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[ 4 mars 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La barbe d’un agent public peut-elle être une manifestation de convictions religieuses incompatible avec les principes de neutralité et de laïcité ?

La barbe ne constitue pas par elle-même un signe de manifestation ostensible d'une appartenance religieuse ni même lorsque l’agent a conscience de la perception que cette barbe peut susciter auprès de collègues ou d’usagers.

Un chirurgien, ressortissant égyptien portant une barbe particulièrement imposante a été accueilli en tant que stagiaire associé dans un centre hospitalier de Seine-Saint-Denis. Le directeur de l’hôpital lui a demandé à plusieurs reprises de la tailler afin qu'elle ne puisse pas être perçue par les agents et les usagers du service public comme la manifestation ostentatoire d'une appartenance religieuse incompatible avec les principes de laïcité et de neutralité du service public. Mais devant son refus, le directeur a résilié sa convention de stage. 

Le chirurgien stagiaire a alors saisi la juridiction administrative afin de demander l'annulation de la décision de résiliation de sa convention. 

Ni le tribunal administratif ni la cour administrative d’appel n’ont fait droit à sa demande. La cour administrative d’appel a notamment considéré que la sanction prononcée à l'encontre du médecin stagiaire « a été prise au regard des nécessités du service public et résulte du refus de l'intéressé de respecter le principe de neutralité de ce service qui l'accueillait en stage ». Dès lors, elle ne présente pas une atteinte disproportionnée à son droit à mener une vie privée normale.

En revanche, le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel. En effet, cette cour avait jugé que le requérant avait manqué aux obligations qui s’imposent aux agents du service public hospitalier en se fondant «  sur ce que, alors même que la barbe qu'il portait ne pouvait, malgré sa taille, être regardée comme étant par elle-même un signe d'appartenance religieuse, il avait refusé de la tailler et n'avait pas nié que son apparence physique pouvait être perçue comme un signe d'appartenance religieuse ». Selon le Conseil d’État, « en se fondant sur ces seuls éléments, par eux-mêmes insuffisants pour caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public, sans retenir aucune autre circonstance susceptible d'établir que (le chirurgien stagiaire) aurait manifesté de telles convictions dans l'exercice de ses fonctions, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit ».

Le problème dans l’arrêt commenté était de savoir si la barbe constituait une atteinte au principe de laïcité. Or les arguments de la cour administrative d’appel sont peu convaincants. Elle se fonde sur le fait que la barbe litigieuse serait perçue par les membres du personnel comme un signe d'appartenance religieuse. Il n’apparaît pas non plus que le directeur de l’hôpital ait demandé au chirurgien stagiaire de tailler sa barbe pour des raisons d’hygiène ou de sécurité.

Si les stagiaires de la fonction publique doivent respecter les mêmes obligations que les agents publics, faut-il interdire pour autant à ces diverses catégories de personnels le port de la barbe lorsque celle-ci est perçue comme un signe d’appartenance religieuse, tel n’est toutefois pas l’avis du Défenseur des droits.

■ Régime juridique des stagiaires quant à la neutralité, la laïcité

Lorsqu'ils réalisent leur stage au sein d'un établissement de santé chargé d'une mission de service public, les stagiaires sont assimilés aux agents qui y exercent et sont en conséquence soumis aux même principes du service public, dont le principe de neutralité qui leur interdit le port de tout signe religieux (V. par ex. pour les élèves infirmiers : CE 28 juill. 2017, n° 390740). Ils doivent donc respecter un « devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent collaborant à un service public » (CE 3 mai 1950, Delle Jamet, n° 98284 ; CE 8 déc. 1948, Delle Pasteau, n° 91406). Le Conseil d’État a également rappelé dans un avis du 3 mai 2000 (n° 217017) que les agents du service public bénéficient « de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ».

■ Le Défenseur des droits et la barbe

Selon le Défenseur des droits, « l’interdiction des discriminations fondées sur l’apparence physique devrait permettre de protéger les hommes contre une interdiction de porter la barbe dans le cadre professionnel, public ou privé. Ce principe n’est toutefois pas absolu et des restrictions peuvent être posées si elles sont liées à l’hygiène, à la santé et à la sécurité et, dans le secteur public, à la conciliation avec les devoirs de réserve, de neutralité et l’obligation de dignité de tout agent public». Par exemple, il est possible pour l’employeur d’exiger que les barbes soient soignées et entretenues (policiers, militaires, sapeurs-pompiers), de les interdire pour des raisons de sécurité (ex. : CRS sauf autorisation). La liberté de porter la barbe est protégée non seulement par le droit de la non-discrimination fondé sur l’apparence physique mais également celui fondé sur les convictions religieuses. Selon de Défenseur des droits, dans la fonction publique notamment, on ne peut présumer une violation du principe de neutralité du simple port de la barbe par un agent public (Décision-cadre du Défenseur des droits n° 2019-205).

CE 12 février 2020, n° 418299

Références

■ Fiches d'orientation Dalloz: LaïcitéNeutralité (Fonction publique)

 CAA Versailles, 19 déc. 2017, n° 15VE03582: AJFP 2018. 160, comm. A. Zarca ; AJCT 2018. 613, Pratique M. Bahouala


■ CE 28 juillet 2017, n° 390740 B : Dalloz Actu Étudiant, 13 sept. 2017 AJDA 2017. 1592 ; ibid. 2084, note P. Juston et J. Guilbert ; AJFP 2017. 338

■ CE 3 mai 1950, Delle Jamet, n° 98284

■ CE 8 déc. 1948, Delle Pasteau, n° 91406

■ CE, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017 A : AJDA 2000. 673 ; D. 2000. 747, note G. Koubi ; AJFP 2000. 39 ; RFDA 2001. 146, concl. R. Schwartz.

■ Décision-cadre du Défenseur des droits n° 2019-205 Dalloz Actu Étudiant, 29 oct. 2019, obs. C. de Gaudemont.

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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