiation n'est pas établie ou est inconnue, au nombre desquels figurent les enfants nés d'un tel accouchement secret, sont admis en qualité de pupilles de l'État. Autrement dit, l’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’État n’est pas prononcée de façon immédiate. Afin que son sort ne soit pas scellé de manière trop hâtive, l'article L. 224-6 du code précité prévoit que, pendant ce délai de deux mois, les père et mère peuvent reconnaître l'enfant et le récupérer immédiatement, sans aucune formalité. Au-delà de ce délai, la décision d'accepter ou de refuser la restitution d'un pupille de l'État est prise par le tuteur, avec l'accord du conseil de famille. Il est vrai que ce délai peut sembler fort court. Cependant, comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme, des « travaux menés par les professionnels de l’enfance » ont montré que « l’intérêt de l’enfant (est) de bénéficier le plus rapidement possible de relations affectives stables dans (une) nouvelle famille » (CEDH 10 janv. 2008, Kearns c/ France, n° 35991/04 § 76 s.)
Il résulte des dispositions contestées de l'article 351 du Code civil que lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie, le placement en vue de l'adoption ne peut pas intervenir avant l'expiration du délai de deux mois à compter du recueil de l'enfant au terme duquel il est admis en qualité de pupille de l'État. Les dispositions contestées de l'article 352 du code civil prévoient quant à elles que le placement en vue de l'adoption fait échec à toute reconnaissance. Ainsi la question prioritaire de constitutionnalité portait-elle en vérité, comme le soulignent les Sages, sur la brièveté du délai de « deux mois » figurant au premier texte et sur la rigueur du second proscrivant sans réserve ni exception « toute reconnaissance ».
Le Conseil constitutionnel procéda alors à l’analyse suivante. D'une part, en prévoyant qu'un enfant sans filiation ne peut être placé en vue de son adoption qu'à l'issue d'un délai de deux mois, le législateur a entendu concilier l'intérêt des parents de naissance à disposer d'un délai raisonnable pour reconnaître l'enfant et en obtenir la restitution et celui de l'enfant dépourvu de filiation à ce que son adoption intervienne dans un délai suffisamment limité pour ne pas qui ne compromettre son développement ; d'autre part, la reconnaissance d'un enfant placé dans sa future famille adoptive pourrait faire obstacle à la conduite de la procédure d'adoption voire la faire échouer. En interdisant qu'une telle reconnaissance intervienne postérieurement au placement de l’enfant en vue de son adoption, le législateur a entendu garantir à l'enfant un environnement et un avenir familial stable. Il est vrai que le placement en vue de l’adoption produit un effet considérable, et décisif : il scelle en principe de manière définitive la rupture entre l’enfant et ses parents d’origine. Ainsi le législateur a-t-il ainsi fait le choix de préserver l’intérêt de l’enfant sur celui de son ou de ses parents biologiques contraints, à l’expiration de ce délai, de s’effacer pour ne pas réduire, au profit de la stabilité de l’enfant, les chances de succès de sa procédure d’adoption. Le Conseil constitutionnel prend cependant soin de rappeler que cette interdiction de reconnaissance à compter du placement de l’enfant est tempérée par la possibilité offerte au père de naissance de reconnaître l'enfant avant sa naissance et jusqu'à son éventuel placement. En effet, dans son célèbre arrêt Benjamin (Civ. 1re, 7 avr. 2006, n° 05-11.285), la Cour de cassation avait pour la première fois admis le droit du père biologique de procéder à une reconnaissance prénatale d’un enfant né sous le secret. Pour préserver ses droits, et lui permettre surtout de s’opposer à l’éventuelle adoption de l’enfant, les juges considèrent que le placement en vue d’adoption ne doit pas priver d’effet la reconnaissance préalable effectuée par le père dans la mesure où celle-ci ne remet pas en cause l’anonymat de la mère: la filiation hors mariage étant divisible, cet acte de reconnaissance n’aura d’effet qu’à l’égard du père, le secret de l’identité de la mère demeurant ainsi gardé. Aussi, ajoutent les Sages, dans le cas d'un enfant né d'un accouchement secret, l'article 62-1 du Code civil prévoit que, si la transcription de la reconnaissance paternelle se révèle impossible, le père peut en informer le procureur de la République, qui doit procéder à la recherche des date et lieu d'établissement de l'acte de naissance de l'enfant. On ne peut toutefois pas manquer de relever le caractère assez théorique de cette disposition : si une femme décide d’accoucher dans la discrétion la plus totale et que le père ne possède aucun renseignement concernant le lieu et la date nécessaires aux investigations, celles-ci resteront difficiles. En revanche, le Conseil constitutionnel aurait pu préciser que dans l’hypothèse où la procédure d’adoption échoue, les effets du placement se trouvent rétroactivement résolus (C. civ., art. 352, al. 2), rendant à nouveau possibles les retrouvailles entre l’enfant et ses parents de naissance, du moins si elles sont souhaitées par ces derniers et conformes à l’intérêt de l’enfant.
Quoi qu’il en soit, refusant de substituer son appréciation à celle du législateur sur la conciliation à opérer, dans l'intérêt supérieur de l'enfant remis au service de l'aide sociale à l'enfance, entre le droit des parents de naissance de mener une vie familiale normale et l'objectif de favoriser l'adoption de cet enfant, dès lors que cette conciliation n'est pas manifestement déséquilibrée, le Conseil constitutionnel déduit finalement de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale et de l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant doivent être écartés
■ Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi
Rappelons, à l’instar des juges du Conseil constitutionnel, que si ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Or dans le cas d'un accouchement secret, le père et la mère de naissance se trouvent dans une situation de fait différente pour reconnaître l'enfant, mais en toute hypothèse, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir le délai dans lequel peut intervenir le placement de l'enfant en vue de son adoption et les conséquences de ce placement sur la possibilité d'actions en reconnaissance, n'instituent pas de différence de traitement entre eux, et ne créent pas davantage de différence de traitement entre les parents de naissance et les futurs adoptants, dont la prétendue garantie filiale est, comme expliqué précédemment, inexistante. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
Le Conseil constitutionnel conclut de tout ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Cons. const. 7 février 2020, n° 2019-826 QPC
Références
■ Civ. 1re, QPC, 20 nov. 2019, n° 19-15.921 P : D. 2019. 2300 ; AJ fam. 2020. 73, obs. J. Houssier ; ibid. 2019. 615, obs. A. Dionisi-Peyrusse
■ CEDH 10 janv. 2008, Kearns c/ France, n° 35991/04 : D. 2008. 415, obs. P. Guiomard ; AJ fam. 2008. 78, obs. F. Chénedé ; RDSS 2008. 353, note C. Neirinck ; RTD civ. 2008. 252, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 285, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 7 avr. 2006, n° 05-11.285 P : D. 2006. 2293, obs. I. Gallmeister, note E. Poisson-Drocourt ; ibid. 1177, tribune B. Mallet-Bricout ; ibid. 1707, chron. J. Revel ; ibid. 2007. 879, chron. P. Salvage-Gerest ; ibid. 1460, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; Just. & cass. 2007. 328, rapp. A. Pascal ; AJ fam. 2006. 249, obs. F. Chénedé ; RDSS 2006. 575, obs. C. Neirinck ; RTD civ. 2006. 273, obs. P. Remy-Corlay ; ibid. 292, obs. J. Hauser
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