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Droit de la responsabilité civile
Interruption de la prescription : que les choses soient claires !
Équivoque, la reconnaissance de l'existence d’un trouble anormal du voisinage par son auteur n’emporte pas celle de son obligation d’indemniser la victime, en sorte que le délai de prescription quinquennale, faute d’avoir été interrompu, devait être considéré comme expiré.
Civ. 3e, 7 janv. 2021, n° 19-23.262
L’article 2240 du Code civil prévoit simplement que « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ». Dans la décision rapportée, la Cour de cassation rappelle une condition implicite mais essentielle d’application de ce texte : l’univocité de la reconnaissance par le débiteur du droit de son créancier. L’interruption d’un délai de prescription suppose en effet que la cause qui la justifie soit dépourvue d’équivocité : l’impact direct d’une telle interruption sur la recevabilité de l’action en justice, alors susceptible d’échapper à la prescription en raison de l’événement ayant suspendu l’écoulement de son délai, exerce par là même une égale influence sur le droit du justiciable d’accéder à un tribunal, garanti par le droit à un procès équitable. On comprend alors l’exigence d’univocité de la cause susceptible d’interrompre le délai en cours de prescription. Dans cette affaire relative à un trouble anormal du voisinage, la Cour ne la juge pas satisfaite, excluant alors l’effet interruptif de prescription de la seule reconnaissance de l’existence d’un trouble par son auteur dès lors qu’elle ne pouvait, sans équivocité, s’étendre à celle de son obligation d’indemniser ce trouble.
La propriétaire d’un terrain avait assigné son voisin en indemnisation du trouble anormal de voisinage causé par la présence sur son fonds d’aiguilles et de pommes de pin provenant des sapins plantés dans le jardin de son voisin. Condamné en appel, ce dernier forma un pourvoi en cassation. Il faisait grief à la juridiction du second degré d’avoir, pour admettre qu’une lettre recommandée émise par la victime avait interrompu le délai de prescription quinquennale et déclarer en conséquence son action recevable, retenu qu’il n’avait pas contesté la teneur de cette lettre qui lui rappelait son engagement de consulter un spécialiste de l'élagage et que, par cette volonté ainsi manifestée après les nombreuses plaintes de la victime, il avait ainsi reconnu l'existence d'un empiétement de ses arbres sur le fonds de sa voisine, ce qui l’obligeait à en assumer les conséquences en cas de troubles de voisinage, notamment par l’octroi de dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi par sa victime : selon le demandeur, la cour d’appel avait ainsi statué en considération d’une circonstance impropre à caractériser une reconnaissance non équivoque de sa part du droit de sa voisine à être indemnisée du préjudice né de l'existence du trouble anormal du voisinage qu’il admettait seulement avoir causé.
Adhérant à la thèse du pourvoi, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond, ayant à tort déduit de la lettre recommandée reçue par le fauteur de troubles, sans contestation ultérieure de sa part, l’interruption du délai de prescription quinquennale en cours et la recevabilité corrélative de l’action engagée par la victime : en se déterminant ainsi, sans justifier qu’il avait ainsi reconnu, de manière non équivoque, son obligation d’indemniser la victime du trouble, dont il avait seulement admis l’existence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. En conséquence, l’action en indemnisation de la propriétaire était bien prescrite.
Plus généralement, et par principe, la Cour érige en critère d’application de l’article 2240 du Code civil figurant au visa de cette décision le caractère non équivoque de la reconnaissance par le débiteur du droit de celui tendant à le voir déclarer prescrit.
Ainsi la Cour de cassation refuse-t-elle souvent pour ce motif de constater l’effet interruptif de la prescription. Elle l’a récemment exclu à propos de l'action en justice engagée par une caution pour voir déclarées prescrites les obligations nées de son engagement. La banque soutenait qu’avant même qu’en sa qualité de créancière, elle eût prouvé l'existence de son droit à paiement, la caution avait pris sans attendre l’initiative d’agir en justice pour voir juger l’extinction de son obligation de paiement, ce qui supposait qu’elle en reconnaissait l’existence. La Cour lui avait alors fermement opposé que l'action tendant à voir déclarer une obligation prescrite ne constitue pas, en soi, la reconnaissance non équivoque de l’existence de cette obligation et du droit de son prétendu créancier d’en obtenir l’exécution (Com. 9 mai 2018, n° 17-14.568). L’univocité de la reconnaissance du droit de créance de la banque ne pouvant résulter de la seule action de son débiteur en prescription de sa dette, l’action en paiement engagée par la banque devait alors être jugée irrecevable comme prescrite, faute d’interruption du délai quinquennal applicable. En écho aux faits de l’espèce rapportée, la Cour de cassation avait également refusé de considérer le délai de prescription interrompu par l’envoi d’une lettre par les assureurs d’une avocate à d’anciens clients qui l’avaient assignée en responsabilité. Alors que la cour d’appel avait estimé que cette lettre, pourtant adressée en vue de trouver une solution amiable au litige, valait reconnaissance expresse du droit à réparation des clients et constituait un acte interruptif de prescription, la Cour de cassation avait cette fois encore cassé la décision des juges du fond au visa de l'article 2240 du Code civil affirmant que ce courrier, qui se présentait comme une invitation à entrer en pourparlers pour résoudre à l’amiable le litige opposant les parties, ne pouvait constituer, faute d’univocité, « une reconnaissance de responsabilité (de l’avocate) interruptive du délai de prescription » (Civ. 1re, 5 févr. 2014, n° 13-10.791 ; v. égal. Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 16-22.678, rappelant qu’« une offre transactionnelle ne caractérise pas une reconnaissance de responsabilité »).
À l’inverse, une lettre aux termes de laquelle le débiteur sollicite le dégrèvement de la somme réclamée par son créancier et dont l’objet consiste précisément en une demande de remise de dette, permet de retenir à son encontre un aveu non équivoque de l’existence de sa dette, dans son principe comme dans sa matérialité, de nature à interrompre la prescription, seul son montant étant discuté (Civ. 1re, 15 juin 2004, n° 03-30.052 ; v. déjà, Cass., ass. plén., 27 juin 1969, n° 67-11.376, à propos d’une demande de remise de majoration de retard).
En l’espèce, le courrier reçu par l’auteur du trouble procédait du seul rappel de son engagement verbal de faire appel à un professionnel pour résoudre le trouble anormal qui lui était reproché. En déduire, comme la cour d’appel, la reconnaissance non équivoque par l’auteur du trouble du droit de sa victime à être indemnisée, procédait ainsi d’une analyse erronée. D’une part, n’ayant pris lui-même aucune initiative, épistolaire comme matérielle, pour faire cesser le trouble, sa reconnaissance prétendue du droit de créance indemnitaire de sa voisine ne pouvait, compte tenu de cette inaction, que prêter au doute. D’autre part, la seule absence de contestation de sa part, à la suite du courrier reçu de sa voisine, ne pouvait de toute évidence caractériser l’univocité de la reconnaissance de sa dette indemnitaire, seule à même d’interrompre la prescription. Dit autrement, qui ne dit mot ne consent pas à reconnaître sans équivoque le droit de celui contre lequel on prescrit.
La Cour confirme ainsi que sans être soumise à un quelconque formalisme, la reconnaissance visée à l’article 2240 doit, pour interrompre la prescription, s’être manifestée sans doute possible par un acte positif extériorisant sa volonté de s’acquitter de la dette au profit de celui dont il reconnaît alors, sans équivocité, le droit de créance. Ainsi la cour d’appel ne pouvait-elle analyser l’absence de réaction et contestation du récipiendaire du courrier après qu’il l’eut reçu comme une acceptation claire et explicite de s’acquitter d’une dette indemnitaire dont il aurait pu, éventuellement, admettre ainsi l’existence, implicite, mais certainement pas explicite, comme l’avait à tort relevé la cour d’appel. En tout état de cause, la reconnaissance même implicite de son obligation d’indemniser la victime n’aurait pas eu davantage pour effet d’interrompre la prescription. En effet, l’admissibilité d’une reconnaissance implicite est par définition exclue par la règle affirmée et réitérée par la Cour selon laquelle cette reconnaissance doit s’être traduite de manière non équivoque, ce qui suppose la manifestation explicite de sa volonté de « reconnaître le droit de celui contre lequel il prescrivait ».
La constance de la méticulosité du contrôle, par la Cour de cassation, de l’existence de cette condition d’univocité doit, rappelons-le, être sans réserve approuvée : c’est l’interruption de la prescription qui est en jeu et partant, la recevabilité de l’action en justice dont dépend l’effectivité du droit reconnu à tout justiciable d’accéder à un tribunal.
Références :
■ Com. 9 mai 2018, n° 17-14.568 P: D. 2018. 1011 ; RTD civ. 2018. 673, obs. H. Barbier
■ Civ. 1re, 5 févr. 2014, n° 13-10.791 P: D. 2014. 422
■ Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 16-22.678
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