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[ 15 mai 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

La CEDH et le témoignage anonyme : rappel des principes

Mots-clefs : Procès équitable, Témoin, Témoin anonyme

N’a pas porté atteinte au droit à un procès équitable des requérants, la décision d’accorder l’anonymat à un témoin et d’accepter sa déposition à l’audience.

En janvier 2003, deux jeunes femmes furent tuées et deux autres blessées au cours un règlement de comptes entre gangs. Les trois requérants, furent accusés de meurtre et de tentative de meurtre et condamnés. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 6 §§ 3 d), les requérants se plaignaient devant la Cour européenne que la décision d’accorder l’anonymat à un témoin et d’accepter sa déposition à l’audience avait porté atteinte à leur droit à un procès équitable, qui comprend le droit d’interroger un témoin à charge.

Le principe du témoignage anonyme exige une vigilance particulière pour que soit respecté le procès équitable et le principe d’égalité des armes. La jurisprudence européenne montre que la Cour recherche « un équilibre entre les intérêts de la société, des accusés et des témoins ». Cette approche proportionnée a été posée dans l’arrêt Kostovski c. Pays-Bas, du 20 novembre 1989 et reprise récemment dans la problématique relative aux dépositions de témoins absents (arrêt Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni). Dans les deux cas, le principe sous-jacent est que, dans un procès pénal, l’accusé doit avoir une possibilité réelle de contester les allégations dont il fait l’objet. Elle considère toutefois que les limitations précises portant sur la capacité de la défense à contester un témoin diffèrent dans les deux cas.

Dans les affaires où interviennent des témoins anonymes, l’article 6 § 3 d) impose trois exigences :

– Existe-t-il un motif sérieux de garder secrète l’identité du témoin ? En l’espèce, la Cour souligne qu’il y avait un intérêt public manifeste à poursuivre les crimes perpétrés par des gangs, et qu’autoriser un témoin à déposer de manière anonyme était un élément important pour permettre de telles poursuites. La crainte de représailles étant réelle, il y avait un motif sérieux de permettre de témoigner sous couvert de l’anonymat.

– La condamnation se fonde-t-elle uniquement ou dans une mesure déterminante sur la déposition du témoin anonyme ? En l’espèce, la déposition du témoin n’a pas constitué la « preuve unique » mais la Cour admet, comme le juge national, qu’il était possible que sa déposition ait pu être déterminante pour certains des requérants.

– Si tel est le cas, existe-t-il suffisamment des garanties procédurales solides pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de cette déposition ? En l’espèce la cour relève d’abord que les avocats des requérants, le juge et le jury étaient tous en mesure d’apprécier par eux-mêmes la fiabilité des déclarations du témoin étant donné qu’ils pouvaient tous le voir et l’entendre et donc observer son comportement au cours du procès. Par ailleurs, le juge national s’est prononcé sur la question de l’admission du témoignage anonyme à plusieurs reprises, chaque fois en conduisant un examen approfondi des questions pertinentes tenant compte de la nécessité de préserver l’équité du procès. Ensuite, le juge a souligné la nécessité de disposer d’éléments indépendants démontrant la participation des requérants à la fusillade. Il a prévenu les jurés qu’ils devaient considérer la déposition du témoin avec précaution et leur a donné des instructions précises quant aux limitations imposées à la défense et à la nécessité de s’appuyer sur d’autres éléments de preuve. Enfin, de nombreuses informations ont été divulguées au sujet du témoin, ce qui a largement fourni matière à contre- interrogatoire et celui-ci a bien été contre-interrogé de manière effective.

La Cour rejette par conséquent les griefs des requérants et déclare les requêtes irrecevables.

Rappelons qu’en droit français, il existe un titre XXIe du Code de procédure pénale relatif à  « La protection des témoins » introduit par la loi du 15 novembre 2001 modifiée par la loi du 9 septembre 2002.

Le Code de procédure pénale reconnaît la possibilité de recourir au témoin anonyme, en soumettant cette procédure à certaines conditions et au respect des droits de la défense (art. 706-58 et s. C. pr. pén.) dans les jalons posés par la CEDH.

CEDH 25 avril 2012, Ellis et Simms et Martin c. Royaume-Uni, requêtes n° 46099/06 et 46699/06

Références

■ CEDH 20 nov. 1989, Kostovski c. Pays-Bas, requête n°11454/85.

■ CEDH, Grd. Ch. 15 déc. 2011, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Unirequêtes nos 26766/05 et 22228/06.

■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

■ Article 706-58 du code de procédure pénale

« En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, lorsque l'audition d'une personne visée à l'article 706-57 est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut, par décision motivée, autoriser que les déclarations de cette personne soient recueillies sans que son identitité apparaisse dans le dossier de la procédure. Cette décision n'est pas susceptible de recours, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article 706-60. Le juge des libertés et de la détention peut décider de procéder lui-même à l'audition du témoin. 

La décision du juge des libertés et de la détention, qui ne fait pas apparaître l'identité de la personne, est jointe au procès-verbal d'audition du témoin, sur lequel ne figure pas la signature de l'intéressé. L'identité et l'adresse de la personne sont inscrites dans un autre procès-verbal signé par l'intéressé, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête prévue à l'alinéa précédent. L'identité et l'adresse de la personne sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui est ouvert à cet effet au tribunal de grande instance. »

 

Auteur :C. L.


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