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[ 17 avril 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Confiscation d’un bien : précisions sur la nature juridique de la clause de réserve de propriété

La circonstance que la propriété d’un bien a été retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété contenue dans un contrat de vente, qui suspend l’effet translatif de la convention jusqu’à la complète exécution de l’obligation qui en constitue la contrepartie, n’est pas de nature à en interdire la confiscation.

Crim. 28 févr. 2024, n° 22-86.392

Un conducteur avait été condamné pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique et sans détention de permis de conduire à une peine d’emprisonnement ainsi qu’à la confiscation du véhicule. Or l’acte par lequel il avait acquis ce véhicule contenait une clause de réserve de propriété avec subrogation au profit d’un organisme de crédit, qui lui avait accordé un prêt pour le financement dudit véhicule. Constitutive d’une sûreté, cette stipulation a pour effet de subordonner le transfert de propriété au complet paiement du prix par l’acheteur. En dépit de cette clause, la cour d’appel confirma la peine de confiscation prononcée en première instance. L’intéressé s’est alors pourvu en cassation pour remettre en cause le prononcé de cette peine à l’aune des articles L. 224-16 et L. 234-12 du Code de la route, qui ne permettent la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction qu’à la condition que le prévenu en soit le propriétaire. Or, il soutenait que la clause de réserve de propriété convenue avec l’organisme de crédit l’empêchait de revêtir cette qualité dès lors qu’il n’avait pas encore exécuté totalement son obligation de paiement. Arguant que cette vente réservée n’était pas définitive dès sa conclusion mais seulement au jour du paiement intégral du prix, le demandeur au pourvoi analysait donc la vente assortie d’une clause de réserve de propriété en vente conditionnelle, ce qui conduisait à remettre en cause son caractère ferme et définitif et à le priver, en conséquence, de la qualité de propriétaire nécessaire à la confiscation infligée. L’espèce conduisait donc à s’interroger sur la nature juridique de la clause de réserve de propriété et, par prolongement, sur son incidence pénale, eu égard à la peine prononcée. Plus précisément, la clause de réserve de propriété stipulée pour garantir le paiement de la créance de prix remettait-elle en cause le caractère ferme et définitif de la vente et, le cas échéant, la confiscation du bien dont le conducteur ne serait pas encore propriétaire ? La Cour de cassation y répond par la négative, et rejette le pourvoi au motif que « la circonstance que la propriété d’un bien a été retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété contenue dans un contrat de vente, qui suspend l’effet translatif de la convention jusqu’à la complète exécution de l’obligation qui en constitue la contrepartie, n’est pas de nature à en interdire la confiscation » (§ 13). Cela s’explique par le fait que cette clause ne remet pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente (Com. 17 oct. 2018, n° 17-14.986). Elle « aménage le moment du transfert de propriété » (§ 14). En effet, lors d’une vente, l’effet translatif de propriété intervient solo consensu, soit dès la rencontre des volontés sur la chose et son prix, quand bien même celle-ci n’aurait pas été livrée, ou le prix encore payé (C. civ., art. 1583). Cette dernière précision permet d’admettre qu’une vente puisse contenir une clause de réserve de propriété, qui permet à l’acheteur de jouir du bien avant le paiement total de sa dette, et au créancier de « retenir la propriété d’un bien à titre de garantie [et] à défaut de complet paiement à l’échéance, de se faire restituer le bien et d’en disposer » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2024, v° Réserve de propriété – Clause, p. 922). En d’autres termes, cette clause ne remet pas en cause le caractère ferme et définitif de la vente intervenue dès l’accord des parties sur la chose et sur le prix. Elle conduit seulement au report de l’effet translatif de propriété jusqu’au complet paiement du prix. De la sorte, le bien peut être confisqué à charge pour l’État, tiers à la vente, d’assurer la protection du créancier, c’est-à-dire du vendeur du véhicule (§ 15). Sur ce dernier point, la Cour de cassation apporte d’utiles précisions. En effet, « la chose confisquée est, sauf disposition particulière prévoyant sa destruction ou son attribution, dévolue à l’État, mais elle demeure grevée, à concurrence de sa valeur, des droits réels licitement constitués au profit de tiers » (C. pén., art. 131-21, al. 10). Partant, même si la chose confisquée est détenue par l’État, la clause de réserve de propriété reste opposable jusqu’à la complète exécution de l’obligation de l’acquéreur d’en payer le prix (§ 14). Si le condamné ne satisfait pas à cette obligation, la Cour de cassation affirme pour la première fois la possibilité pour le bénéficiaire (c’est-à-dire le vendeur) de mettre en œuvre cette clause, soit de demander la restitution du bien ou sa valeur liquidative à l’État, qui n’en est que le débiteur subrogé (§ 15).

La conciliation opérée de l’exécution de la peine de confiscation avec les effets de la clause de réserve de propriété confirme la nature de sûreté de la clause de réserve de propriété (v. déjà Com. 17 oct. 2018, préc.), qui évince la qualification de vente conditionnelle assortie d’une telle clause défendue par le demandeur au pourvoi pour empêcher la confiscation. En ce sens, la clause de réserve de propriété ne saurait s’analyser comme érigeant le paiement du prix en condition suspensive puisqu’en ce cas, l’acte ne produit aucun effet avant l’accomplissement de la condition si bien qu’aucun paiement n’est possible (C. civ., art. 1304-5, al. 2). Au contraire, la vente avec réserve de propriété produit immédiatement ses effets, notamment par des paiements partiels. Certes, le transfert de la propriété est suspendu jusqu’au complet paiement du prix, mais ce n’est pas la naissance d’une obligation que l’on retarde, mais seulement l’un des effets du contrat que l’on diffère, tout au long de l’échelonnement du paiement. En somme, la vente est d’ores et déjà acquise même si la propriété n’est transférée qu’après complet paiement du prix. Insusceptible de caractériser une condition suspensive, la clause de réserve de propriété ne permet pas davantage d’analyser le paiement du prix en condition résolutoire. Alors que la condition résolutoire éteint rétroactivement l’obligation – et par prolongement le contrat – en raison de la survenance d’un événement futur et incertain (C. civ., art. 1304-7), la clause de réserve de propriété ne remet pas l’engagement en cause puisqu’elle tend seulement à appréhender la valeur de la chose vendue à titre de paiement. En somme, loin d’anéantir l’obligation, elle constitue l’instrument de son exécution, certes indirecte, par une dation en paiement où le créancier conserve la propriété de la chose plutôt que de recevoir son prix (en ce sens, v. P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés, 5e éd., Dalloz, 2009, p. 646, n° 734). En l’espèce, la qualification retenue de sûreté mobilière réelle, supplantant celle de vente sous condition, induit une conséquence importante : dès lors que la clause de réserve de propriété ne constitue pas un aménagement de la vente de nature à faire dépendre la naissance de l’obligation du paiement complet du prix, elle ne remettait pas en cause l’existence de la vente ni son caractère ferme et définitif, ce qui rendait possible la confiscation du véhicule consécutive à l’infraction dont l’acquéreur s’était rendu coupable.

Référence :

■ Com. 17 oct. 2018, n° 17-14.986 DAE, 14 nov. 2028, note Merryl HervieuD. 2018. 2086 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2018. 524, obs. P. Delebecque ; Rev. sociétés 2019. 220, obs. F. Reille

 

Auteur :Merryl Hervieu


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