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[ 24 avril 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

J.M.B et autres contre France : surpopulation carcérale et absence de recours effectif

Le 30 janvier 2020, avec un arrêt J.M.B et autres contre France, la Cour européenne des droits de l’homme a pointé du doigt la problématique structurelle de la surpopulation carcérale en France. 

La France avait été condamnée pour la première fois au sujet de la maison d’arrêt Charles III de Nancy, en 2013 (CEDH 25 avr. 2013, Canali c/France, n° 40119/09 ), établissement qui a par la suite été détruit. 

Pour autant, nos établissements pénitentiaires sont toujours surpeuplés et bien souvent les conditions de détention en leur sein sont inhumaines. Il est question de vétusté, d’insalubrité, de promiscuité. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, rédige de nombreux rapports dans différents établissements pénitentiaires, faisant état de cette surpopulation et de conditions inhumaines et dégradantes. Dans l’arrêt du 30 janvier 2020, la Cour offre une réponse attendue et désirée aux 32 requêtes introduites par des personnes détenues et par l’Observatoire international des prisons (OIP), en condamnant la France pour violation des articles 3 et 13 de la Convention, relatifs respectivement à l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et au droit à un recours effectif. Plusieurs établissements pénitentiaires sont visés dans cet arrêt, la Cour prend soin de détailler pour chaque établissement les problématiques d’insalubrité et de surpopulation relevées. Ces établissements sont les suivants : Ducos en Martinique, Baie-Mahaut en Guadeloupe, Faa’a Nuutania en Polynésie, Nimes, Nice et Fresnes. Pour certains établissements, le taux d’occupation pouvait aller jusqu’à 200% (213,7% dans le quartier maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Ducos). Il est fait état de conditions de vie misérables, de présence de nuisibles, de nourriture insuffisante, de durée d’enfermement trop élevée et d’espace personnel insuffisant. Les requérants dénoncent également le fait de ne pas disposer d’un recours effectif pour faire cesser ces conditions de détention. 

La Cour a donc eu à trancher la question suivante : les conditions de détention évoquées par les requérants sont-elles constitutives d’une violation des articles 3 et 13 de la Convention ? 

Cette décision est d’une réelle ampleur quant à la problématique de la surpopulation carcérale, car la France est enfin condamnée, malgré plusieurs alertes lancées par la CGLPL. Cette condamnation était malheureusement prévisible. La Cour ne s’arrête pas à cela. Elle apporte également un élément de réponse quant à l’effectivité du référé-liberté en France, puisqu’elle nous condamne également pour violation du droit à un recours effectif. 

■ Une décision prévisible et saluée sur la surpopulation carcérale 

A la lumière des faits allégués par les différents requérants, des rapports du CGLPL et de ses décisions précédentes, les juges européens concluent à une violation par la France de l’article 3 de la Convention. Pour autant, cet arrêt ne répond pas à la procédure des arrêts pilotes, ce qui est regretté par des acteurs de l’affaire tels que l’OIP. 

·       La violation de l’article 3 de la Convention européenne 

La Cour rappelle la lettre de l’article 3 de la Convention : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Dans les différents établissements en cause, les requérants soulèvent diverses problématiques d’ampleur : la présence d’animaux nuisibles (rats et souris), le manque d’aération (problématique pour les établissements situés en outre-mer), un cloisonnement partiel des toilettes dans la cellule, la surpopulation carcérale, mais aussi le manque d’espace personnel. Dans certaines cellules, certains détenus ne disposent même pas de 3m² d’espace personnel. Il est également relevé la vétusté des locaux, un accès au soin déraisonnable, un climat de violence, une absence d’eau chaude et d’eau potable, un manque global d’hygiène, d’activités proposés et de nourriture qui est en plus de qualité médiocre. La surpopulation carcérale est considérée comme chronique par les requérants. Dans la maison d’arrêt de Nîmes, certains affirment être enfermés entre vingt et vingt-quatre heures par jour. 

Pour la question de l’espace personnel accordé aux personnes détenues, la Cour fait référence à une précédente décision, Mursic c/ Croatie du 20 octobre 2016. Dans cette affaire, la Cour avait considéré que la « norme minimale pertinente en matière d’espace personnel est de 3m², à l’exclusion de l’espace réservé aux installations sanitaires ». Cet arrêt prévoit que, dans le cas où ce minimum de 3m² n’est pas atteint, il y a une présomption de violation de l’article 3. Le Gouvernement doit donc démontrer la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (par ex. si les réductions d’espace à moins de 3m² sont courtes, mineures ou occasionnelles, s’il existe une liberté de circulation à l’extérieure de la cellule suffisante, s’il n’y a pas d’autres éléments indécents). 

La Cour rappelle ensuite concernant les installations sanitaires et l’hygiène que « l’accès libre à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain, et que les détenus doivent jouir d’un accès facile à ce type d’installation, qui doit leur assurer la protection de leur intimité ». Elle ajoute que les animaux tels que les rats et les souris doivent être éliminés par les autorités pénitentiaires. 

En l’espèce, le Gouvernement n’a pas su démontrer que la réduction de l’espace personnel était compensée et concernant les toilettes, il a mis en avant un objectif sécuritaire à l’absence de cloison, ce qui est jugé incompatible avec la protection de l’intimité pour la Cour. Le cloisonnement partiel des toilettes est donc un facteur aggravant. 

La Cour va ensuite étudier chaque établissement pénitentiaire, pour considérer que chaque allégation des différents requérants est constitutive d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3. Tous les éléments factuels relatés par les requérants et pour lesquels aucune explication du Gouvernement n’est acceptable conduisent la Cour européenne à constater la violation de l’article 3. 

La situation décrite par les requérants est considérée par la Cour comme un « commencement de preuve d’un mauvais traitement ». La charge de la preuve est donc transférée au défendeur, à savoir la France. Le Gouvernement a donc dû recueillir et produire des documents pertinents pour apporter une description détaillée des conditions de détention. « Dans les espèces examinées, la Cour note que le Gouvernement a produit des informations sur la fin de la détention des requérants ou sur la date de leur fin de peine. En revanche, elle constate que la précision des informations communiquées par le Gouvernement sur l’espace personnel des requérants est limitée ». Ainsi, la Cour estime que le défendeur n’a pas réfuté de façon convaincante les allégations de certains requérants. 

Cet arrêt est donc particulièrement important. Enfin, une instance suprême a reconnu que notre système carcéral était défaillant et inhumain. La portée de cette décision peut être nuancée, notamment parce que la Cour n’a pas adopté ici la procédure de l’arrêt pilote. 

·       L’absence d’arrêt pilote : une portée nuancée 

Malgré cette condamnation retentissante, la France échappe tout de même à la procédure dite de « l’arrêt pilote ». Cette procédure a été mise en place par l’arrêt Broniowski c/Pologne de 2004, et permet à la Cour d’identifier des problèmes structurels dans des affaires répétitives et de demander à l’État concerné de les traiter en lui indiquant quelles mesures d’améliorations doivent être envisagées. Les affaires sous la procédure d’arrêt pilote sont prioritaires, ce qui permet d’accélérer la réponse apportée aux requérants. Les principes dégagés seront imposés aux États concernés, ce qui permet de palier une éventuelle mauvaise volonté de l’état mis en cause. 

Un arrêt pilote à l’encontre de la France aurait pu être prononcé, c’est d’ailleurs ce que souhaitait, et regrette donc, l’Observatoire international des prisons. En effet, la question de la surpopulation carcérale en France est une « maladie chronique », un problème récurrent que l’on peut qualifier de structurel. L’affaire J.M.B et autres le démontre bien, car elle relate les différentes actions du Défenseur des droits, de l’OIP, du CGLPL. De plus, la Cour a été saisie de 32 requêtes, ce qui traduit bien un problème structurel et non pas un cas isolé. Au sujet de la surpopulation carcérale, la Cour a portant déjà prononcé des arrêts pilotes à l’encontre de certains États, notamment avec l’arrêt Iacov Stanciu c/ Roumanie de 2012 et Torregiani et a. c/ Italie de 2013. La France échappe pourtant à cette procédure relativement humiliante pour un État. La Cour donne ainsi un dernier avertissement. 

En ce qui concerne les requérants, la Cour a prononcé pour eux une indemnisation assez forte, allant de 4 000 à 25 000 euros en fonction de la durée de la détention. L’absence d’arrêt pilote ne semble donc pas pour eux être regrettée. 

Beaucoup de commentateurs ont insisté sur la seule condamnation de la France concernant la surpopulation carcérale et les conditions de détention indignes. Il ne faut pourtant pas omettre l’autre apport tout aussi essentiel de cette condamnation, la violation de l’article 13 de la Convention relatif au droit à un recours effectif. 

■ Une condamnation pour un recours jugé ineffectif 

En plus des conditions de détention indignes et des conséquences de la surpopulation carcérale, les requérants considèrent que leur droit à un recours effectif est violé, puisqu’ils ne disposent d’aucun moyen de faire cesser ces conditions. La France a été condamnée une première fois dans ce sens avec l’arrêt Yengo le 21 mai 2015. Le Gouvernement français met donc en avant une évolution depuis cet arrêt, mais la Cour affirme par la suite les limites des mécanismes français existants, notamment le référé-liberté. 

·       Une évolution favorable depuis l’arrêt Yengo c/ France 

Pour rappel, l’article 13 de la Convention prévoit que : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». Les personnes détenues doivent donc pouvoir disposer d’un moyen de recours pour faire cesser des conditions de détention portant atteinte à l’article 3 de la Convention. Dans un arrêt Ananyev et autres c/ Russie du 10 janvier 2012, la Cour rappelle que le recours offert aux personnes détenues doit être de nature à empêcher la continuation de la violation de l'article 3, de permettre une amélioration des conditions matérielles de détention, voire de mettre fin à une incarcération. Ce recours ne doit pas être nécessairement judiciaire, un juge administratif peut être compétent. 

Concernant la prison de Nouméa en 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’en France, il n’y avait pas de recours effectif. La Cour à l’époque avait observé qu’aucune juridiction française n’avait jamais ordonné la remise en liberté d’une personne détenue en se fondant sur le caractère inhumain et dégradant de ses conditions de détention. 

Le Gouvernement rappelle que depuis cet arrêt Yengo, il y a eu une évolution notable. Selon lui, la saisine du juge des référés constitue une voie de recours susceptible de faire cesser ou d’améliorer les conditions de détention des détenus. Il se réfère à des décisions rendues en 2014, 2015 et 2017 concernant les maisons d’arrêt de Ducos, Nîmes et Fresnes. La France se dit convaincue de l’effectivité de la mesure de référé-liberté, elle cite l’exemple des procédures de dératisation à la prison de Ducos ainsi que plusieurs autres injonctions concernant l’hygiène. Il estime donc que le référé-liberté, ainsi que le référé mesures-utiles sont des recours préventifs effectifs qui répondent avec les exigences de l’article 13 de la Convention. 

La Cour, se nourrissant des allégations des différents tiers (OIP, Défenseur des droits, CGLPL), va conclure à la non-effectivité du référé-liberté et va en exposer les limites. 

·       L’absence de recours effectif en France 

La Cour considère que les recours présentés par le Gouvernement français (référé-liberté et référé mesures-utiles) sont inefficaces en pratique. Comme évoqué par les différents tiers invités à témoigner, la surpopulation carcérale en France est un réel problème structurel, d’ampleur. La Cour admet l’existence de cette procédure de référé-liberté devant le juge administratif, puisqu’elle remarque que ce dernier a été saisi par l’OIP et également par des personnes détenues. Elle prend en compte l’évolution favorable de la jurisprudence depuis l’arrêt Yengo. Elle considère que le juge des référés peut prendre des mesures urgentes et cite l’ordonnance de 2012 relative à la dératisation à la prison des Beaumettes. Pour autant, ce n’est pas l’existence du recours qui fait la satisfaction des exigences de l’article 13 mais bien son effectivité, et c’est cela que la Cour va examiner. 

La Cour constate dans un premier temps que le pouvoir d’injonction conféré au juge des référés a une portée limitée. Il ne peut pas réaliser des travaux d’ampleur, suffisants pour mettre fin aux conséquences de la population carcérale portant atteinte aux droits des détenus. Il ne peut pas prendre des mesures de réorganisation du service public. En d’autres termes, le juge des référés ne s’en tient qu’à des mesures pouvant être mises en place rapidement et ne peut pas être à l’origine de mesures de fond, qui auraient pour conséquence une modification structurelle. La Cour ajoute « qu’il ne lui appartient pas de veiller à l’application par les autorités judiciaires des mesures de politique pénale ». Ensuite, elle considère que le juge du référé-liberté fait dépendre son office « du niveau des moyens de l’administration » et « des actes qu’elle a déjà engagés ». L’administration pénitentiaire n’a aucun pouvoir concernant les décisions de mise sous écrou ou de libération. Le juge des référés ne peut ainsi pas prendre de mesures « pérennes », il se contentera de mesures provisoires. Enfin, la Cour observe que les injonctions du juge des référés sont parfois exécutées avec certaine lenteur, d'autant que les budgets consacrés au service public pénitentiaire sont clairement insuffisants. 

En définitive, la Cour considère que le référé-liberté et le référé mesures-utiles ne sont en pratique pas effectifs pour correspondre aux exigences de l’article 13 prévoyant le droit à un recours effectif. Elle conclue donc à la violation de l’article 13 de la Convention. Les voies de recours exposées par le Gouvernement français sont plus illusoires que réelles. 

Avec cet arrêt, en plus des indemnisations allouées aux requérants, la Cour recommande à la France d’adopter des mesures générales allant dans le sens de la satisfaction de trois objectifs : 

-        Supprimer le surpeuplement dans les établissements pénitentiaires ; 

-        Améliorer les conditions de détention ;

-        Établir un recours effectif.

Il faut donc s’attendre (nous l’espérons) à des modifications de notre système pénitentiaire. Le chemin risque d’être long, car des mesures isolées sont insuffisantes face à ce dysfonctionnement d’ampleur des prisons en France. Une refonde profonde de notre système carcéral serait idéale pour pallier ces problématiques qui, malheureusement, font partie du quotidien des personnes détenues et des personnels de l’administration pénitentiaire. 

CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15 et 31 autres

Références

■ Sur cet arrêt, V. aussi : E. Senna, D. actu, 6 févr. 2020 J.-P. Céré, AJ pénal 2020. 122

■ CEDH 25 avr. 2013, Canali c/ France, n° 40119/09 : D. 2013. 1138, obs. Léna ; AJ pénal 2013. 403, obs. Céré

■ CEDH, gr.ch., 20 oct. 2016, Mursic c/ Croatie, n° 7334/13 : AJDA 2017. 157, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ pénal 2017. 47, obs. A.-G. Robert

■ CEDH, gr. ch., 22 juin 2004, Broniowski c/ Pologne, n° 31443/96 : AJDA 2004. 1809, chron. J.-F. Flauss ; D. 2004. 2542, obs. C. Bîrsan 

■ CEDH 24 juill. 2012, Iacov Stanciu c/ Roumanie, n° 35972/05 : D. 2013. 201, obs. J.-F. Renucci, N. Fricero et Y. Strickler

■ CEDH 8 janv. 2013, Torregiani et a. c/ Italie, n° 43517/09 : D. actu 24 janv. 2013, obs. Léna ; D. 2013. 1304, obs. Céré, Herzog-Evans et Péchillon ; AJ pénal 2013. 361, obs. Péchillon

■ CEDH 21 mai 2015 Yengo c/ France, n° 50494/12 : AJDA 2015. 1289, tribune A. Jacquemet-Gauché et S. Gauché ; D. 2016. 1220, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2015. 450, obs. E. Senna

■ CEDH 10 janv. 2012, Ananyev et a. c/ Russie, n° 42525/07 : D. 2013. 201, obs. J.-F. Renucci, N. Fricero et Y. Strickler

■ Fiche thématique de la CEDH : Conditions de détention et traitement des détenus 

■ Rép. pén. Dalloz, v° Prison (normes européennes), par J.-P. Céré

 

Auteur :Clémence Laurent, M2 droit pénal et sciences criminelles, Université de Lorraine

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