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[ 2 juin 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La cigarette électronique se heurte au principe de précaution

Mots-clefs : Principe de proportionnalité, Principe de précaution, Principe de subsidiarité, Principe d’égalité de traitement, Cigarette électronique, Tabac, Directive, Santé publique, Droit de propriété, Liberté d’entreprise

La Cour de justice de l’Union européenne valide la directive 2014/40/UE harmonisant et restreignant les conditions de commercialisation et de publicité de la cigarette électronique et de ses accessoires. La réglementation se justifie par l’exigence de protection de la santé publique, notamment au regard du principe de précaution, et de réalisation du marché intérieur. L’adoption de cette directive n’est en conséquence pas contraire aux principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de subsidiarité et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union.

La Cour de justice a été saisie d’une question préjudicielle afin de mettre en cause la validité de la directive 2014/40/UE relative à l’encadrement des produits du tabac et des produits connexes, dont la cigarette électronique. Plusieurs moyens étaient soulevés en lien avec les principes et les obligations auxquels les institutions sont soumises. Étaient ainsi en cause la violation des principes de l’égalité de traitement, de la proportionnalité, de la sécurité juridique et de la subsidiarité. La violation de la Charte était également avancée. Cette procédure n’était pas isolée puisque deux autres arrêts ont été rendus le même jour, l’un sur l’interdiction des cigarettes mentholées (CJUE 4 mai 2016, Pologne contre Parlement européen et Conseil, C-358/14), et l’autre sur l’uniformisation de l’étiquetage et du conditionnement des produits du tabac (CJUE 4 mai 2016, Philip Morris Brands SARL, C- 547/14). Les trois arrêts ont eu une solution convergente, celle du rejet des moyens, validant la directive.

Le renvoi préjudiciel relatif à la validité de l’encadrement sur les cigarettes électroniques pouvait logiquement se poser sachant que la cigarette électronique fait l’objet de débat quant à sa capacité de sevrage contre le tabac et sur sa moindre nocivité. Les considérants de la directive ne ferment pas à la porte à cette éventuelle qualification comme médicament. Cependant, dans son contenu la directive 2014/40/UE enferme strictement la commercialisation de ce produit au même titre que les produits de tabac en raison de son incidence sur la santé publique. La volonté du législateur européen est d’harmoniser la mise sur le marché, l’étiquetage et la publicité afin de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur, la finalité étant de ne pas avoir des législations plus permissives que d’autres avec le risque de désorganiser le marché et d’empêcher une protection effective de la santé publique.

La Cour examine successivement les différents moyens soulevés. Le premier moyen est celui de la violation du principe de l’égalité de traitement. La Cour rappelle le contenu de ce principe qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière comparable à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. La Cour répond très clairement et de manière motivée que la situation est objectivement différente entre les cigarettes traditionnelles et les cigarettes électroniques. Non seulement la composition est différente, absence de tabac dans un cas, mais également le mode de fonctionnement est différent en raison de la vaporisation. De plus la dangerosité n’est pas encore appréhendée avec précision pour les cigarettes électroniques. Les institutions ont en conséquence pu retenir un régime spécifique pour les cigarettes électroniques.

La Cour écarte également la violation du principe de proportionnalité. Ce moyen est fondé pour le requérant sur le caractère moins nocif de ce type de cigarette, voire même bénéfique pour la santé qui justifierait l’absence de réglementation spécifique par rapport à tout autre produit. La Cour précise alors que dans le domaine de la santé, les institutions disposent d’une large marge d’appréciation ce qui suppose, pour invalider la mesure, que celle-ci soit manifestement inappropriée. De plus, elle rappelle qu’au regard des travaux contradictoires sur les effets de la santé de la cigarette électronique, le législateur peut mettre en œuvre le principe de précaution. Plus précisément, sur le principe de proportionnalité, la Cour précise que la législation se justifie par l’objectif de réalisation du marché intérieur. En effet le risque est d’avoir des régimes juridiques nationaux contradictoires selon la perception retenue en matière de santé publique, créant ainsi des mesures d’effets équivalentes à des restrictions quantitatives (MEERQ) pour la cigarette électronique et les produits accessoires. En outre, en agissant le législateur apporte une réponse en matière de santé publique notamment à l’égard des jeunes. Enfin, la Cour précise que le législateur a mis en œuvre une balance des intérêts, sans que le contenu de la directive présente des inconvénients démesurés, et qu’il s’est fondé sur des critères objectifs, respectant ainsi le principe de proportionnalité, tout comme celui de la sécurité juridique. 

Concrètement, la Cour reconnait la validité des mesures imposant un régime de notification avant la mise sur le marché, sachant que le tabac est soumis à un régime d’autorisation. De même l’obligation pour les fabricants et les importateurs de fournir des données pour surveiller l’évolution du marché est validée, tout comme celle de limiter la teneur maximale en nicotine. Il n’est pas disproportionné, toujours en lien avec le principe de précaution, d’exiger également un dépliant séparé dans les unités de conditionnement, considérant que les informations sur l’emballage sont jugées insuffisantes. De même il n’est pas disproportionné d’interdire les communications commerciales et le parrainage en faveur des cigarettes électroniques.

Sur le principe de subsidiarité, la Cour fait face à deux arguments, le premier est relatif au fait que des parlements nationaux se sont opposés au texte et le second est lié à l’insuffisance de démonstration des divergences des règlementations nationales. Le traité de Lisbonne a introduit un contrôle a priori de ce principe avec l’intervention des parlements nationaux. Cependant la Cour précise, par rapport au premier argument, que le rôle de la Cour se limite dans ce cadre au contrôle du respect des garanties procédurales si elle est saisie par un parlement national, ce qui n’est pas le cas. Sur le second argument, la Cour démontre une nouvelle fois la limite du contrôle a posteriori puisqu’elle se borne à constater que la décision de renvoi du juge ne présente pas d’éléments suffisants.

Enfin la Cour se prononce sur l’éventuelle violation des articles 16 et 17 de la Charte des droits fondamentaux, portant respectivement sur la liberté d’entreprise et le droit de propriété. Concernant la liberté d’entreprise, était en cause l’interdiction de communiquer sur les produits. La Cour rappelle toutefois qu’aucune liberté n’est absolue et que les autorités peuvent en limiter la portée pour un objectif légitime, à la condition d’agir de manière proportionnée conformément à l’article 52, paragraphe 1 de la Charte. Pour les juges, l’atteinte est proportionnée dès lors que la directive n’empêche pas la fabrication et la commercialisation du produit. Concernant le droit de propriété, c’est plus exactement la propriété intellectuelle qui était visée au travers de l’utilisation de la marque, mais là encore l’atteinte est jugée proportionnée, le fait de ne pas pouvoir promouvoir les produits, n’empêchant pas la jouissance de la marque.

CJUE 4 mai 2016, Pillbox 38 (UK) Ltd, n° C-477/14

Références

■ CJUE 4 mai 2016Pologne contre Parlement européen et Conseil, n° C-358/14.

■ CJUE 4 mai 2016Philip Morris Brands SARL, n° C-547/14

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 16 

« Liberté d’entreprise. La Liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales. »

Article 17

« Droit de propriété. 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. 

2. La propriété intellectuelle est protégée. »

Article 52, § 1

« Portée des droits garantis. 1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

 

Auteur :V. B.


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