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Droit européen et de l'Union européenne
La CJUE consacre l’obligation d’écarter un arrêt non conforme rendu par une juridiction supérieure
Une juridiction nationale est tenue de considérer comme non avenu l’arrêt d’une juridiction de rang supérieur qui ne constitue pas un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi. Il en est ainsi lorsqu’une telle conséquence est nécessaire pour garantir la primauté du droit de l’Union.
CJUE 4 sept. 2025, aff. C-225/22, AW, T
La Cour de justice, saisie d'une question préjudicielle par le Sąd Apelacyjny w Krakowie (cour d'appel de Cracovie, Pologne), s’est prononcée sur les effets d'une décision de renvoi rendue par un organe juridictionnel qui ne peut être considéré comme une juridiction indépendante, impartiale et préalablement constituée au sens du droit de l’Union. Relevons d’emblée que les effets conférés à une telle décision sont drastiques : lorsque le juge national constate que la décision de renvoyer l’affaire pour réexamen a été rendue par une formation de jugement, même supérieure, ne respectant pas les exigences du droit de l’Union, cette décision doit être tenue pour non avenue, aucune considération tirée du principe de sécurité juridique ou liée à une prétendue autorité de la chose jugée ne pouvant faire obstacle à une telle conséquence, que l’effectivité du droit de l’UE rend indispensable.
Au cas d’espèce, par un arrêt du 20 octobre 2021, la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême polonaise avait annulé un arrêt de 2006, devenu définitif, ayant interdit la mise sur le marché de plusieurs magazines. L’affaire fut renvoyée devant une juridiction civile pour réexamen. Cette juridiction a relevé qu’en raison des irrégularités entachant la procédure de nomination des juges de la chambre de la Cour suprême polonaise concernée, la formation de jugement ayant rendu l’arrêt du 20 octobre 2021 ne constituait pas une juridiction légalement constituée au sens du droit de l’Union. Par conséquent, il n’y aurait pas lieu d’examiner les effets de cet arrêt. Cependant, elle restait incertaine quant à la possibilité même de contrôler la composition d’une juridiction supérieure, la réglementation nationale, ainsi que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle polonaise, le lui interdisant par principe, ce qui l’obligerait à se conformer à la décision de renvoi sans possibilité de vérifier, au préalable, si la juridiction l’ayant rendue peut être qualifiée de juridiction indépendante, impartiale et préalablement établie par la loi. Désireuse d’obtenir des précisions sur l’interprétation des règles du droit de l’Union et, en particulier, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le juge national s’est adressé à la Cour de justice pour savoir si son cas l’autorisait à s’affranchir de la réglementation nationale et à déclarer la décision d'octobre 2021 nulle et non avenue.
En réponse, s'agissant d’une part de l'interdiction de contrôler la régularité de la nomination des juges d'une formation de juridiction suprême, la Cour indique que les textes invoqués, combinés au principe de primauté du droit de l'Union, s'opposent à la réglementation d'un État membre et à la jurisprudence de sa Cour constitutionnelle imposant à une juridiction nationale de se conformer à la décision d'une formation de juridiction supérieure lorsque cette juridiction nationale constate, sur le fondement d'une décision de la Cour de justice, qu'un ou plusieurs des juges de cette formation de jugement, même hiérarchiquement supérieure, ne satisfont pas aux exigences d'un tribunal indépendant, impartial et préalablement constitué par loi. Or en l’espèce, le juge national ne pouvait ignorer que la Cour de justice avait écarté la qualité de juridiction de la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême polonaise, faute pour cette chambre de remplir les conditions d’indépendance, d’impartialité et d’établissement préalable exigées par le droit de l’Union (CJUE, gd ch., 21 déc. 2023, Krajowa Rada Sądownictwa, aff. C‑718/21). Conformément au principe de primauté du droit de l'Union et aux effets des décisions de la Cour de justice, il appartiendra donc à la juridiction nationale de renvoi de vérifier la régularité de la nomination des juges faisant partie de la formation de jugement qui a rendu l’arrêt du 20 octobre 2021, en comparant les conditions de leur nomination avec celles des trois juges ayant constitué la juridiction de renvoi dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Krajowa Rada Sądownictwa (préc.). À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que la présence, au sein de la formation concernée, d’un seul juge dont la nomination ne peut satisfaire aux exigences précitées constitue à lui seul un élément suffisant pour priver cette formation de sa qualité de tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi au sens du droit de l’Union.
La CJUE confirme ainsi que le principe de primauté du droit de l’Union ainsi que les effets contraignants de ses décisions impliquent que le contrôle de conformité, dans ce cadre discuté, ne peut être empêché ni par la réglementation nationale, ni par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle polonaise (CJUE 5 juin 2023, Commission c. Pologne, aff. C‑204/21).
D’autre part, s’agissant des effets d’une décision d’un organe juridictionnel qui ne satisfait pas aux exigences d’un tribunal indépendant, impartial et préalablement constitué, la Cour considère que si le juge national constatait que la décision de renvoyer l’affaire pour réexamen a été rendue par une formation de jugement ne respectant pas les exigences procédurales du droit de l’Union, cette décision devrait être tenue pour non avenue aux fins de garantir la primauté du droit de l’Union. Elle ajoute qu’aucune considération découlant du principe de sécurité juridique ou de la prétendue autorité de la chose jugée ne saurait être utilement invoquée pour empêcher le juge de déclarer un tel arrêt nul et non avenu. Or il ressort du dossier soumis à la Cour qu'une telle conséquence s'impose dans l'affaire en cause puisque, bien que l'arrêt rendu en octobre 2021 ait été définitif, l'affaire a bien été renvoyée à la juridiction de renvoi, qui doit donc déclarer cet arrêt nul et non avenu.
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