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Libertés fondamentales - droits de l'homme
La CEDH valide l’interdiction d’une manifestation des gilets jaunes, et l’amende pour participation à une manifestation interdite
Toute atteinte à la liberté de réunion pacifique (Conv. EDH, art. 11) doit être fondée sur une base légale accessible, prévisible, et comportant des garanties suffisantes contre l’arbitraire. C’est le cas de l’article R. 644-4 du Code pénal qui sanctionne la participation à une manifestation interdite par arrêté. Le fait d’interdire une manifestation, lorsqu’il existe un risque sérieux d’affrontements violents et de dégradations ; de contrôler l’identité sans arrestation et de sanctionner d’une amende le manifestant participant à une manifestation interdite, n’est pas contraire à la liberté de réunion et d’association.
CEDH 24 oct. 2024, Eckert c/ France, n° 56270/21
La requérante participe à une manifestation interdite dans le cadre des mouvements « gilets jaunes », et est condamnée à une amende de 150 euros. Elle conteste sans succès cette condamnation devant les juridictions françaises. Alléguant une atteinte à sa liberté de réunion et d’association (Conv. EDH, art. 11), elle saisit la Cour européenne des droits de l’homme.
L’article 11 § 1 de la Convention assure à toute personne la liberté de réunion pacifique et d’association. Cette liberté inclut le droit de former ou de s’affilier à un syndicat, ainsi que de manifester pacifiquement. En l’espèce, rien n’indique que les manifestants aient été animés d’intentions violentes (pt. 37). L’article 11 est donc applicable. Et la sanction imposée à la requérante constituait bien une restriction. Toutefois, des restrictions peuvent être admises si elles remplissent trois conditions cumulatives. Elles doivent être fondées sur une base légale (1), poursuivre un but légitime (2), et être nécessaires et proportionnées (3) (art. 11 § 2).
■ Exigence de légalité
Quatre éléments sont à réunir pour satisfaire l’exigence de légalité. Le critère de légalité impose non seulement que la restriction ait une base juridique en droit interne, mais exige aussi certaines qualités de celle-ci. L’ingérence doit donc être fondée sur une base légale (1), qui est « accessible au justiciable » (2), « prévisible quant à ses effets » (3) (pt. 46, v. CEDH, grd. ch., 27 nov. 2023, Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) c/ Suisse, n° 21881/20, § 77). La base légale doit aussi offrir une protection contre le risque d’atteintes arbitraires par la puissance publique (4). À cette fin, elle doit définir « l’étendue et les modalités » d’exercice d’un tel pouvoir, avec une « netteté suffisante » (pt. 49, v. CEDH, grd. ch., 15 nov. 2018, Navalnyy c/ Russie, n° 29580/12, § 155).
- Base légale : l’article R. 644-4 du Code pénal crée par le décret n° 2019-208 instituant une contravention pour participation à une manifestation interdite, constitue la base légale de la sanction appliquée à la requérante.
- Accessibilité : la CEDH étudie la question de l’accessibilité des dispositions légales pertinentes, soit l’art. R. 644-4 du Code pénal et l’arrêté litigieux. Les dispositions du Code pénal étaient clairement accessibles. Il en est de même pour l’arrêté interdisant la manifestation qui était publié au recueil des actes administratifs et diffusé par communiqué de presse sur les réseaux sociaux (pt. 51).
- Prévisibilité : concernant la prévisibilité, la Cour relève que les termes « manifestation sur la voie publique » de l’article R. 644 du Code pénal sont sans ambiguïté et bien définis par la jurisprudence. L’infraction visée n’est constituée que si l’on « participe » à une manifestation interdite par arrêté. Le seul fait d’être sur les lieux par hasard n’est donc pas sanctionné, car il ne s’agit pas d’un acte de participation (v. Crim. 8 juin 2021, n° 20-87.257). Le fait que l’article R. 644 renvoie à l’article L. 211-4 du Code de la sécurité intérieure ne rend pas non plus la norme imprévisible. Si les normes lues conjointement, avec si nécessaire recours à un conseil juridique, permettent de savoir si un comportement est incriminé, alors le renvoi ne rend pas la norme imprévisible. Tel est le cas en l’espèce.
- Garanties contre les atteintes arbitraires : la CEDH estime que le droit interne prévoit des garanties suffisantes contre les atteintes arbitraires. En effet, l’article L. 211-4 du CSI limite la possibilité d’une interdiction aux seules manifestations sur la voie publique qui seraient de susceptibles de troubler l’ordre public. La jurisprudence précise que le recours à l’interdiction doit être adapté, nécessaire, proportionnée aux circonstances, et ne peut être prise qu’en dernier recours (v. CE 4 déc. 2023, n° 487984). L’arrêté interdisant une manifestation peut aussi être soumis au contrôle du juge, ce qui constitue une garantie supplémentaire. Le juge administratif saisi en référé-liberté ou par un recours pour excès de pouvoir examine la proportionnalité de l’atteinte à la liberté de manifestation. L’arrêté peut aussi être contesté devant le juge pénal sur le fondement de l’article 111-5 du Code pénal.
Les bases légales de la restriction satisfont donc « en chacun de [leurs] éléments » les exigences de légalité, tant sur l’existence d’une base juridique, que sur la qualité de celle-ci (pt. 60).
■ Poursuite d’un but légitime
En l’espèce, le but légitime poursuivi est la défense de l’ordre, la prévention des infractions et la protection des droits d’autrui (pt. 61).
■ Nécessité et proportionnalité
- Nécessité de l’interdiction de manifester : elle est évaluée en tenant compte des circonstances au jour des faits. En outre, il s’agissait du 26e jour de mobilisation des gilets jaunes, et des violents affrontements étaient survenus lors des précédents rassemblements, causant 223 blessés dans le département. Compte tenu la répétition d’incidents sérieux, la Cour estime qu’il existait un « risque sérieux d’affrontements violents (…) et de dégradations » (pt. 70). De plus, la manifestation n’avait pas été déclarée au préalable. Or, l’article L. 211-1 du CSI soumet toute manifestation à une exigence de déclaration préalable. Elle rappelle cependant que seul le défaut de déclaration préalable ne suffit pas à justifier une restriction de la liberté de réunion (v. CEDH 9 avr. 2002, Cissé c/ France, n° 51346/99 § 50). Cela a « bien moins de poids » que le risque de débordement et de violences (pt. 71). La Cour admet cependant que l’absence de déclaration préalable et de dialogue entre les organisateurs et les autorités de l’État entrave la capacité des autorités nationales à planifier, anticiper et évaluer les risques. Enfin, les modalités de l’interdiction étaient « précisément bornées dans l’espace et dans le temps » et la CEDH note que les manifestants auraient pu se rassembler hors de cette zone (pt. 72).
- Nécessité de la sanction : selon la Cour, les États peuvent sanctionner les individus participant à une manifestation interdite, si cette interdiction est conforme aux exigences de la Conv. EDH tel qu’en l’espèce. Dans cette affaire, rien n’indique que les policiers auraient recourus à la force. La requérante a d’abord été invitée à quitter les lieux, et à la suite de son refus, fait l’objet d’un contrôle d’identité sans arrestation, et d’une amende de 150 euros. Cela ne constitue qu’une « peine légère » (pt. 75) (comp. à d’autres affaires où le requérant avait fait l’objet de détention et de peines privatives de liberté : CEDH, grd. ch., 15 oct. 2015, Kudrevičius et autres c/ Lituanie, n° 37553/05, § 170). Vu l’existence de risques importants de troubles à l’ordre public, le seul recours à un contrôle d’identité et une amende n’étaient pas disproportionnés.
La Cour conclut donc à l’unanimité à la non-violation de l’article 11 de la Convention.
Références :
■ CEDH, grd. ch., 27 nov. 2023, Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) c/ Suisse, n° 21881/20 : AJDA 2022. 555 ; ibid. 1892, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2022. 1130, note M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2023, n° 683, p. 33, étude X. Delpech.
■ CEDH, grd. ch., 15 nov. 2018, Navalnyy c/ Russie, n° 29580/12 : AJ pénal 2019. 42, obs. T. Besse.
■ Crim. 8 juin 2021, n° 20-87.257
■ CEDH 9 avr. 2002, Cissé c/ France, n° 51346/99
■ CEDH, grd. ch., 15 oct. 2015, Kudrevičius et autres c/ Lituanie, n° 37553/05 : AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen.
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