Actualité > À la une
À la une
Procédure pénale
Justice des mineurs : le juge des enfants ne peut plus instruire et juger dans une même affaire
Mots-clefs : Mineurs, Tribunal pour enfants (Composition, Présidence), Assesseurs (Majorité), Juge des enfants, Instruction, Jugement, Cumul de fonctions, Impartialité
Par une décision QPC du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel censure l’article L. 251-3 du Code de l’organisation judiciaire qui permet au juge des enfants ayant instruit le dossier et renvoyé le mineur pour jugement, de présider ensuite le tribunal pour enfants.
Dans sa question, le demandeur contestait, sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, deux particularités de la composition du tribunal pour enfants :
– la présence majoritaire d’assesseurs non professionnels (art. L. 251-4 COJ) ;
– et la présidence exercée par un juge chargé des poursuites. Présidence à propos de laquelle le Conseil a soulevé d’office le grief tiré d’une atteinte au principe d’impartialité.
Sur le premier point, le Conseil rappelle que les dispositions de l’article 66 « n’interdisent pas, par elles-mêmes, que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté soit exercé par une juridiction pénale de droit commun au sein de laquelle siègent des juges non professionnels » (consid. 4). Le tribunal pour enfants étant une juridiction spécialisée, les assesseurs non professionnels peuvent siéger en nombre majoritaire. En outre, des « garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d’indépendance […] ainsi qu’aux exigences de capacité qui découlent de l’article 6 de la DDHC » (consid. 5) sont apportées : la nomination des assesseurs pour quatre ans, leur choix parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences » (art. L. 251-4 COJ), leur prestation de serment (art. L. 251-5), et la possibilité, pour la cour d’appel, de les déclarer démissionnaires et de prononcer leur déchéance (art. L. 251-6). L’article L. 251-4 est donc jugé conforme à la Constitution.
Sur le second point, le Conseil estime que « le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation ; que, toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution » (consid. 11). Il met donc fin au possible cumul de fonctions d’instruction et de jugement du juge des enfants en matière correctionnelle, que l’on avait coutume de justifier par les particularités du droit pénal des mineurs (v. not. CEDH 24 août 1993, Nortier c. Pays-Bas). Néanmoins, la Cour de Strasbourg avait récemment censuré, sur le fondement de l’article 6, § 1er, de la Conv. EDH, un cumul circonstancié des fonctions d’instruction et de jugement, en retenant que le magistrat composant la juridiction de jugement avait fait un large usage des prérogatives accordées par la loi polonaise en matière d’instruction (CEDH 2 mars 2010, Adamkiewicz c. Pologne).
Le Conseil choisit de conférer à sa déclaration d’inconstitutionnalité un effet différé : le législateur a jusqu’au 1er janvier 2013 pour modifier la loi sur ce point.
Cons. const. 8 juill. 2011, n° 2011-147-QPC
Références
■ Question prioritaire de constitutionnalité
« Procédure issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008; s’applique depuis 2010.
À l’occasion d’une instance en cours (administrative, civile ou pénale), une partie peut soulever un moyen tiré de ce qu’une disposition législative applicable au litige ou à la procédure ou qui constitue le fondement des poursuites, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. La question de constitutionnalité doit être examinée en priorité par rapport à une éventuelle question de conventionnalité. Si elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux et si cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, la juridiction saisie doit statuer sans délai sur sa transmission au Conseil d’État ou à la Cour de cassation selon le cas. La Haute juridiction saisie se prononce alors, dans un délai de 3 mois, sur le renvoi au Conseil constitutionnel. Si ce dernier déclare la disposition non conforme à la Constitution, elle est abrogée. »
[Procédure pénale]
« Impératif procédural qui assure au justiciable le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial. Il s’agit de garantir le droit à un procès équitable. La récusation d’un juge peut être réclamée et obtenue sur preuve de son manque d’impartialité.
Un magistrat ne peut siéger à la chambre d’accusation s’il avait précédemment examiné la valeur des charges qui pèsent sur “ l’inculpé ”; de même il ne peut participer au jugement des affaires dans lesquelles il a accompli un acte de poursuite comme membre du ministère public. À l’inverse, le juge de l’application des peines ayant fixé la peine de TIG peut siéger au sein du tribunal correctionnel qui doit statuer sur la violation de cette sanction; pareillement le juge des enfants peut dans la même affaire faire partie du tribunal pour enfants.
La chambre criminelle admettait avant une loi du 6 juillet 1989 le renvoi d’office d’une affaire devant une autre juridiction, et ce dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice; ainsi lorsqu’un juge d’instruction manifeste publiquement son hostilité à l’égard d’un “ inculpé ”; depuis cette loi, la chambre criminelle retient la suspicion légitime dès lors qu’il y a un doute objectif sur l’impartialité d’un tribunal, par exemple, lorsqu’un magistrat du parquet d’une juridiction a été victime d’une infraction dont celle-ci est saisie.
Le président d’une cour d’assises ne peut manifester prématurément son opinion ni par des réflexions ni par des actes. »
[Procédure pénale]
« Phase de l’instance pénale constituant une sorte d’avant-procès, qui permet d’établir l’existence d’une infraction et de déterminer si les charges relevées à l’encontre des personnes poursuivies sont suffisantes pour qu’une juridiction de jugement soit saisie. Cette phase, facultative en matière de délit, sauf dispositions spéciales, obligatoire en matière de crime, est conduite par le juge d’instruction sous le contrôle de la chambre de l’instruction. »
Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011
■ P. Bonfils, « L’impartialité du tribunal pour enfants et la Convention européenne des droits de l’homme », D. 2010. 1324.
■ CEDH 24 août 1993, Nortier c. Pays-Bas, req. no 13924/88, D. 1994. Somm. 37, obs. Becquerelle, et 1995. Somm. 105, obs. Renucci ; RSC 1994. 362, obs. Koering-Joulin ; JDI 1994. 812, obs. Decaux et Tavernier ; RTDH 1994. 429, note Van Campernolle.
■ CEDH 2 mars 2010, Adamkiewicz c. Pologne, req. no 54729/00, RSC 2010. 687, obs. Roets.
■ Code de l’organisation judiciaire
« Le tribunal pour enfants est composé d'un juge des enfants, président, et de plusieurs assesseurs. »
Nota : Dans sa décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 (NOR CSCX1119047S) le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article L. 251-3 du Code de l'organisation judiciaire. La déclaration d'inconstitutionnalité prévue par l'article 1er prend effet au 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 12 de la présente décision.
« Les assesseurs titulaires et suppléants sont choisis parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l'intérêt qu'elles portent aux questions de l'enfance et par leurs compétences.
Les assesseurs sont nommés pour quatre ans par le garde des sceaux, ministre de la justice. Leur renouvellement s'opère par moitié. Toutefois, en cas de création d'un tribunal pour enfants, d'augmentation ou de réduction du nombre des assesseurs dans ces juridictions, ou de remplacement d'un ou de plusieurs de ces assesseurs à une date autre que celle qui est prévue pour leur renouvellement, la désignation des intéressés peut intervenir pour une période inférieure à quatre années dans la limite de la durée requise pour permettre leur renouvellement par moitié. »
« Avant d'entrer en fonctions, les assesseurs titulaires et suppléants prêtent serment devant le tribunal de grande instance de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de garder religieusement le secret des délibérations. »
« Les assesseurs titulaires ou suppléants qui, sans motif légitime, se sont abstenus de déférer à plusieurs convocations successives peuvent, à la demande du juge des enfants ou du ministère public, être déclarés démissionnaires, par décision de la cour d'appel.
En cas de faute grave entachant l'honneur ou la probité, leur déchéance est prononcée dans les mêmes formes. »
■ Article 66 de la Constitution de 1958
« Nul ne peut être arbitrairement détenu.
L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
■ Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit à un procès équitable
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une