Actualité > À la une

À la une

[ 16 mars 2016 ] Imprimer

Procédure civile

Jugement et acte notarié : deux titres exécutoires distincts

Mots-clefs : Procédure civile, Titre exécutoire, Acte notarié, Jugement de condamnation, Identité de la créance, Intérêt à agir du créancier (oui)

Outre le fait qu’aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu’un créancier dispose de deux titres exécutoires pour la même créance, un acte notarié, bien qu’il constitue, au même titre qu’une décision de justice, un titre exécutoire, ne peut y être assimilé, en sorte que le créancier qui est titulaire d’un tel acte n’est pas en soi privé de son intérêt à agir en justice afin de voir condamner son débiteur au paiement de la créance constatée dans cet acte.

Se prévalant du non-remboursement d'un prêt constaté dans un acte notarié destiné à financer l'acquisition d'un immeuble, une banque avait fait pratiquer une saisie-attribution au préjudice des emprunteurs. Ces derniers l’ayant contestée, la banque les avait assigné devant un tribunal de grande instance pour les voir condamnés au paiement d'une certaine somme au titre du solde du prêt. Le tribunal avait accueilli la demande de la banque, déclarant valable l'acte authentique de prêt et retenant qu'il constituait un titre exécutoire qui autorisait la banque à procéder au recouvrement forcé de sa créance et à liquider celle-ci à hauteur d’une certaine somme. Les emprunteurs avaient interjeté appel de ce jugement, invoquant comme fin de non-recevoir la prescription de l’action en recouvrement de la banque. La cour d’appel leur donna raison, jugeant irrecevables les demandes de la banque dans la mesure où le caractère exécutoire de l'acte authentique qu’elle détenait avait pour conséquence de rendre inutile l'obtention d'un jugement condamnant les emprunteurs à lui rembourser sa créance, sous la réserve que celle-ci soit liquide, ce qui était en l’espèce le cas, ce qui privait donc la banque d’intérêt à agir en justice. Cette décision est cassée par la Cour, jugeant au contraire que si l'acte notarié constitue bien un titre exécutoire, il ne revêt cependant pas les attributs d'un jugement et qu'en outre, aucune disposition légale ne fait obstacle à ce qu'un créancier dispose de deux titres exécutoires pour la même créance, de sorte que la titularité d'un acte notarié n'était pas en soi de nature à priver la banque de son intérêt à agir afin de voir condamner son débiteur au paiement de la créance constatée dans cet acte. 

La décision rapportée posait la question suivante : l’acte notarié doit-il être assimilé à un jugement relativement à la créance qu’il constate puisqu’il constitue, au même titre qu’une décision de justice, un titre exécutoire ? Pour les juges du fond, c’était bien en raison de son caractère exécutoire que l’acte notarié devait être considéré à l’égal d’un jugement. Selon eux, la nature de titre exécutoire constituait le critère pertinent. Or l’acte notarié revêtu de la formule exécutoire pouvant être exécuté sans qu’il soit besoin de recourir à un juge, la cour d’appel en avait déduit le manque d’intérêt à agir en justice de la banque. Cette analyse s’appuyait sur le fait que l’une des caractéristiques principales de l’authenticité de l’acte notarié, outre la certitude de sa date et la force probante qu’il détient, réside dans sa force exécutoire : l’acte authentique dispense le créancier de produire un jugement, comme il devrait le faire dans le cas d’un acte sous seing privé, pour poursuivre l’exécution des engagements souscrits. Ce caractère exécutoire aurait donc pu conduire la Cour, comme en avaient décidé les juges du fond, à assimiler l’acte notarié à un jugement et à juger en conséquence irrecevable la demande de la banque. Cependant, que le jugement et l’acte notarié aient un trait commun n’implique pas leur identité de nature ou de régime (v. Ph. Théry, Rép. Defrénois, 2006, n° 2, p.191 s.).

Ainsi la Cour rappelle-t-elle les attributs respectifs du jugement et de l’acte notarié. Notamment, à l’inverse du jugement qui ne peut plus être contesté une fois passé en force de chose jugée, le negotium constaté par l’acte notarié peut toujours l’être (V. F. Descorps Declère, JCP 2004, II, 10096, note ss Com., 8 oct.2003, n° 00-18.309). A l’inverse du jugement également, qui précise les termes de sa condamnation, sous réserve d’un recours, rarement exercé, en interprétation, l’acte notarié ne préservera pas la convention qu’il constate des difficultés d’interprétation inhérentes à la conclusion d’un contrat, rendant alors le recours au juge indispensable pour déterminer les droits et obligations de chacun (F. Descorps Declère, préc.). A l’encontre de leur assimilation, il convient encore de rappeler que la loi elle-même distingue les actes notariés et les décisions de justice (L. n° 91-650 du 9 juill. 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, art. 3 : « Seuls constituent des titres exécutoires :1° Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif lorsqu’elles ont force exécutoire ; … 4° Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire) et de souligner que l’office du notaire se démarque de celui du juge : « à la différence du juge, le notaire ne décide rien : il se borne à constater et à authentifier un acte juridique dont la teneur échappe à sa maîtrise. Il garantit la réalité des dires qu’il a recueillis, mais il ne se porte pas garant du negotium qu’il a constaté, et qui le cas échéant pourra donner lieu à une action en paiement si la substance contractuelle de l’acte est contestée dans son existence et son étendue » (F. Descorps Declère, Procédures, juill. 2003, p. 9, éd. J.Cl). L’auteur résume ainsi sa position, qui rejoint le refus d’assimilation exprimé par l’arrêt commenté : « Alors que l’acte notarié est un simple instrument de preuve qui ne change pas la nature des obligations qu’il constate, le jugement métamorphose la créance qui devient l’expression de la volonté d’un juge ». On retrouve ici en substance l’idée de M. Bénabent selon laquelle le jugement « coupe l’obligation de sa cause ». Bien qu’il soit difficile de séparer totalement et définitivement la créance constatée par un jugement de son origine contractuelle, il convient toutefois de retenir que cette créance d’origine contractuelle a acquis, du fait de l’intervention du juge, une dimension et une force qu’elle ne possédait pas jusqu’alors. La distinction qui en résulte entre la poursuite de l’exécution d’un titre exécutoire et l’action tendant à faire constater la créance ou à en obtenir paiement a ici conduit la Cour de cassation à affirmer la possibilité pour le créancier, de détenir deux titres exécutoires pour la même créance, en sorte que la banque n’avait pas perdu d’intérêt à agir en justice pour obtenir le recouvrement de sa créance. 

Civ. 2, 18 février 2016, n° 15-13.991

 

Auteur :M. H.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr