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[ 3 mars 2014 ] Imprimer

Droit de la famille

La communauté de vie n’est pas la cohabitation

Mots-clefs : Mariage, Communauté de vie, Aspect matériel, Aspect affectif, Cohabitation, Déclaration de nationalité française

Pour des motifs d’ordre professionnel, les époux peuvent avoir un domicile distinct, sans qu’il soit pour autant porté atteinte à la communauté de vie.

La communauté de vie exigée pour acquérir la nationalité ne diffère pas de celle définie comme une obligation du mariage par l'article 215, alinéa 1er, du Code civil, qui dispose que les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie. C'est là le cœur des droits et devoirs qui naissent du mariage et, en matière de nationalité, l’élément essentiel d’appréciation de la réalité et de la sincérité de l'intention matrimoniale des époux. Cela étant, la communauté de vie ne se réduit pas à la cohabitation, ce que rappelle la décision rapportée.

En l’espèce, quatre ans après son mariage avec un Français, une femme de nationalité algérienne avait souscrit, comme le permet la loi française, une déclaration de nationalité française. Celle-ci avait été rejetée au motif que la preuve de la communauté de vie tant matérielle qu’affective des époux n’avait pas été établie, l’épouse travaillant en région parisienne alors que son mari, lui, habitait dans la Creuse. Le couple avait alors assigné le ministère public afin de contester le refus d’enregistrement de la déclaration de l’épouse.

Rejetant cette contestation, la cour d’appel retint que les époux avaient cessé de vivre ensemble un an après leur mariage, à une date correspondant à la prise de fonctions de l’épouse en région parisienne, le mari ayant choisi de vivre dans la Creuse ; malgré l’argument avancé par le couple de l’impossibilité de rapprocher leurs lieux de travail, ce mode de vie, apprécié par les juges du fond comme un libre choix, fut jugé contraire à la communauté de vie « tant affective que matérielle », et ininterrompue, exigée par la loi.

Cet arrêt est cassé au visa des articles 21-2108 et 215 du Code civil, le seul constat de domiciles distincts ne suffisant pas à caractériser l’atteinte à la communauté de vie des époux.

Certes, la cohabitation se présente comme le premier signe de la communauté de vie qu’exige le mariage. Toutefois, depuis la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975, il est admis que les conjoints aient des domiciles distincts (C. civ., art. 108) sans qu'il soit pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de vie. L'existence de deux domiciles ne laisse donc nullement présumer l'absence de vie commune : celle-ci se déroule au lieu dit « résidence de la famille », que les époux choisissent d'un commun accord (C. civ., art. 215, al. 2).Tel est le droit commun du mariage.

Assez curieusement, le législateur de 2003 est venu préciser à l'article 21-2 du Code civil que la communauté de vie permettant l'acquisition de la nationalité devait être « tant affective que matérielle ». On a donc pu se demander s'il n'entendait pas créer une notion autonome de celle admise en droit civil. En vérité, la question ne méritait même pas d’être posée puisque, en droit civil, il est admis que la communauté de vie n’implique pas nécessairement une cohabitation, à laquelle elle ne se réduit pas. Cette absence d’équivalence s’explique par le fait que la communauté de vie doit être entendue plus largement qu’une simple cohabitation : la « communauté de résidence n'est que le signe extérieur d'une communauté matérielle et affective et sous-entend notamment communauté de lit et communauté de ménage. Elle inclut également une certaine communauté intellectuelle, une volonté de vivre à deux, une affection et un amour réciproques » (v. G. Henaff). Si la communauté de vie au sens de l'article 215 du Code civil vise bien sûr les liens matériels unissant les époux, dont la cohabitation fait partie, elle suppose tout autant des liens affectifs ou, à tout le moins, une volonté de vivre ensemble, de partage et donc une affection réciproque (v. Fr. Terré et D. Fenouillet qui précisent qu’: « Elle implique aussi une communauté physique, ce qui englobe le devoir conjugal »).

La précision n'apparaît donc pas, en soi, nécessaire. Elle se révèle néanmoins utile concernant l'objet de la preuve de la communauté de vie, dans la mesure où l'enquête administrative devra apprécier la relation conjugale sous ces divers aspects, et ne pas s'en tenir aux seuls éléments matériels et économiques de l’union. Elle permet aussi à l'autorité d'enregistrement de contester plus facilement la recevabilité de la déclaration : à l’effet de lutter contre les mariages de complaisance, le législateur avait souhaité insister sur l’idée que la communauté de vie ne se réduit pas à la seule cohabitation, mais qu'elle suppose également, ou à défaut, une communauté de sentiments et une volonté partagée de vivre ensemble. En somme, de poser des limites à l’éligibilité des candidats à la nationalité française.

Ainsi conçue, l'absence de communauté affective peut contredire une communauté de vie matérielle effective. Inversement, la communauté affective permettra de justifier la communauté de vie à défaut de cohabitation (Rapp. Sénat n° 1, 2003-2004, J.-P. Courtois, p. 70.), à condition que la matérialité de la communauté de vie soit autrement constatée, ce qui était le cas dans l’espèce rapportée.

Concrètement, un couple dont l’un souhaite acquérir la nationalité française par mariage n’est pas soumis à la preuve d’une cohabitation effective ; la communauté de vie se suffit d'une communauté de sentiments, de rencontres, de projets et de dépenses ménagères communes qui, à condition d’être établie, justifie la recevabilité du dossier de déclaration.

Civ. 1re, 12 févr. 2014, n°13-13.873

Références

 G. Henaff, « La communauté de vie du couple en droit français », RTD civ. 1996. 551.

 Fr. Terré, D. Fenouillet, Droit civil. La famille, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011, n°160 s.

■ Code civil

Article 21-2

« L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. 

Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l'étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n'est pas en mesure d'apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l'étranger au registre des Français établis hors de France. En outre, le mariage célébré à l'étranger doit avoir fait l'objet d'une transcription préalable sur les registres de l'état civil français. 

Le conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'État. »

Article 108

« Le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct sans qu'il soit pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de la vie. 

Toute notification faite à un époux, même séparé de corps, en matière d'état et de capacité des personnes, doit également être adressée à son conjoint, sous peine de nullité. »

Article 215

« Les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie. 

La résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord. 

Les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous. »

 

Auteur :M. H.


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