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[ 31 janvier 2019 ] Imprimer

Procédure pénale

Investigation visant un majeur protégé et droit à l’information du curateur

Par cet arrêt, la chambre criminelle précise les contours du droit à l’information du curateur en cas de mesure d’enquête ou d’instruction visant un majeur protégé, quelques mois après la décision ayant conclu à l’inconstitutionnalité du premier alinéa de l’article 706-113 du Code de procédure pénale.

Le 19 août 2016, M. X. blessa au thorax M. Y., qui rentrait chez lui et dont la confession juive ressortait de sa tenue vestimentaire. Interpellé immédiatement, l’agresseur fut placé en garde à vue. Il fut interrogé et déféré devant le procureur de la République de Strasbourg qui décida de l’ouverture d’une information judiciaire. Le juge d’instruction le mit en examen le jour même pour tentative d’homicide volontaire en raison de l’appartenance réelle ou supposée de la victime à la religion juive. Aucun avis n’ayant été adressé au curateur de l’intéressé, qui s’est avéré atteint de psychose délirante chronique et bénéficiaire d’une mesure de protection légale, son conseil sollicita l’annulation de la garde à vue et des actes subséquents pour non-respect des dispositions des articles 706-112 à 706-116 du Code de procédure pénale concernant la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions commises par des majeurs protégés.

La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Colmar rejeta cette requête, mais la chambre criminelle, par un arrêt du 19 septembre 2017, estima que celle-ci n’avait pas caractérisé une circonstance insurmontable faisant obstacle à la vérification de l’existence d’une mesure de protection. Statuant sur renvoi après cassation, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy refusa de prononcer l’annulation au motif que l’article 706-113 ne prescrivait pas cet avis au moment du placement en garde à vue mais seulement au stade des poursuites et qu’il était loisible au gardé à vue lui-même de faire prévenir son curateur en application de l’article 63-2 du Code de procédure pénale. En outre, la cour de Nancy retint à son tour que des circonstances insurmontables avaient fait obstacle à la vérification par le procureur de la République et le juge d’instruction de l’existence d’une mesure de protection et donc empêché l’information du curateur au moment de la mise en examen. 

Par l’arrêt commenté, la chambre criminelle rejette le pourvoi formé par la défense. Elle commence par constater que la partie du moyen qui sollicitait la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité visant à l’abrogation de l’article 706-113 du Code de procédure pénale est devenue sans objet puisque le Conseil constitutionnel, par décision n° 2018-174 QPC du 14 septembre 2018, a, sur demande de l’intéressé, déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa de l’article en cause, estimant qu’il était nécessaire, pour l’exercice effectif des droits de la défense (DDH, art. 16), dès lors que la personne protégée ne dispose pas toujours du discernement nécessaire à l’exercice de ses droits en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles, d’imposer l’information du tuteur ou du curateur. En outre, le Conseil a repoussé la prise d’effet de sa décision au 1er octobre 2019 et précisé que les mesures prises avant cette date ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. Le grief tiré de l’absence d’information du curateur de la mesure de garde à vue se trouve ainsi neutralisé, du moins sur le terrain constitutionnel. 

Toujours sur la première branche du moyen qui concernait la garde à vue, la chambre criminelle affirme ensuite que la chambre de l’instruction a justifié sa décision au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme « dès lors qu’il ne ressort pas des pièces de la procédure que les éléments recueillis au cours de la garde à vue étaient suffisants pour faire apparaître que M. X. bénéficiait d’une mesure de protection juridique en cours, laquelle aurait nécessité que son représentant légal fût avisé de la mesure par les enquêteurs ». Ce faisant, la Haute cour reconnaît en creux qu’en dépit du report dans le temps de l’inconstitutionnalité de l’article 706-113, alinéa 1er , du Code de procédure pénale, l’inconventionnalité de la disposition pouvait valablement être invoquée (ce qui est conforme à la fois au contenu de l’article 6 de la Convention EDH qui garantit à tout justiciable, notamment lorsqu’il est accusé en matière pénale, le droit à un procès équitable, et à l’applicabilité directe du droit de la Convention), mais pas dans les circonstances de l’espèce, dès lors que la « qualité » de majeur protégé de l’intéressé n’est pas apparue au cours de la garde à vue. 

Enfin, ce sont les mêmes circonstances insurmontables qui justifient, pour la chambre criminelle, l’absence d’avis au curateur de l’interrogatoire de première comparution. On précisera qu’à ce stade de la procédure, dès lors que des poursuites avaient été engagées (le procureur de la République ayant requis l’ouverture d’une instruction), l’information du curateur était imposée par la lettre de l’article 706-113 selon laquelle « Le procureur de la République ou le juge d'instruction avise le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, des poursuites dont la personne fait l'objet ». Cette obligation s’impose, selon l’article D. 47-14, dès lors que « les éléments recueillis au cours de ces procédures font apparaître que la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique » (al. 1er), les autorités compétentes devant, en cas de doute sur l’existence d’une telle mesure, « procéde[r] ou fai[re] procéder aux vérifications nécessaires » (al. 2). 

A ce sujet, la Haute cour relève, à la suite de la cour d’appel, que le procureur de la République aurait dû vérifier l’existence d’une mesure de protection (puisqu’un doute était apparu sur l’existence d’une telle mesure) mais qu’il n’a pu, dans les circonstances de l’espèce, face à un suspect dangereux (et dont la dangerosité s’était accrue sur la période récente) qui avait fait l’objet d’un arrêté préfectoral de réadmission en hospitalisation complète non exécuté, différer sa décision sur les poursuites. Elle ajoute qu’ « à l’heure de cette décision, prise suite aux informations (…) transmises par le service enquêteur, (…) le procureur de la République, non plus que le juge d’instruction, faute de fichier national des mesures de protection juridique consultable par l’autorité judiciaire dans les mêmes conditions que le fichier central du casier judiciaire, ne pouvaient ni vérifier l’existence d’une mesure de protection ni prendre connaissance de l’identité du curateur, le juge des tutelles détenant seul cette information ». Autrement dit, c’est l’urgence de la situation (directement liée à la dangerosité de l’intéressé), combinée à l’absence d’un fichier national des mesures de protection, qui a, selon la chambre criminelle, valablement justifié l’absence d’avis au curateur de l’interrogatoire de première comparution (lequel a débouché sur la mise en examen). 

Si l’urgence peut être admise (elle permet « classiquement » de déroger à certaines obligations légales dès lors qu’elle est caractérisée), la mise en exergue du défaut d’exécution d’un arrêté d’hospitalisation d’office (à la date de l’agression, l’intéressé aurait dû être interné) et de l’absence d’un fichier national qui aurait facilité le travail de vérification des magistrats revient tout de même à faire peser sur la défense des carences dont les autorités publiques lato sensu sont les seules responsables. A minima il faudrait que le législateur profite de la réforme « forcée » de l’article 706-113 pour instaurer un fichier national des mesures de protection juridique. 

On signalera à ce sujet que l’Assemblée nationale a proposé d’enrichir l’article 31 du Projet de loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice actuellement en cours de discussion de nouvelles dispositions destinées à remédier à l’inconstitutionnalité de l’article 706-113 et prévoyant notamment que « lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître que celle-ci fait l’objet d’une mesure de protection juridique, l’officier ou l’agent de police judiciaire en avise le tuteur ou le curateur », et que ce dernier puisse, le cas échéant, désigner un avocat et demander un examen médical (art. 706-112-1 nouv., C. pr. pén. ; TA n° 206, 11 déc. 2018). Le texte propose que l’avis intervienne, sauf circonstance insurmontable, dans un délai maximal de 6 heures. Le procureur pourrait décider de différer cet avis ou de ne pas le faire délivrer « si cette décision est, au regard des circonstances, indispensable afin de permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne ». La première phrase du premier alinéa de l’article 706-113 serait quant à elle rédigée ainsi : « lorsque la personne fait l’objet de poursuites, le procureur de la République ou le juge d’instruction en avise le curateur ou le tuteur ainsi que le juge des tutelles ».

Crim. 11 déc. 2018, n° 18-80.872

Références

■ Déclaration de 1789 

Article 16

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6

« Droit à un procès équitable.   1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

  2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

  3. Tout accusé a droit notamment à:

  a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

  b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

  c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

  d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

  e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

■ Cons. Const. 14 sept. 2018, Medhi K., n° 2018-730 QPC Dalloz actualité, 21 sept. 2018, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2018. 518 obs. J. Frinchaboy ;  RTD civ. 2018. 868, obs. A.-M. Leroyer ; D. 2018. 1757.

■ Crim. 19 sept. 2017, n° 17-81.919 P: Dalloz actualité, 18 oct. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé ; D. 2018. 1458, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ; AJ pénal 2017. 504, obs. J. Lasserre Capdeville ; RSC 2017. 771, obs. F. Cordier 

 

Auteur :Sabrina Lavric


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