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Procédure civile
Irrecevabilité des demandes nouvelles en appel : la compensation y échappe !
La demande reconventionnelle visant à opposer compensation échappe à l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel. La troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle en conséquence aux juges du second degré de s’assurer que la demande qu’ils déclarent irrecevable ne vise pas à opposer compensation judiciaire.
Un bailleur souhaite vendre un immeuble. Il mandate une société pour procéder à cette vente par lots et notifier une offre de vente aux locataires. Ces derniers refusent l’offre. Le lot est acquis par un tiers.
Les locataires assignent le propriétaire bailleur, le mandataire et le tiers-acquéreur en nullité tant des offres de vente que de la vente consentie au tiers ainsi qu’en réparation du préjudice subi. Le tiers-acquéreur demande quant à lui la restitution du prix de vente. Pour la première fois en appel, le propriétaire initial demande au tiers-acquéreur le paiement de l’intégralité des loyers versés par les locataires depuis la vente.
L’arrêt d’appel, rendu après cassation, retient que le propriétaire et le mandataire ont commis une faute en ne veillant pas à la régularité de la purge du droit de préemption. Il annule la vente. Il relève par ailleurs que la demande du propriétaire initial tendant au paiement par le tiers-acquéreur de l’intégralité des loyers versés par les locataires depuis la vente a été formée pour la première fois en appel et diffère par son objet de ses demandes initiales ; il la qualifie de demande nouvelle au sens de l’article 564 du Code de procédure civile et la déclare irrecevable.
Au pourvoi principal formé par les locataires et rejeté par la Cour de cassation s’ajoutent des pourvois incidents formés par le mandataire (pour lequel la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation) et par le propriétaire initial. Ce dernier reproche à l’arrêt d’avoir déclaré sa demande irrecevable alors que l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel ne frappe pas les prétentions soumises pour opposer compensation.
La Cour de cassation devait déterminer si la demande de restitution des loyers perçus par le tiers-acquéreur depuis la vente visait à opposer compensation de sorte qu’elle était recevable bien que présentée pour la première fois en appel.
La troisième chambre civile accueille le pourvoi incident du propriétaire initial au visa de l’article 564 du Code de procédure civile. Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas, comme il le lui était demandé, si la demande de paiement des loyers ne constituait pas une demande de compensation opposée à la demande en restitution du prix de vente. Elle prononce en conséquence la cassation partielle de l’arrêt d’appel quant à la déclaration d’irrecevabilité de la demande du propriétaire initial.
Cette décision invite à approfondir les notions de demande nouvelle en appel et de compensation judiciaire.
Demandes nouvelles en appel. La cour d’appel avait déclaré irrecevable la demande du propriétaire initial présentée pour la première fois en appel. Elle appliquait alors le principe de l’irrecevabilité des demandes nouvelles énoncé à l’article 564 du Code de procédure civile et qui prévoit qu’en appel « les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions ». Un tel article déroge au principe dispositif qui veut que la détermination de la matière litigieuse soit à la disposition des parties. Cette dérogation traduit un appel conçu comme une voie de réformation du jugement de première instance : la matière dévolue à la cour d’appel est limitée aux questions tranchées en première instance. Les demandes nouvelles en appel sont donc – en principe – exclues. Mais la voie de réformation n’est pas le seul modèle théorique de l’appel. L’appel peut également être conçu comme une voie d’achèvement du litige, autorisant le magistrat d’appel à régler l’entier litige, même dans ses aspects non tranchés en première instance. Sous cette dernière influence, le Code de procédure civile prévoit, dès l’article 564 et dans ceux qui le suivent immédiatement (art. 565-567), des exceptions au principe de l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel. La première de ces exceptions est la compensation, qui concerne justement l’arrêt ici commenté.
Compensation judiciaire. Lorsqu’une partie invoque la compensation légale, elle oppose à la demande de son adversaire une défense au fond. Ne demandant pas d’avantage autre que le simple rejet de la prétention adverse, elle ne forme pas de demande mais soulève un moyen, invocable en tout état de cause, et tout particulièrement pour la première fois en appel, sans craindre l’irrecevabilité des demandes nouvelles.
Il en va différemment de la compensation judiciaire. Le défendeur l’invoque contre le demandeur lorsque sa créance ne remplit pas l’intégralité des conditions de la compensation légale (Civ. 2e, 14 juin 1989, n° 88-13.365). L’article 1348 du Code civil dispose en effet que « la compensation peut être prononcée en justice, même si l'une des obligations, quoique certaine, n'est pas encore liquide ou exigible ». Le défendeur demande alors au juge de combler ces manques, par exemple en fixant le montant dû, ce qui rend la créance liquide, ou bien encore en la déclarant exigible.
L’office du juge est ici plus étoffé qu’en matière de compensation légale ; le défendeur lui soumet une véritable prétention, qui prend la forme d’une demande reconventionnelle. Cette prétention, si elle est soumise pour la première fois en appel, devrait encourir l’irrecevabilité énoncée à l’article 564 du Code de procédure civile (les juges peuvent la relever d’office ; il s’agit là, pour eux, d’une simple faculté – Civ. 2e, 10 janv. 2013, n° 12-11.667). C’est sans compter sur les exceptions que ce même article prévoit, à commencer par la compensation. Une demande nouvelle en appel est ainsi recevable lorsqu’elle vise à opposer compensation.
Dès lors, avant de prononcer l’irrecevabilité d’une demande du fait de sa nouveauté en appel, les juges du fond doivent rechercher si elle ne constitue pas une demande de compensation opposée à une demande principale. A défaut, les juges priveraient leur décision de base légale, comme le reproche la troisième chambre civile dans l’arrêt ici commenté.
Devant la cour d’appel de renvoi, l’hypothèse d’une compensation judiciaire sera retenue si l’une des conditions de la compensation légale fait défaut : la somme n’est peut-être pas encore déterminée ou bien la créance n’est pas encore totalement exigible. Si tel est le cas, la demande du propriétaire initial relative au paiement des loyers perçus par le tiers acquéreur pourra constituer une compensation judiciaire échappant à l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel. A l’inverse, si toutes les conditions de la compensation légale sont remplies, la compensation judiciaire n’est pas mise en œuvre : le propriétaire initial ne forme alors pas une demande nouvelle mais oppose un simple moyen de défense au fond. Puisqu’elle ne constitue pas une demande, la cour d’appel ne pourrait la déclarer irrecevable et devrait vérifier que les conditions de la compensation légale sont réunies pour la prononcer : le juge ne se situe plus sur le terrain procédural de la recevabilité mais sur celui, substantiel, du bien-fondé.
Civ. 3e ; 12 avr. 2018, n° 17-11.015
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Compensation
■ Civ. 2e, 14 juin 1989, n° 88-13.365 P.
■ Civ. 2e, 10 janv. 2013, n° 12-11.667 P : D. 2013. 182 ; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero.
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