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Droit des obligations
Interruption et suspension de la prescription : tout le monde ne peut pas en profiter…
Dans un arrêt du 19 mars 2020, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence relative à l’interruption et à la suspension du délai de prescription quinquennale de l’action en responsabilité du constructeur, qui ne profitent qu’au demandeur à l’instance en référé.
En qualité de maître de l’ouvrage, une société avait confié à un entrepreneur l’exécution de travaux de voirie et de réseaux divers dans une propriété appartenant à des particuliers. Se plaignant du retard dans leur réalisation et de divers désordres, les propriétaires avaient assigné en référé-expertise les deux professionnels chargés des travaux. Après qu’un expert eut déposé son rapport, le maître de l’ouvrage avait transigé avec les propriétaires puis assigné l’entrepreneur en indemnisation de ses préjudices.
Il obtint gain de cause en appel, la juridiction du second degré ayant retenu que le délai de prescription applicable en la cause était celui de cinq ans à compter du jour où le maître de l’ouvrage avait eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son action à l’encontre de l’entrepreneur, soit au jour de l’assignation en référé. Et pour condamner ce dernier au paiement de différentes sommes au maître de l’ouvrage, elle considéra que l’action engagée sur le fondement contractuel, en l’absence de réception de l’ouvrage, devait se prescrire par cinq ans à compter de la connaissance des désordres en application de l’article 2224 du Code civil ou de l’article L. 110-4 du Code de commerce, délai que l’assignation en référé avait interrompu, de même qu’il avait été suspendu par la mesure d’expertise, depuis les opérations de consultation jusqu’au dépôt du rapport.
L’entrepreneur forma un pourvoi en cassation, rappelant d’une part qu’une demande en justice n’interrompt le délai de prescription que si cette demande a été signifiée par le créancier lui-même au débiteur se prévalant de la prescription ; or en l’espèce, l’assignation en référé n’ayant pas été signifiée par le maître mais par les propriétaires, celle-ci ne pouvait avoir eu pour effet d’interrompre le délai de prescription de l’action engagée par son cocontractant ; d’autre part, soutenant qu’une mesure d’instruction présentée avant tout procès ne suspend la prescription qu’au profit de celui qui a sollicité cette mesure, le fait que celle-ci ait été également sollicitée par les propriétaires, et non par le maître de l’ouvrage, ne pouvait là encore produire au profit de ce dernier un effet suspensif de la prescription de son action.
Pour prononcer la cassation partielle de l’arrêt d’appel, la Haute cour commence par recenser l’ensemble des textes qui fondent sa décision.
Ainsi rappelle-t-elle que selon l’article 2224 du Code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer et que ce délai, repris par l’article L. 110-4 du Code de commerce, s’applique également aux actions, nées à l’occasion de leur relation, entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants.
Elle reprend également les termes des articles 2239 et 2241 du Code civil, qui prévoient que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.
Elle renvoie enfin à l’article 1792-4-3 du même Code, selon lequel « les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants, à l’exception de celles qui sont régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2 (…), se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux », en précisant que « ce texte ne saurait recevoir application lorsqu’aucune réception de l’ouvrage n’est intervenue ».
La Cour se réfère ensuite, pour la confirmer, à sa jurisprudence antérieure. D’abord, elle précise qu’elle avait, avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ayant réformé les textes applicables à la cause, décidé que la « responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres de construction révélés en l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation du dommage (Civ. 3e, 24 mai 2006, n° 04-19.716). Le délai d’action contre le constructeur, initialement de trente ans, avait ainsi été réduit ». Sur ce point, la Haute juridiction approuve la cour d’appel d’avoir retenu que le délai de prescription applicable en la cause était celui, désormais en vigueur, ramené de dix à cinq ans. Néanmoins, elle tempère aussitôt son approbation de la décision des juges du fond en réitérant, quoique dans des termes renouvelés, ce qu’elle avait déjà à maintes reprises jugé : « seule une initiative du créancier de l’obligation peut interrompre la prescription et (…) lui seul peut revendiquer l’effet interruptif de son action et en tirer profit » (Civ. 3e, 14 févr. 1996, n° 94-13.445, Civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-13.239). Autrement dit, une demande en justice n’interrompt la prescription de l’action qu’au bénéfice de celui qui l’engage, en sa qualité de créancier de l’obligation, en sorte que lui seul peut revendiquer cet effet interruptif et en tirer profit. Ainsi, en l’espèce, les délais n’avaient donc été interrompus qu’à l’égard des propriétaires, ayant introduit l’instance en référé. Il en résulte que l’assignation est une cause d’interruption de la prescription dont ne peut bénéficier que celui dont elle émane. En l’espèce, l'effet interruptif de prescription de l'assignation ne pouvait en conséquence s’étendre à l’action en responsabilité contractuelle engagée par le maître qui, poursuivant la réparation d'un préjudice distinct, n’était pas en droit d’en profiter (v. dans le même sens, Civ. 2e, 23 nov. 2017, préc.). Selon la même logique, lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction avant un procès, « la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l’interruption de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d’exécution de la mesure et ne joue qu’à son profit » (Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 18-10.011).
La mesure d'instruction en l’espèce ordonnée n'avait donc pas davantage suspendu la prescription de l'action en responsabilité contractuelle, tendant là encore à un but distinct (comp. Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-19.611 et 18-20.550). En conséquence, la prescription était non seulement interrompue mais également suspendue au profit des seuls demandeurs en référé : contrairement à ce que la cour d’appel avait retenu en violation des règles précitées, l’interruption, puis la suspension de la prescription quinquennale de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur, n’avaient donc pas profité au maître de l’ouvrage.
Civ. 3e, 19 mars 2020, n° 19-13.459
Références
■ Civ. 3e, 24 mai 2006, n° 04-19.716 P: D. 2006. 1633, obs. I. Gallmeister ; RDI 2006. 311, obs. P. Malinvaud
■ Civ. 3e, 14 févr. 1996, n° 94-13.445: RDI 1996. 394, obs. G. Leguay et P. Dubois
■ Civ. 2e, 23 nov. 2017, n° 16-13.239
■ Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 18-10.011 P: D. 2019. 254 ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
■ Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-19.611 et n° 18-20.550 P: D. 2019. 2037 ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki
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