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[ 23 mai 2017 ] Imprimer

Droit pénal général

Intérimaire blessé : faute délibérée dans la main du juge pénal, la réparation dans celle du TASS

Mots-clefs : Intérimaire, Blessure, Responsabilité pénale, Faute, Responsabilité civile, Employeur, Atteintes involontaires à l’intégrité corporelle

Le juge pénal qui reconnaît qu’est responsable pénalement, la société qui confie une tâche complexe à un employé intérimaire, sans le faire bénéficier au préalable d'une formation pratique et appropriée à la sécurité des salariés temporaires, ne peut statuer sur la responsabilité civile de l'employeur.

Un étudiant âgé de 19 ans, embauché par une société d’intérim, a été mis à la disposition d’une société exploitant une entreprise de métallurgie, pour occuper un emploi de manutentionnaire en atelier, du 4 au 20 juillet 2007. Affecté, le 18 juillet 2007, au poste de métallurgiste pour le pliage de pièces métalliques, au moyen d'une presse, l’étudiant a été victime d’un écrasement de la main gauche, lui occasionnant une incapacité totale de travail de trente-cinq jours. Sur la base du procès-verbal établi par l’inspection du travail, la société utilisatrice a été poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires (C. pén., art. 222-20), notamment pour avoir confié une tâche complexe à un employé intérimaire, sans le faire bénéficier au préalable d'une formation pratique et appropriée à la sécurité des salariés temporaires. Les juges du fond sont entrés en voie de condamnation et, sur l’action civile, l’ont déclarée responsable du préjudice subi par la victime tout en se déclarant incompétents pour connaitre de sa demande de dommages-intérêts.

Dans son pour pourvoi, la société condamnée contestait la caractérisation de l’infraction prévue par l’article 222-20 du Code pénal réprimant les atteintes involontaires à l’intégrité corporelle lorsqu’il en résulte une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois et qui repose sur l’existence d’une faute délibérée. Selon la société défenderesse, la Cour d’appel se serait fondée sur une faute caractérisée et en tout état de cause n’aurait pas justifié ni le caractère manifestement délibérée de la violation d’une obligation ni le caractère particulier des obligations non respectées pourtant requis pour la faute délibérée. Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Rappelons que la faute délibérée, qui « se situe au sommet de la gradation des fautes, telle qu'elle ressort des réformes successives de notre droit depuis la refonte du code pénal » (Y. Mayaud, RSC 2001. 156) se définit, comme « la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

S’agissant d’abord de l’existence d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la Chambre criminelle reconnaît que le non-respect des prescriptions de l’article L. 4142-2 du Code du travail, imposant de faire bénéficier les salariés temporaires, affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, d’une formation renforcée à cette sécurité, constitue une telle obligation particulière. Ce faisant, elle rejette l’analyse consistant à admettre que la disposition ne contient uniquement que des grands principes de formation, autrement dit une obligation générale de prudence ou de sécurité.

Concernant ensuite le caractère manifestement délibéré de la violation de la réglementation, la Chambre criminelle admet que les juges ont pu la déduire notamment  «de ce que la jeune victime a été postée sur une machine dangereuse pendant plusieurs heures, alors qu’elle était dépourvue de toute qualification et avait d’ailleurs été embauchée en qualité de simple manutentionnaire, et que, d’une manière générale, aucune procédure n'était prévue pour former les salariés intérimaires dans l'entreprise, par souci de rentabilité ».  

L’arrêt de la Cour d’appel est néanmoins censuré, la Chambre criminelle prononçant une cassation par voie de retranchement sans renvoi, sur un moyen relevé d’office, concernant le volet de la réparation.

En matière d’action indemnitaire de la victime d'un accident du travail, les juridictions répressives sont incompétentes. Cette incompétence résulte des articles L. 451-1 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale lesquels prévoient la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale. La Cour de cassation rappelle dans un attendu de principe que « qu'en dehors des exceptions prévues par ce texte d'ordre public, qui n'incluent pas les accidents de travail subis par les salariés intérimaires, aucune action en réparation des conséquences dommageables de tels accidents ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime contre l'entreprise utilisatrice ou ses préposés ». La solution n’est pas nouvelle et la Chambre criminelle confirme sa jurisprudence relative à la saisine des juridictions pénales et à l'indemnisation du préjudice résultant d'un accident du travail (Crim. 18 sept. 2012, n° 11-84.279). 

En l’espèce, alors que Les juges du fond s’étaient déclarés à juste titre incompétents pour connaître de l'action indemnitaire de la victime, ils avaient préalablement déclaré la société utilisatrice responsable de son préjudice. Ce faisant, les juges ont statué sur le principe même de la responsabilité civile de l'employeur, ce qu’ils ne pouvaient pas faire. La cassation est prononcée par voie de retranchement ce qui selon les termes de Garraud a pour effet « d'annuler une disposition ayant, par rapport aux autres, un caractère indépendant et accessoire, si bien qu'elle peut être retranchée de la décision attaquée, d'une part sans que l'autorité de cette dernière soit ébranlée, d'autre part sans qu'il y ait lieu de remplacer la disposition effacée »(Garraud, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procédure pénale, Sirey, 1926, t. V, no 1935).

Crim. 25 avril 2017 n° 15-85.890

Référence

 Crim. 18 sept. 2012, n° 11-84.279 P, Dr. soc. 2013. 142, chron. R. Salomon et A. Martinel ; RSC 2013. 385, obs. A. Cerf-Hollender.

 

Auteur :C. L.

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