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[ 12 novembre 2025 ] Imprimer

Droit international privé

La clause attributive de juridiction l'emporte sur l'indivisibilité du litige

Par un revirement de jurisprudence, la première chambre civile juge pour la première fois que la clause attribuant compétence à une juridiction étrangère l'emporte sur la compétence spéciale du tribunal de l’un des codéfendeurs, même en cas d'indivisibilité du litige ou d'interdépendance des contrats.

Civ. 1re, 8 oct. 2025, n° 23-16756

L’article 42, al. 2, du Code de procédure civile, qui autorise le demandeur, lorsqu’il y a plusieurs défendeurs, à saisir la juridiction où demeure l’un d’eux, est applicable dans l’ordre international si les demandes sont liées par un lien étroit de connexité (Civ. 1re, 24 févr. 1988, n° 95-20.627). 

En droit international privé commun, ce texte primait la clause attributive de juridiction liant l’une des parties en cas d’indivisibilité des demandes (Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-14.699 ; Civ. 1re, 23 oct. 1990, n° 88–18. 600). L’indivisibilité des demandes présentées contre les différents défendeurs empêchait donc en principe une clause attributive de juridiction de neutraliser la règle de compétence dérivée de l'article 42, alinéa 2, du Code de procédure civile.

La solution vient d’être renversée par la première chambre civile de la Cour de cassation sur un moyen soulevé d’office, lui permettant d’énoncer le principe nouveau selon lequel la clause attributive de juridiction prime la compétence fondée sur l’article 42, alinéa 2, du Code de procédure civile, même en cas d’indivisibilité des demandes. Au visa des principes qui régissent la compétence internationale et de l’article 42, al. 2 précité, la chambre juge désormais qu’une clause attribuant compétence à une juridiction étrangère, valablement stipulée, l'emporte sur la compétence spéciale du tribunal de l'un des codéfendeurs prévue à ce texte, même en cas d'indivisibilité du litige ou d'interdépendance des contrats.

La solution nouvelle se trouve être la transposition de celle consacrée sur le fondement du droit de l’Union en faveur de la primauté de la clause attributive de juridiction sur les règles de compétence spéciale dérivées du règlement Bruxelles I bis. Il y presque vingt ans en effet que la Cour de cassation a posé, de manière très claire, le principe selon lequel une clause attributive de juridiction prime les compétences dérivées de l'article 8 du règlement Bruxelles I bis, qui prévoit qu’ « une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite: s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. (Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 05-16.706 ; conf. Civ. 1re, 14 mars 2018, n° 16-28.302, pour l’article 8 §1 du règlement UE n° 1215/2012, dit Bruxelles I bis). Il résulte de cette jurisprudence constante que la clause attributive de juridiction insérée dans un contrat soumis aux dispositions du règlement Bruxelles I bis confère une compétence exclusive au profit de la juridiction désignée par les parties, malgré la pluralité de défendeurs à l’instance. Par conséquent, même en cas d'indivisibilité du litige, la clause attributive de juridiction tient les compétences dérivées du Règlement en échec.

La solution nouvelle procède également de la volonté de s’aligner sur la solution consacrée en matière d’arbitrage. Dans l’hypothèse où le for des codéfendeurs est en conflit avec une clause compromissoire, la Cour de cassation fait expressément prévaloir la clause, même en cas d’indivisibilité du litige, s’agissant d’une question de pouvoir de juridiction de la juridiction étatique (Civ. 1re, 6 févr. 2001, n° 98-20.776 : « la prorogation de compétence en cas de pluralité de défendeurs - le litige fut-il indivisible - est étrangère à la détermination du pouvoir de juger de la juridiction étatique à laquelle est opposée une clause compromissoire »). Il est donc acquis que l’indivisibilité du litige ne peut faire obstacle à la clause compromissoire. Il convient toutefois de souligner que cette solution, rendue en droit de l’arbitrage, est motivée par des considérations qui sont a priori étrangères à la clause attributive de juridiction : le principe de "compétence-compétence", selon lequel l'arbitre est seul à pouvoir apprécier sa compétence, fonde le devoir de l'arbitre de statuer en priorité sur sa propre compétence pour connaître des contestations relatives à l’existence, à la validité ou à la portée de la convention d'arbitrage. En conséquence, l’arbitre doit se prononcer en priorité sur l’existence, la validité et l’étendue de la clause compromissoire. Nonobstant cette spécificité, la Cour de cassation étend la règle énoncée à son sujet à la clause attributive de juridiction, qui paralyse désormais la règle de compétence dérivée de l’article 42, alinéa 2, du Code de procédure civile, même en cas d’invisibilité des demandes.

Ainsi, le risque de maintenir des solutions divergentes, voire contradictoires, comme la nécessité de ne pas dissocier des demandes étroitement liées dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, justifie-t-il de conférer pleine efficacité à la clause attributive de juridiction.

Références :

■ Civ. 1re, 24 févr. 1988, n° 95-20.627 : D. 1998. 85 ; Rev. crit. DIP 1999. 309, note A. Sinay-Cytermann

■ Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-14.699 

■ Civ. 1re, 23 oct. 1990, n° 88–18. 600 : D. 1990. 258

■ Civ. 1re, 20 juin 2006, n° 05-16.706 : D. 2006. 1841, obs. X. Delpech

■ Civ. 1re, 14 mars 2018, n° 16-28.302 : D. 2018. 623 ; ibid. 1934, obs. L. d'Avout et S. Bollée

■ Civ. 1re, 6 févr. 2001, n° 98-20.776 : D. 2001. 1135, et les obs., obs. P. Delebecque ; Rev. crit. DIP 2001. 522, note F. Jault-Seseke ; RTD com. 2001. 413, obs. E. Loquin ; ibid. 754, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Merryl Hervieu


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