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[ 28 mars 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

La clause de force majeure n’est pas nécessairement abusive

Appréciée à l’aune de l’économie générale du contrat, la clause non négociée faisant peser l’intégralité du risque de force majeure sur son souscripteur pour pallier les risques financiers encourus par son bénéficiaire ne créé pas de déséquilibre significatif entre les parties.

Com. 26 févr. 2025, n° 23-20.225

La crise sanitaire liée au Covid 19 n’a épargné aucun secteur d’activité économique. En particulier, le secteur de la culture qui dépend directement de la fréquentation du public a été fortement affecté. De nombreux événements artistiques avaient en effet été reportés ou annulés en raison de la pandémie de Covid-19 et des mesures gouvernementales ayant interdit les rassemblements publics et imposé le confinement. À l’époque, la tentation fut forte pour les sociétés spécialisées dans l’organisation d’événements culturels de renforcer la sécurité de leurs contrats en y introduisant des « clauses de force majeure » par lesquelles elles prévoyaient de s’exonérer de leurs obligations en cas d’annulation de l’événement pour cause de force majeure, tout en maintenant l’obligation pour leurs cocontractants de s’exécuter, faisant ainsi peser sur ces derniers l’intégralité du risque de la force majeure. Tel était bien l’objet de la clause en l’espèce stipulée dans les conditions générales, non-négociables, du contrat établi par l’organisateur d’une foire dédiée à l’art moderne et contemporain, qui devait se tenir du 1er au 5 avril 2020. En cas d’annulation de l’exposition pour cause de force majeure, il était ainsi prévu d’exclure tout droit au remboursement ou à l’indemnisation des exposants. Or le 4 mars 2020, face à la diffusion sans précédent du coronavirus, le gouvernement interdit les rassemblements de plus de 5 000 personnes, et ce jusqu’au 31 mai. La foire fut donc annulée. Ayant réservé un espace d’exposition, un galeriste demanda à l’organisateur la restitution de l’acompte qu’il lui avait versé. Face au refus de ce dernier d’y procéder, l’exposant l’assigna en justice. En vain puisque la cour d’appel jugea valable la clause de force majeure stipulée au contrat, en sorte que l’organisateur se trouvait libéré de son obligation de restitution. Devant la Cour de cassation, l’exposant critiquait la clause litigieuse au motif qu’elle serait prohibée au titre de l’article L. 442-1 I 2° du Code de commerce. Le texte, relatif aux pratiques restrictives de concurrence, sanctionne le fait de soumettre ou de tenter de soumettre son partenaire à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations respectifs des parties. Or selon le pourvoi, la clause en question, stipulée par son bénéficiaire sans négociation possible en sorte de mettre à la charge des exposants la totalité du risque de la force majeure, tomberait sous le coup de cette disposition en ce qu’elle déroge aux dispositions de l’article 1218 du Code civil. La Cour de cassation était ainsi portée à se prononcer sur la validité de cette « clause de force majeure » (maladroitement nommée clause exonératoire de responsabilité dans l’arrêt). Dans le cadre d’une relation liant un professionnel à un consommateur ou à un non-professionnel, la réponse semble assez claire : de telles clauses seraient « de manière irréfragable présumées abusives », au sens de l'article R. 212-1 du Code de la consommation, dans la mesure où elles contraindraient « le non-professionnel ou le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n'exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d'un bien ou son obligation de fourniture d'un service ». La clause devrait alors être réputée non écrite. Dans une relation entre professionnels, telle que celle nouée en l’espèce, la solution est loin d’être aussi évidente. Il est en effet admis que les parties peuvent contractuellement décider de répartir entre elles les effets de la force majeure. Toutefois, si la répartition est déséquilibrée au détriment d’une des parties sans que ce déséquilibre puisse être justifié par ailleurs et que la clause n’a pu être négociée par la partie supportant seule le risque de la force majeure, ladite clause risque de voir sa validité remise en cause au moment de sa mise en œuvre sur le fondement soit de l’article 1171 du Code civil, si elle est insérée dans un contrat d’adhésion et déterminée à l’avance par l’autre partie, soit de l’article L 442-1 I 2° du Code de commerce sanctionnant la soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. C’est sur ce dernier fondement, invoqué par l’auteur du pourvoi, que la chambre commerciale écarte en l’espèce le grief du déséquilibre significatif, dont « l’appréciation passe par une analyse concrète de l’économie générale du contrat », en sorte qu’un tel déséquilibre ne peut se déduire du seul fait que la clause litigieuse place la partie qui invoque à son profit l’article L 442-1 I 2° dans une situation moins favorable que celle résultant de dispositions supplétives de la volonté des cocontractants, soit de l’article 1218 du Code civil. Soumise à une appréciation in concreto de l’économie du contrat, la clause de force majeure, même non négociée et faisant peser l’intégralité du risque sur son souscripteur, peut donc échapper au grief de l’abus. Au cas d’espèce, et comme l’avait justement relevé la cour d’appel, l’économie du contrat comportait une prise de risques financiers pour l’organisateur, contraint d’anticiper des dépenses en vue de l’organisation de l’événement, dépenses qu’il devrait supporter seul en cas d’annulation.

De façon générale, l’appréciation du déséquilibre économique se fait à l’aune de l’économie générale du contrat. L’objet du contrôle judiciaire ne peut donc porter sur une clause prise isolément, celle-ci devant être examinée en considération de de toutes les autres clauses du contrat ainsi que de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion de la convention. Il reste toutefois étonnant qu’en l’espèce, l’économie du contrat prise en compte pour légitimer le déséquilibre crée par la stipulation examinée ne se place que du côté d’un seul des contractants – le bénéficiaire de la clause -, alors que le texte du Code de commerce, fondé sur l’équilibre des droits et obligations respectifs des parties, invite à examiner, sous le prisme de la réciprocité, l’existence de contreparties consenties au souscripteur de la clause, a fortiori lorsque celle-ci n’a pas été négociée. Par exemple, une clause limitative de responsabilité peut être contrebalancée par une réduction consentie sur le prix. 

En tout état de cause, la critique fondée sur le prétendu déséquilibre significatif se voit ici écartée. L’effet initial recherché de neutralisation des effets de la force majeure se trouve en conséquence atteint : dispensé de restituer l’acompte versé en raison de la survenance d’un cas de force majeure, l’organisateur de l’événement se trouve ainsi placé dans une situation plus favorable que celle normalement prévue par le droit supplétif du Code civil concernant les effets de la force majeure (sur les conséquences de la force majeure sur la résolution du contrat et les restitutions subséquentes, v. Com. 26 févr. 2025, n° 23-21.266).

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction