Actualité > À la une

À la une

[ 6 avril 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

La cause, toujours

Privilégiant la théorie de la causalité adéquate à celle de l’équivalence des conditions, la Cour de cassation refuse l’indemnisation par la CIVI du dommage corporel subi par un policier alors qu’il poursuivait un conducteur en infraction, ses blessures, dues à une chute accidentelle, étant sans relation avec sa tentative d’interpellation.

Un policier avait saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) afin d’obtenir la réparation de ses préjudices consécutifs à des blessures subies, dans l’exercice de ses fonctions, alors qu’il poursuivait un cyclomoteur dont le conducteur n’avait pas observé l’arrêt imposé par un feu rouge. Faute de lien causal direct et certain entre le préjudice subi et l’infraction prétendument commise par le conducteur du véhicule, la cour d’appel le débouta de sa demande. 

Au soutien de son pourvoi en cassation, la victime s’appuya d’abord sur l’une des principales théories de la causalité, celle de l’équivalence des conditions, selon laquelle chacun des éléments, en l’absence duquel le dommage ne serait pas survenu, est la cause du dommage, pour reprocher à la juridiction d’appel d’avoir considéré qu’il ne pouvait «  être légitimement soutenu que [le conducteur du scooter] a occasionné des blessures à M. X... par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou l’a délibérément exposé à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer et ce dans la mesure où les violations qu’il a commises au code de la route et le refus d’obtempérer ne sont pas en lien direct et certain avec ces blessures qui sont la seule conséquence de la chute purement accidentelle de M. X... qui reconnaît d’ailleurs avoir glissé avant de tomber » ; or, selon le demandeur au pourvoi, conformément à la théorie de la causalité par lui défendue, en l’absence des infractions commises par le conducteur du scooter, soit le refus d’obtempérer et le dédit de fuite, son dommage ne serait pas survenu, ce dont il résultait que ces infractions matérielles étaient bien la cause du dommage. 

Le demandeur fit ensuite valoir une autre théorie de la causalité, tout aussi présente en jurisprudence que la précédente, celle de la causalité adéquate, selon laquelle un événement est la cause d’un autre lorsqu’on peut prévoir, en se fondant sur le déroulement habituel des faits tel que l’expérience le relève, qu’il en suit un autre, pour soutenir que le refus d’obtempérer et la fuite du conducteur du scooter étaient, parmi les antécédents de l’accident, le « fait adéquat » qui avait causé le dommage. 

La Cour de cassation rejette son pourvoi, approuvant la cour d’appel, ayant relevé que les blessures subies étaient la conséquence de la chute purement accidentelle du demandeur au cours de sa tentative d’interpellation du conducteur du scooter qui s’enfuyait, d’avoir déduit de ses constatations qu’il n’existait pas de lien de causalité direct et certain entre ces blessures et le refus d’obtempérer et que le préjudice subi ne résultait donc pas de faits présentant le caractère matériel d’une infraction

Nul n’ignore qu’en fait, un dommage a souvent des causes plurielles, même si toutes n’ont pas été également influentes. En droit, la question qui se pose est celle de savoir si le juge doit tenir compte de toutes les causes qui ont concouru à la survenance du dommage, ou s’il doit ne retenir que celles qui l’ont, plus que d’autres, fait naître. 

Dans le premier cas, il considèrera l’ensemble des événements sans lesquels le dommage ne se serait pas produit comme des causes juridiques, c’est-à-dire génératrices de responsabilité, quel que fût leur degré d’implication et donc sans avoir à opérer de hiérarchie entre eux. 

Dans le second cas, il opèrera au contraire un tri entre les différents faits ayant concouru à la survenance du dommage, pour ne retenir comme cause juridique de celui-ci l’événement prépondérant, le fait générateur qui a, davantage que les autres, contribué à ce que le dommage advienne. 

Cette alternative correspond à deux anciennes théories doctrinales mais demeurant en vigueur, qui proposent deux modes distincts d’appréciation du principe de causalité : celle de l’équivalence des conditions, à laquelle s’oppose celle de la causalité adéquate. A l’effet de conserver la latitude nécessaire au pragmatisme de la démarche qu’elle entend adopter en matière de causalité, la Cour de cassation n’a jamais choisi entre l’une ou l’autre théorie. 

En l’espèce, la Cour de cassation refuse d’appliquer la première, celle de l’équivalence des conditions, qui présente l’inconvénient majeur de conduire le juge à prendre en compte l’intégralité des faits générateurs du dommage, même les plus lointains et les moins immédiats mais sans lesquels le dommage ne se serait, toutefois, pas produit en sorte que le juge serait contraint, en allant au bout de cette logique, de remonter à l’infini la chaîne de la causalité et d’engager, en outre, la responsabilité de celui ou de ceux dont les agissements auraient un lien causal avec le dommage final, de fait, très distendu. Autrement dit, ce qu’il gagne par la dispense de tri parmi l’ensemble des faits générateurs du dommage, il le perd par la contrainte de leur recensement, par ailleurs inique si l’on se place du côté du défendeur. 

C’est sans doute la raison pour laquelle la Cour lui préfère ici sa théorie alternative, celle de la causalité adéquate, qui proscrit que tous les faits ayant participé à provoquer le dommage soient vus comme des causes juridiques, mais postule au contraire que seuls le sont ceux ayant joué un rôle majeur dans sa survenance, en sorte que seules les causes qui lui sont proches peuvent être considérées comme génératrices de responsabilité

En l’espèce, la cause « adéquate », immédiate et certaine, résidait dans la chute accidentelle de l’agent. En refusant de prendre en compte la cause de la cause de la cause (ie conducteur en infraction ; poursuite ; refus d’obtempérer) de cette chute dommageable, c’est-à-dire en écartant la théorie de l’équivalence des conditions, la Cour évince ainsi toute relation causale entre le dommage du policier et la poursuite du conducteur en infraction. Pour ce policier débouté, plus dure sera la chute…

Civ. 2e, 5 mars 2020, n° 18-26.137

 

Auteur :Merryl Hervieu

Autres À la une


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr