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Procédure civile
Irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel : un principe relatif
Mots-clefs : Appel ; Interdiction de formuler de nouvelles prétentions, Exception, Demande originaire, Ajout de demandes complémentaires, Dommages-intérêts
Malgré l’interdiction des prétentions nouvelles en appel, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
La compagne d’un employé ayant été victime d’un accident du travail avait assigné l’employeur de ce dernier en responsabilité et en indemnisation. Elle avait, plus particulièrement, demandé au tribunal l’indemnisation, d’une part, de son préjudice d’affection, d’autre part, de ses frais de déplacement consécutifs à l’accident puis, en appel, ajouté à cette demande originaire une demande en réparation fondée sur sa perte de revenus et de droits à la retraite, préjudice résultant également de l’accident.
La cour d’appel déclara cette demande irrecevable comme nouvelle. Selon les juges du fond, cette demande, formée pour la première fois en appel, se heurtait au principe d’irrecevabilité des prétentions nouvelles édicté par l’article 564 du Code de procédure civile, lequel interdit en effet aux parties de soumettre en cause d’appel de nouvelles prétentions au juge, sous peine que ce dernier les relève, d’office, irrecevables.
Au visa des articles 565 et 566 du même code, le premier texte disposant que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent, et le second tempérant l’interdiction édictée à l’article 564 en autorisant les parties à former en appel des demandes qui, quoique nouvelles, sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la demande originaire soumise aux premiers juges, la deuxième chambre civile casse cette décision. Elle juge en effet que les demandes que la victime avait formées en appel ayant le même fondement que les demandes initiales et poursuivant la même fin d’indemnisation du préjudice résultant de l’accident survenu à son compagnon constituaient le complément de celles formées en première instance, en sorte qu’elles auraient dû être déclarées recevables.
Cette décision a l’intérêt de rappeler à la fois le principe d’interdiction des prétentions nouvelles en appel ainsi que l’une de ses principales dérogations, grâce à laquelle les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge celles qui, même nouvelles, en sont le complément dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins.
Individualisée par son objet, par son fondement juridique ainsi que par les qualités en lesquelles procèdent les parties qui les formulent, une prétention sera considérée comme nouvelle et donc jugée irrecevable en appel si elle se démarque de la prétention soumise aux premiers juges soit par son objet, soit par les parties qui en sont les auteurs ou les qualités de celles-ci ; en revanche, le législateur admet que la prétention, dont seul le fondement juridique est différent, n’est pas nécessairement nouvelle (C. pr. civ., art. 565 ). L'interdiction des nouvelles prétentions en appel est justifiée, « l'appel étant destiné à vérifier dans quelles conditions les premiers juges ont accompli leur mission, il serait illogique de modifier, dans la seconde instance, les éléments du débat » (S. Guinchard, C.Chainais et F.Ferrand, Procédure civile. Droit interne et droit de l'Union européenne, Précis-Dalloz 2012, 31e éd., n° 1248). La prohibition se comprend également au regard du principe même du double degré de juridiction, lequel s'oppose à ce qu'une question non débattue en première instance puisse être déférée pour la première fois à la juridiction d'appel. La cour d'appel doit, dans cette perspective, rechercher si la demande formée pour la première fois en appel ne tend pas aux mêmes fins que celle formée en première instance (V. par ex. Civ. 3e, 10 juin 1998, n° 96-20.034). Cette interdiction a dû cependant dû être aménagée. En effet, entre le moment où les premiers juges rendent leur décision et celui où la cour est appelée à se prononcer, le litige est susceptible d’avoir évolué et fait ressortir de nouvelles données. Dans la perspective de la réformation de la décision entreprise, celle-ci impliquant « qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit » (C. pr. civ., art. 561), les parties sont de fait très souvent amenées à préciser et à affiner les prétentions qu'elles avaient d’abord soumises aux premiers juges. Or comme d’aucuns ont pu justement le relever (V. Du Rusquec, Les effets de l'appel quant à l'objet du litige. Rapport aux journées d'études des avoués près les cours d'appel, Dijon oct. 1973 ; Gaz. Pal. 1974, 1, doctr. p. 401) l'instance d'appel doit permettre à la demande originaire de déployer tous ses effets. Cette considération explique, en particulier, que les parties puissent expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans la demande originaire, comme le dispose expressément l’article 566 du Code de procédure civile. Aux termes de ce texte, les parties sont ainsi autorisées à ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. L'appréciation de la suffisance du lien avec la demande originaire suppose de rechercher si la nouvelle demande formée en cause d’appel est la suite logique, complémentaire ou encore subsidiaire de la demande originaire. Ainsi doivent être déclarées recevables les demandes en dommages-intérêts que les parties formulent pour la première fois en appel en réparation du préjudice qu'elles prétendent avoir subi depuis le jugement (Civ. 1re, 24 juin 1963. Civ. 2e, 4 nov. 1964), à la condition que le préjudice dont l'indemnisation est demandée soit bien le prolongement du préjudice dont la réparation avait d’abord été sollicitée en première instance (V. Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-19.265). Tel est le cas si, par exemple, l'état de la victime d'un accident s'est aggravé entre le premier jugement et l'arrêt d'appel ou si, comme dans la décision commentée, le dommage dont l’indemnisation est demandée a été causé par la répétition de faits de même nature. En effet, en l’espèce, la demande de la victime en indemnisation de son préjudice constitué par ses pertes de revenus et de droits à la retraite venait compléter sa demande originaire en indemnisation de son préjudice d’affection et, sur un plan extra-patrimonial, de son préjudice financier, puisque cette nouvelle demande tendait aux mêmes fins que la première, à savoir l’indemnisation de l’ensemble des préjudices qu’elle avait subis en conséquence de l’accident de travail de son compagnon.
Civ. 2e, 5 oct. 2017, n° 16-22.353
Références
■ Civ. 3e, 10 juin 1998, n° 96-20.034.
■ Civ. 1re, 24 juin 1963: Bull. civ. I, n° 340.
■ Civ. 2e, 4 nov. 1964: Bull. civ. II, n° 679.
■ Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-19.265 P : D. 2012. 1736 ibid.; 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout.
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